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Muzio Clementi par Olivier Cavé : un modèle d'équilibre

Publié le 12 mars 2011 par Philippe Delaide

Le dernier enregistrement du pianiste Olivier Cavé et consacré à des sonates de Muzio Clementi est une très belle réussite.

Muzio Clementi incarne véritablement cette jonction entre les grands classiques et les romantiques. Olivier Cavé lui rend un superbe hommage parce que son interprétation est guidée par un souci d'équilibre et une intensité toute contrôlée. L'exercice est extrêmement subtil car les résonances de ces sonates avec celles de grands maîtres comme Mozart, Beethoven, voire Schumann et Brahms sont tellement nombreuses qu'il faut trouver une ligne claire et s'y tenir.

Il y a alors plusieurs façon d'aborder Clementi : la façon fougueuse et résolument romantique (du moins c'est ce que je ressens) de Maria Tipo, qui a d'ailleurs été professeur d'Olivier Cavé, ou la façon badine, un rien mondaine d'un Vladimir Horowitz et qui tend à nous rappeler qu'on se souvient surtout du compositeur italien par ses "sonatines", incarnant les exercices auxquels se plient des milliers de pianistes.

Clementi Cavé
Le fait qu'Olivier Cavé ait travaillé ces sonates au piano forte avant de les enregistrer au piano moderne a son importance pour comprendre sa lecture et son angle d'attaque. Telle que je l'ai perçue, cette approche repose sur la volonté de traduire la beauté formelle de ces sonates et de révéler leur intensité justement en ne forçant pas le trait. Le pari est réussi car le pianiste met admirablement à jour la beauté et l'inventivité de ces compositions. Olivier Cavé n'a sélectionné que des sonates en mineur. Il parle de "drames musicaux" à propos des ces sonates. Pour autant, il ne faut pas s'attendre à une théâtralité excessive, piège dans lequel nombre d'interprètes pourraient tomber. La tension est bien là mais elle est surtout suggérée par une ligne d'une clarté exemplaire.

La superbe sonate en fa dièse mineur Opus 25 N°5 résume assez bien l'espace qu'occupe Clementi dans la traduction des émotions et du drame. Les accents beethovéniens sont indéniables et saisissants. On rejoint presque la dimension «métaphysique» que peuvent avoir les grandes sonates du compositeur allemand. La densité dramatique du lento e patetico est magnifiquement traduite. Olivier Cavé fait non seulement preuve d'équilibre mais aussi d'une élégance, d'une classe rares. Tout est dosé avec une finesse remarquable : équilibre main gauche / main droite, usage modéré de la pédale particulièrement bien vu (de l'intérêt justement d'avoir travaillé au piano forte avant l'enregistrement), intensité du touché, timbre.

Même dans les moments forte comme l'enivrant allegro con fuoco de la sonate en si mineur opus 40 N°2, le jeu conserve sa tenue exemplaire sans jamais céder au risque de la raideur. Là encore, une belle transparence, une belle clarté sont préservées. Le largo, lui aussi magnifique, déploie ses couleurs sombres, incarnant comme une voix qui soupire, marquée par une mélancolie d'autant plus poignante qu'elle est exempte de toute afféterie.

On retrouve, avec la sonate en fa mineur opus 13 N°6 les accents beethovéniens mais ceux des premières sonates. La similitude du thème et de la structure du presto avec un scherzo d'une des sonates de Beethoven (je n'arrive pas à trouver laquelle) est vraiment troublante...

La pièce qui fait l'objet du titre du disque d'Olivier Cavé est proposée à la fin : la sonate en sol mineur Opus 50 N°3 appelée "Didone abbandonata - Scena tragica". Cette sonate plus longue est d'une densité impressionnante. Le lyrisme du court largo d'introduction est transcrit sans ostentation. Le rythme ternaire de cette sorte de danse mélancolique est obsédant. Il introduit un allegro fébrile, suivi d'un adagio qui nous replonge, dès les martèlements des premières mesures, dans un ostinato qui opère comme une sorte d'obsession, comme un enfermement. La lumière toute italienne surgit alors sur l'allegro final, flamboyant et ample.

On notera enfin la qualité d'enregistrement. Le son est plein, sans agressivité ni excès de réverbération.

Très beau disque, coup de coeur du poisson rêveur et qui rend ses lettres de noblesse à un grand compositeur pour le piano.

Je vous renvoie également à la belle chronique du blog Passée des Arts consacrée à ce disque.

Muzio Clementi - Didone abbanddonata / Scene tragiche - Olivier Cavé (piano) - Label Aeon.

Extrait : Largo patetico e sostenuto d'introduction de la sonate en sol mineur opus 50 N°3.


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