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Bilan 2010 Le Souffle d'Aoles - Les Explorateurs

Par Eguillot

Publier un bilan chiffré d'activité, si ce blog s'adressait principalement à des lecteurs, paraîtrait incongru. Vous l'avez sans doute deviné depuis que vous suivez celui-ci, je m'adresse également à des auteurs. En France, il faut le savoir, la grande majorité des écrivains ne bénéficient pas de l'appui d'un agent littéraire susceptible de défendre leurs intérêts. A combien d'exemplaires faut-il vendre pour intéresser un agent? 50 000, 100 000 ? Je l'ignore. Toujours est-il que lorsqu'un "jeune" auteur se présente devant un éditeur, il est le plus souvent seul. Sans agent. Sans avocat. Et vous pouvez parier que dans la plupart des cas, il n'y a même pas négociation des droits. L'auteur accepte les conditions de l'éditeur, point. J'ai eu la chance de vivre deux expériences distinctes, être édité à compte d'éditeur en 2009 aux éditions Lokomodo pour mon recueil de nouvelles Les Explorateurs, puis décider en 2010 de prendre à bras-le-corps une activité d'autoéditon pour le cycle d'Ardalia, en commençant par le premier tome, Le Souffle d'Aoles. J'en ai tiré au moins un enseignement : en l'absence d'agent littéraire, les auteurs ont tout intérêt à mener eux-mêmes leurs propres expériences de terrain, afin de savoir ce qui leur rapporte le plus en terme littéraire, mais aussi bien sûr, en monnaie sonnante et trébuchante. Car on ne vit pas que de belles lettres, il faut se le dire. Nous autres auteurs avons en outre besoin de confronter nos expérimentations. Nous avons besoin d'éléments chiffrés. De concret, pour sortir des idées reçues. Voici donc un petit exemple pratique, avec le bilan 2010 des ventes du Souffle d'Aoles et des Explorateurs. Dernière précision, si les éditions Lokomodo souhaitent un rectificatif ou un droit de réponse, qu'ils m'envoient les éléments, je les publierai sur ce blog.


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La raison qui m'amène à interrompre le temps d'un billet le travail sur Eau Turquoise, le deuxième tome du cycle d'Ardalia, est celle-ci : nous sommes aujourd’hui le 15 mars 2011, et cela fait un an jour pour jour que Le Souffle d’Aoles est sorti en autoédition. Avant de parler du bilan 2010 de mes deux livres, voici donc le chiffre de vente du Souffle sur un an : 559.

Ce chiffre peut paraître dérisoire. Pour moi, au contraire il représente beaucoup. C’est un accomplissement, et un accomplissement qui n’aurait pas été possible sans ma femme, Anne-Christine. Non seulement elle m’apporte de précieux conseils sur le fond et la forme en phase d’écriture, mais quand je dédicace, c’est elle qui s’occupe de nos deux enfants de trois et cinq ans. S’il y a un héros dans l’histoire, c’est une héroïne, et c’est elle.

Bilan 2010 (premier janvier au 31 décembre) :

Le Souffle d’Aoles (éditions Emmanuel Guillot) : 399 ventes – 2244,49 euros de bénéfice net

Les Explorateurs (éditions Lokomodo) : 67 ventes – 69,66 euros de droits d’auteur

On va me dire, 67 ventes, c’est catastrophique pour une société comme Lokomodo qui est éditeur et diffuseur sur le plan national. En réalité, pas du tout : Les Explorateurs s’était déjà vendu à 73 exemplaires en 2009, ce qui fait un total de 140. Les professionnels vous le diront, pour un recueil de nouvelles de science-fiction d’un auteur inconnu, c’est un chiffre acceptable. En outre, et c’est une donnée fondamentale, la prise de risque de l’éditeur a été minimale : il n’y a pas eu d’à-valoir, le premier tirage était de 100 exemplaires, et le deuxième est également de 100. A ma connaissance, Les Explorateurs a donc jusqu’à présent été rentable pour Lokomodo, et c’est une grande fierté pour moi. Bien sûr, un tirage de 100, tout de même un peu faible, n’autorise pas une très bonne marge pour l’éditeur, mais de ce côté-là, je ne peux que louer la sagesse d’une société qui entend progresser pas à pas, à son rythme.

Pour ce qui me concerne, j’ai procédé par tirages de 250, mais je n’avais qu’un seul livre à gérer, et non 13 (25 à l’heure actuelle) comme Lokomodo.

Là où le bât blesse, c’est donc, on l’aura compris, dans la rémunération d’auteur. Il ne faut bien évidemment pas confondre des droits d’auteur avec un bénéfice net, mais les deux ont tout de même un point commun : c’est cela qui tombe au final dans la poche de l’auteur. Avec plus de 2000 euros de bénéfices en moins d’un an, je peux avoir l’espoir de passer un jour semi-pro. Avec 70 euros, je suis désolé, non. Je sais ce qu’on va me dire : « mais dans un an, dans cinq ans, ça peut tourner. » Oui, certes. Dans un an, dans cinq ans, je peux gagner au loto, aussi. Sauf que comme je l’ai dit quelque part, je ne joue pas au loto avec mon travail.

Ces chiffres en dessous des 100 euros de droits d’auteur par an, ils sont monnaie courante, si je puis dire, dans la petite ou micro-édition. Faisons maintenant un calcul un peu osé : imaginons que nous transformions ces 2244,49 euros en droits d’auteur. Mon chiffre d’affaires sur 2010 a été de 6673,54 euros, mes dépenses ont été de 4429,05 euros. Concernant ses dernières, elles ont été progressives, de 2600 euros au départ, puis ont augmenté au fil des mois. Donc, ce bénéfice de 2244,49 représenterait, si l’on est audacieux, 33,63 % de droits d’auteur.

Alors, il est vrai qu’un éditeur en SARL comme Lokomodo va payer des charges, des frais de location pour gérer les stocks, des frais d’impression plus importants puisque le tirage est moindre, de la TVA…

Mais ce qu’il faut savoir, c’est que pour les Explorateurs :

- la couverture a été gratuite, grâce à la générosité de l’illustratrice

- il n’y a pas eu de corrections, donc pas de frais de ce côté

Alors que si on prend le budget 2010 du Souffle d’Aoles, dans les dépenses, on a le versement de 800 euros à l’illustrateur ( pour les deux couvertures, celle du Souffle et de la suite, Eau Turquoise à paraître en avril 2011), plus 200 euros de frais d’huissier pour le concours d’illustrations. Soit 1000 euros. Donc, c’est vrai qu’en tant qu’autoéditeur, je ne paie pas la TVA, c’est vrai que je n’ai pas non plus eu de frais de correction ni de maquette (j’ai réalisé celle-ci moi-même), mais grosso modo, on peut penser que les fortes dépenses en 2010 compensent le fait que je ne paye ni charge ni TVA.

Quels sont donc les enseignements à tirer de tous ces chiffres ? Eh bien, tout d’abord, cela met fin à l'idée reçue selon laquelle un livre ne peut être rentabilisé, sauf exception, dès la première année : Le Souffle a été rentable en moins d’un an, et il y a fort à parier que Les Explorateurs aussi.

D’autre part, si on avait voulu que l’éditeur répartisse équitablement les gains avec l’auteur, il aurait dû me verser 16% de droits d’auteur. Un éditeur intelligent aurait d’ailleurs tout intérêt à rémunérer encore plus largement un auteur  pour s'assurer sa fidélité et progresser avec lui : 20, voire 25%.

Cela vous semble irréaliste, comme demande ? Il y a au moins une chose, en tant qu’auteurs, que l'on devrait tous négocier : faire en sorte que les livres que nous dédicaçons, en salons, par correspondance ou ailleurs, nous soient rémunérés au minimum à 25 ou 30%. Dites-vous bien que quand vous avez écrit un livre, et que vous l’avez dédicacé, c’est vous qui avez décroché la timbale : vous avez fait au moins 90% du job.

Je pense enfin, que dans le cadre de l’édition à grands volumes, il devrait y avoir un pourcentage minimal de droits d’auteur (je dirais de 25%, on ne pourrait descendre en dessous), et que les pourcentages devraient être indexés sur les ventes. Exemple, vous vendez 10 000 exemplaires ou plus sur une année, vous touchez 50% de droit d’auteur. Ce serait pour moi le pourcentage maximal sur un livre papier, parce qu’il faut aussi rémunérer les différents acteurs de la chaîne du livre. Vous en vendez 3000 l’année suivante, vous retombez à 35%. Evidemment, il serait totalement irréaliste de demander 50% sur des petits tirages la première année. Si j’avais dû le faire pour mon propre cas, je me serais retrouvé avec un déficit de 1100 euros en fin d’année. En revanche, vous pouvez demander 50% des bénéfices de l’éditeur sur votre ouvrage, mais vous perdez alors la référence par rapport au prix du livre.

Si je trouve que l’autoédition, à condition qu’elle soit prise à bras-le-corps, est une bonne expérience, c’est qu’elle apprend la valeur des choses. Aux Etats-Unis, où il y a des agents littéraires, toutes les différentes parties d’un contrat sont négociées. On fait même des contrats spécifiques pour les droits audiovisuels, pour les droits d’une édition de poche ou pour les droits numériques, par exemple. En France, on fourre tout dans un même contrat, et on a de la chance si on parvient à négocier quelque chose à l’intérieur.

Pour finir, le dernier conseil que j’aurais à donner, c’est : ne cédez jamais vos droits à vie (pour la durée littéraire de l’œuvre). Même si vous signez à seulement 5% (de l’esclavage, soit dit en passant), si vous avez signé pour trois ans tacitement renouvelables et que vous en vendez 10 000, dans cette période de trois ans, après remboursement de l’à-valoir, vous serez en position de force, soit pour renégocier, soit pour démarcher d’autres éditeurs – voire les deux. Pourquoi les auteurs ne feraient-ils pas jouer la concurrence des éditeurs, alors que les éditeurs font jouer la concurrence des manuscrits ? Il faut être logique.


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