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Femmes (Manet)

Publié le 10 mars 2011 par Ray

Il me semble le voir encore dans ce grand atelier clair qu’il avait loué tout en haut de la rue d’Amsterdam, au milieu de ses tableaux qui mettaient sur le murs des taches lumineuses de couleurs et de toiles inachevées, empilées par tas où apparaissaient de vagues silhouettes de femmes venues une fois et surprises par le peintre dans leurs poses familières.
La figure fine et spirituelle, d’une mobilité extrême, avait quelque chose de franc, de subtil, qui attirait tout de suite. Et à le regarder peindre, à l’entendre causer de son art, on sentait l’homme qui n’est pas du commerce, qui a le feu au ventre. Le plissement de l’œil gauche, comme ébloui par des coups de lumière, rappelait certains portraits de Goya. Les prunelles paraissaient un peu fatiguées par le travail en plein air, par l’étude assidue et directe des horizons et de la campagne. Le profil avait une distinction malicieuse. Et avec ses vêtements coupés à la dernière mode, sa barbe blonde, ses manières affinées et simples, Manet ne ressemblait en rien aux artistes bohèmes qui se font « une tête ».
ManetIl avait des emballements brusques, des poussées soudaines d’idées qui le prenaient en entier, des rages de travail que suivaient bientôt de pénibles lassitudes, un dégoût absolu de l’ébauche commencée. Il voyait, en effet, plus vite qu’il ne peignait. Sa main était moins active que son cerveau, que ses yeux dont l’acuité étonnait et, les trois quarts du temps, il abandonnait le tableau qu’il n’avait presque pas fini dans une première séance.
De là, tous ces pastels, tous ces portraits oubliés aux quatre coins de l’atelier. On aurait dit que toutes les jolies petites femmes de Paris avaient passé par là, passé cinq minutes comme des mouches curieuses, le temps de se laisser admirer, d’enlever et de remettre leur chapeau devant l’élégante Psyché Empire qui se dressait tout près de la porte. Et de ce défilé galant, des odeurs de jupes remuées, de nuques blondes, des promesses de revenir, il ne restait que quelques « quadrots » barbouillés de teintes tendres et claires.
René Maizeroy, Petites femmes, 1885.


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