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"Le Bel Antonio" : noce blanche

Par Vierasouto

Mauro Bolognini 1960, sortie DVD le 5 février 2008


Chronique des mœurs de Catane en Sicile, le film décrit une société macho et cruelle qui détruit encore plus les hommes que les femmes. On a ici la figure non pas d’une mère mais d’un père castrateur, Alfio, le père d’Antonio, qui se vante d’avoir possédé jadis sept femmes en une seule nuit et raille le grand-père qui payait des femmes pour les voir se déshabiller sans rien faire. Ravi que son fils soit un Don Juan, à l'image embellie de son père, Alfio, qui n’a plus les moyens de l’entretenir à Rome, ayant tout investi dans une orangerie, décide de le marier à Catane à Barbara Pugliesi, la belle et riche fille d’un avocat.
La première scène filmée dans la pénombre est sombre au propre et au figuré, une jeune femme partageant le lit d’Antonio lui reproche de ne pas vouloir l’épouser, de ne pas l’aimer comme elle l’aime. La scène est ambiguë, Antonio, lassé, met fin à la conversation. De retour au pays, son père, Alfio Magnano (Pierre Brasseur), l’enjoint de se marier avec la jeune et sage Barbara Pugliesi (Claudia Cardinale). Refusant tout d’abord la proposition paternelle, Antonio (Marcello Mastroniani) trouve par hasard la photo de la jeune fille dont il tombe amoureux sur papier glacé parce qu’elle ressemble à un ange. Filmé en noir et blanc, les intérieurs sombres et peu éclairés, le film est sobre et sec, maniant facilement l'ellipse, coupant brutalement les scènes (la mort du grand-père, pire, la mort du père), dans la droite ligne de l'école du néoréalisme italien.
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photos éditions Montparnasse
En allant demander la main de Barbara, Alfio Magnano est présenté au grand-père, un vieux baron nonagénaire qui meurt dans son lit en s’étouffant de rage de reconnaître l’homme qui lui a bouché la vue en plantant des arbres devant sa propriété des années auparavant... retour à la tragi-comédie italienne. Du cortège qui suit en noir le corbillard, on passe rapidement à la scène du mariage de Barbara en blanc avec Antonio. Les jeunes mariés s’en vont vivre à la campagne. Une scène de baisers d’Antonio sur le corps de Barbara qui fait de la balançoire met la puce à l’oreille, elle lui reproche gentiment ses mille et un baisers depuis des mois. Plus tard, elle demande à la servante comment on fait les enfants, puis, la fait chasser de la maison, cette dernière s'étant moqué d’elle. Après un an de mariage, le père de Barbara, furieux, convoque Alfio, pas moins furieux, pour lui dire que sa fille est toujours vierge et qu’il va demander l’annulation du mariage. La honte s’abat alors sur la famille Magnano, risée de la ville, montrée du doigt.
Alfio Magnano ne s’en remettra pas, cherchant pathétiquement à soutirer à son fils Antonio qu’il a fait exprès de ne pas consommer son mariage. Harcelant le curé cousin de la famille de Barbara, Alfio, le père, tente de remettre en question le sacrement du mariage qui serait sacré et indissoluble mais annulable sans la consommation de la chair pourtant condamnée par l’église… Le père finira par prendre le relais lui-même et aller se rassurer chez une prostituée. La mère, qu’on croyait plus raisonnable, surtout habituée à tout supporter des hommes, revivra quand elle apprendra que la jeune domestique est enceinte d’Antonio et le criera sur les toits dans toute la ville. Pourtant, la mère, elle seule, aura une phrase pour tenter d'expliquer à son mari, qu’à son avis, Antonio a été bloqué par l’ange qu’il voyait dans sa femme. Cette intuition maternelle d'une explication du drame de son fils par une incompatiblité du sexe et de l'amour, on la retrouvera dans la confession d'Antonio à son cousin, Antonio ne peut pas désirer sexuellement les femmes qu'il aime.

Possédant à la fois le culte de la virilité et la condamnation de la luxure, telle est la société méditerranéenne où les codes sont précis et archaïques : hommage au séducteur et à la femme virginale mais malheur à l’impuissant qui ébranle la belle entreprise macho générale, qui compromet la certitude de puissance de ses congénères. De l’amour, il n’est pas question sauf pour Antonio qui rêvait d’épouser un ange qu’il avait cru trouver en Barbara, plus ignorante qu’angélique. Car Barbara est dure et pragmatique, une fois informée de sa situation d’épouse non honorée, comme on disait, elle accepte d’en épouser un autre beaucoup plus riche. Aux regards énamourés d’Antonio, elle ne répondra que par des sourires ou des étonnements, l’expression souvent fermée, sans bonté.

Comme Antonio est triste du début à la fin du film! Quand on lui parle de toutes les femmes qu’il séduit, il hausse les épaules, dément mollement, tristement, pendant ses quelques mois de mariage blanc avec Barbara, son visage est douloureux, plus tard, quand tous se réjouiront de la grossesse de la jeune domestique de la maison, son visage désespéré sera brouillé dans une image embuée, dernier plan du film. Malgré des passages grotesques tragicomiques, jamais le film ne bascule dans la comédie, c'est d'un drame mélancolique qu'il s'agit, le drame de l'impuissance, traitée avec une grande pudeur en démontrant la souffrance muette d'Antonio exprimée sobrement par Marcello Mastroniani (remarquable, une fois encore), un drame, une pathologie vécue comme une exclusion du système viril et qui en entraîne une autre : l'exclusion sociale.
Note : Troisième et dernier film de Bolognini avec Pasolini comme scénariste qui va ensuite tourner "Acatone", "Le Bel Antonio" a obtenu le Léopard d'or au festival de Locarno.

DVD de la nouvelle collection rouge et blanche "pocket" à 10 Euros (comme celle bleu et blanche des films noirs, éditions Montparnasse). Quatre titres pour démarrer : "Le Bel Antonio", "Main basse sur la ville" de Francesco Rosi, "L'Avventura" d'Antonioni et "Les Trois visages de la peur" de Mario Bava. Sortie le 5 février 2008.

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