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"Bâtir pour les tsars : architectes tessinois en Russie – 1700-1850"

Par Marc Chartier


Cette période de la grande histoire des Bâtisseurs mérite d'être connue, tant elle est riche en personnages, événements et enseignements.
Les protagonistes s'appellent, d'un côté, Pierre le Grand, auquel succéderont son épouse Catherine Ière, puis Pierre II, Anna Iovanovna et autres souverains de Russie ; de l'autre, Domenico Trezzini, Luigi Rusca, Domenico Gilardi, Tomaso Adamini, Luigi Fontana, Ippolito Monighetti... des architectes, maîtres maçons ou travailleurs du bâtiment originaires d'une terre très féconde en traditions dans l'art de bâtir : le Tessin ou Suisse italienne.
L'histoire se déroule, du début du XVIIIè au milieu du XIXème siècle, dans le cadre de la reconstruction de la ville de Moscou, dévastée par un incendie en 1812, mais surtout de la future Saint-Pétersbourg, à la recherche de sa première splendeur pour accueillir la cour impériale.
Les aléas de la diplomatie russe contribuèrent à attirer en Russie un talentueux architecte et ingénieur, originaire du village tessinois d'Astano, qui sera rapidement nommé "Maître maçon des Bâtiments et Fortifications" au service de Sa Majesté césarienne le tsar de Moscovie. Cet engagement marqua le début d'un flux migratoire qui, jusqu'à la veille de la Révolution d'Octobre, relia la Lombardie helvétique à la terre des tsars.
Les chantiers de Russie firent appel tout autant aux mains expertes des maçons, contremaîtres, stucateurs et autres artisans tessinois qu'à la compétence d'ingénieurs parfaitement rodés aux techniques architecturales les plus diverses. Dans un contexte pour le moins complexe (difficultés d'une urbanisation à la "rapidité vertigineuse", pénurie de matériaux de construction, déficit technologique, non qualification d'une main-d'oeuvre locale, abondante certes, mais surtout recrutée de force), le savoir-faire des bâtisseurs tessinois dut s'accommoder. C'est précisément cette faculté d'adaptation, liée à l'habileté technique et à une compétence aguerrie dans l'organisation des chantiers de travaux publics ou privés, qui est la "marque de fabrique" de la réponse des constructeurs tessinois à la "fureur de bâtir" sur les bords de la Neva aux heures les plus prestigieuses de la Russie des tsars.
L'auteur de cet ouvrage propose un condensé de cette fantastique page d'histoire en ces termes : « L'ascension professionnelle des architectes de Lombardie suisse s'est d'abord accomplie dans le cadre du chantier, grâce à la relative perméabilité des métiers du bâtiment. Leur carrière a souvent été marquée par un passage progressif des tâches d'exécution à des rôles impliquant des responsabilités toujours plus grandes, qui pouvaient culminer dans la charge d'architecte de cour, et leur succès fut d'abord le fruit de leur maîtrise parfaite des techniques de la construction et de l'organisation du chantier, à quoi s'ajoutaient des qualités éprouvées d'entrepreneur. » (p. 87) Et l'auteur de proposer, en guise de conclusion, cet enseignement : « L'instruction comme levure de l'émigration. »
Il est des pages d'histoire qui sont à lire et méditer, tant leur prolongement peut éclairer parfois une certaine actualité. Celles relatées par cet ouvrage en font assurément partie...

"Bâtir pour les tsars : architectes tessinois en Russie – 1700-1850", de Nicola Navone, traduction par Etienne Barilier, Presses polytechniques et universitaires romandes, collection Le savoir suisse, 2007, 138 pages


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