Actes Sud
Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba
Titre original : Gályanapló
ISBN : 978-2-7427-9238-2
Quatrième de couverture :
Bien avant la consécration de son travail par le prix Nobel de littérature en 2002, lmre Kertész a noté – sur une période de trente ans – observations, pensées philosophiques et aphorismes qui l’accompagnaient lors de l’écriture de ses premières œuvres.
A travers un dialogue avec Nietzsche, Freud, Camus, Adorno, Musil, Beckett, Kafka, et bien d’autres encore, Kertész nous fait partager la genèse lente et
douloureuse de ses plus grands textes, Être sans destin et Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas. Au centre, bien sûr, comme le noyau noir de son existence, l’holocauste. Mais sa pensée, sa recherche existentielle concernent, plus largement, la question du totalitarisme, le caractère de la modernité, ainsi que son concept de la liberté.
Carnet de bord d’un grand écrivain, ce journal de galère donne les clés d’une œuvre immense.
Mon avis :
Comment chroniquer le Journal de galère ? De la même façon comment peut-on espérer résumer certaines œuvres déterminantes aussi dense qu’ Ulysse ou que Le tambour ? C’est typiquement le genre d’ouvrage pour lesquels le mot critique semble avoir été inventé et pour lequel je fais particulièrement la distinction entre les termes critiquer et chroniquer. La critique suppose, à mes yeux, d’avoir compris une œuvre, un écrivain, d’avoir su en extraire l’essence et de savoir la replacer dans son contexte -littéraire, artistique, historique, voir, éventuellement dans le cas présent, personnel encore que cette dernière précision est à considérer de manière toute relative pour ne pas sombrer dans l’extrapolation parfois fantaisiste qui consiste à étudier en détail la vie d’un auteur pour en expliquer l’œuvre, une sorte de déterminisme littéraire en quelque sorte.
La chronique se borne à essayer d’expliquer la substance d’un livre : ce qui le compose, comment cette substance peut être perçue et d’ouvrir, éventuellement, certaines pistes. Ce n’est pas une forme de critique au rabais mais davantage une méthode d’exploration différente, une autre perception d’un livre.
Pour autant, ni la critique ni la chronique ne me paraissent devoir absolument receler un avis personnel clairement défini. Il peut, sous certaines conditions, en être question dans une chronique, mais ca n’est pas, loin de là, une condition sine qua none et dans le cas où on exprime un avis, sauf coup de cœur ou répulsion durable, mieux vaut le faire de manière discrète et, dans tous les cas, ne pas en faire une habitude. La plupart du temps, je ne pense pas vraiment grands chose de ce que je lis : je vais ou non en apprécier la lecture, mais il n’y a pas de verdict tranché une fois la dernière page finie, plutôt une sorte de sensation diffuse qui va se dissiper ou persister.

Édition hongroise du « Journal de galère »
Le Journal de galère est le premier livre d’Imre Kertész que j’ai eu l’occasion de lire mais sans doute pas le dernier, ne serait-ce que pour avoir l’occasion de mettre en contexte ses propos.
À l’instar d’autres écrivains, son journal constitue une sorte de miroir de la progression de ses textes, entrecoupé de réflexions sur le monde contemporains et de renvoi aux auteurs mais également aux musiciens qui l’inspirent. Par la forme à proprement parlé, ce n’est pas le récit des détails de sa vie, mais davantage un fil conducteur de l’élaboration de son écriture, de sa conception du monde et de l’observation de son fonctionnement, agrémenté de citations et de dissertations plus ou moins brèves sur la pensée de certains grands auteurs. Il n’est que rarement question de la vie ordinaire mais ces interventions ne coupent pas le fil de la pensée, elles s’y insèrent, apportant d’autres éléments de réflexions, qu’il soit question d’un voyage en Allemagne, la chambre de Kertèsz dans un quartier populaire de Budapest ou encore la maladie de sa mère.
Son écriture a quelque chose de désabusé, de cynique, une sorte de compréhension abrupte du monde et de la manière écrasante dont il fonctionne, une sorte de machine à broyer suivant inlassablement sa trajectoire et à l’origine de cette manière de considérer le monde. Les camps de concentration, d’abord, puis le totalitarisme. Il peut parfois sembler hasardeux de réduire l’œuvre entière d’un écrivain à une série de fait, mais Kertèsz le dit lui-même :
Quand je pense à un nouveau roman, je pense uniquement à Auschwitz. Quelles que soient mes réflexions, elles portent toujours sur Auschwitz. Même si je parle d’autre chose en apparence, je parle d’Auschwitz. Je suis le médium de l’esprit d’Auschwitz, Auschwitz parle par moi. Tout le reste me paraît inepte.
page 32
D’une certaine façon, il semble parfois que ces lignes écrites il y a plusieurs dizaines d’années soient déjà révélatrices du monde d’aujourd’hui. le totalitarisme est toujours plus sournois, tapis sous une couverture de modernité et ne parle plus tout à fait la même langue que son parent mais le contenu du discours est le même.
A ce fil de pensée, vient s’ajouter la problématique de la création littéraire, de l’écriture et de toutes les difficultés qu’elle charrie, aussi bien technique que métaphysique. Question d’importance vitale ancrée tout au long du livre, une torture permanente qui ronge celui qui en est affligé. Lire Kertèsz est une réponse péremptoire à tous ceux que l’on croise au cours d’une vie et qui veulent écrire parce qu’il se sont réveillés le matin avec une histoire sympathique en tête et qui citent l’écriture parmi leurs passe-temps préféré. Ce n’est pas une question d’avoir tort ou raison, comme si cela avait lieu d’être, je pense simplement que c’est diminuer de beaucoup une chose qui peut sans doute être agréable ou gratifiante ou je ne sais quoi mais qui peut aussi -et surtout à mes yeux- être une torture permanente, le reflet d’une angoisse que rien n’apaise, une plaie ouverte que rien ne semble apaiser et que l’on se retrouve à rouvrir inlassablement sans même y penser.
Dans Journal de galère, plusieurs questionnement co-habitent. D’abord le problème du hongrois, langue pour ainsi dire isolée et que peu de gens parlent, ce qui fait dire à Kertèsz qu’il est condamné à rester un écrivain de seconde zone que personne ne lira, d’autant plus que la Hongrie fait partie du bloc communiste à l’époque de ses réflexions.
Viennent ensuite des questionnement plus pointus et très détaillés sur les personnages ou l’élaboration de ses différents romans qui mériteraient une chronique à eux seuls -comme d’autres sujets abordés dans celle-ci.
Journal de galère est un de ces livres qui imprègnent durablement la pensée et s’impose violemment à l’esprit, n’hésitant à le fracasser un peu au passage.