Instrumentalisé par les grandes puissances pour régler leurs comptes à la Syrie et à l'Iran via le Hezbollah chiite libanais, le tribunal spécial pour le Liban à travers son acte d'accusation du 17 janvier 2011 plonge dans l'incertitude ce pays politiquement et confessionnellement fragile.
Le 14 février 2005 à Beyrouth, un odieux attentat terroriste à la bombe coûte la vie à 23 personnes parmi lesquelles Rafic HARIRI, ancien Premier ministre libanais de 1992 à 1998 puis de 2000 à 2004 et grand acteur de la reconstruction du Liban depuis la fin de la guerre civile en 1989. Cette mort atroce de l’ami personnel du Président français de l’époque Jacques Chirac provoque sur la scène politique et religieuse libanaise une véritable onde de choc dont les effets se font encore sentir 6 ans après. Mais il faut dire que la mort de Rafic HARIRI intervenait dans le cadre d’un contexte marqué par les ingérences étrangères au pays du cèdre.
Ci-contre, images vidéo enregistrées immédiatement après l'attentat, à Beyrouth Autres articles avec des tags similaires
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Un petit pays convoité
Illustration (c) Art-Stok En raison de sa situation géographique ou géostratégique sur la bordure orientale de la mer Méditerranée ainsi que de sa composition ethnico-religieuse, le Liban, petit pays du Proche-Orient de 10400km2 a depuis des siècles toujours été l’objet de convoitises, d’occupations, d’ingérences et d’influences extérieures. En effet, occupé par l’Empire Ottoman dès le XVIe siècle, le Liban est placé en 1922 sous mandat français par la Société des Nations (SDN). En 1941, le Liban accède à l’indépendance. Mais ce pays sort de la colonisation avec un fragile équilibre confessionnel entre les chrétiens maronites, les musulmans chiites et les musulmans sunnites. Ces 3 communautés religieuses vont alors conclure en 1943 un pacte national établissant un régime confessionnel et partageant le pouvoir entre elles. Ce pacte national stipule que le Président de la République doit être un chrétien maronite, le Premier ministre un musulman sunnite et le Président du parlement un musulman chiite.Mais la première rupture de ce fragile équilibre intervient dès1948-1949 avec l’afflux des réfugiés palestiniens chassés de leurs terres par les Juifs dans le cadre de la première guerre israélo-arabe. Cette arrivée massive des Palestiniens va se poursuivre dans les années 50 et 60 au fil des heurts entre Arabes et Juifs en Palestine d’où les tensions entre chrétiens et musulmans au Liban. Ces tensions vont culminer une première fois en 1958 avec une guerre civile qui va ensanglanter le pays et susciter l’intervention américaine. Mais le pire restait à venir car la guerre de 1958 n’était que le prélude de la sanglante guerre civile qui, débutée le 13 avril 1975 ne va prendre fin que 14 ans plus tard avec les accords de Taëf du 22 octobre 1989. Au cours de cette guerre civile qui opposait les milices chrétiennes aux forces islamo-progressistes soutenant les Palestiniens, les ingérences étrangères au Liban vont atteindre leur paroxysme. En effet, pour les raisons évoquées ci-haut, ce minuscule pays va devenir une véritable unité de mesure des conflits sanglants qui vont déchirer le Proche et le Moyen Orient dans le cadre de la guerre froide, des guerres interarabes sans oublier la terrible guerre Iran-Irak de 1980 à 1988. La guerre civile libanaise pouvait alors être interprétée
comme un conflit entre les puissances régionales et internationales qui s’affrontaient par l’intermédiaire de leurs pions au Liban à qui elles apportaient de l’argent et des armes.
D’abord, c’est la Syrie qui envahit le Liban en juin 1976 dans sa traque des fédayins de l’Organisation pour la Libération de la Palestine (OLP) ainsi que des membres du Mouvement National Libanais et cette occupation syrienne va se poursuivre sans interruption jusqu’à l’assassinat de Rafic HARIRI en 2005. En effet, dès la mort de ce dernier, Damas va subir les feux nourris des grandes puissances et plus particulièrement la France de Jacques CHIRAC et les Etats-Unis de George Walker BUSH qui exigeait la mise en application immédiate de la résolution 1559 votée par le Conseil de Sécurité de l’ONU le 2 septembre 2004 et qui demandait le retrait syrien du Liban et un désarmement des milices libanaises parmi lesquelles le Hezbollah soutenu par la Syrie et l’Iran des ayatollahs.
A côté de la Syrie, l’autre puissance occupante du Liban va être Israël soutenu par les Etats-Unis. Une première occupation israélienne entre mars et juin 1978 va précéder la mise en place d’une Force Intérimaire des Nations Unies pour le Liban (FINUL). Mais c’est surtout le 6 juin 1982 qu’Israël lance l’opération "Paix en Galilée" en envahissant de nouveau le Liban et en organisant le siège de Beyrouth dans sa traque de Yasser ARAFAT et des combattants palestiniens qui vont finir par évacuer la capitale libanaise sous la protection d’une force multinationale. Cette occupation israélienne culmine en septembre 1982 avec les épouvantables massacres de 3000 refugiés palestiniens perpétrés dans les camps de Sabra et Chatila par des extrémistes libanais soutenus par les troupes israéliennes qui recevaient leurs ordres du belliqueux général Ariel SHARON. Le 10 avril 1996, Israël déclenche une autre opération dite "Raisins de la Colère" en envahissant de nouveau le Liban en représailles aux tirs de roquettes du Hezbollah. Cette nouvelle invasion est surtout marquée le 18 avril 1996 par le massacre d’une centaine de civils libanais qui s’étaient réfugiés dans un camp de l’ONU à Cana. Finalement, c’est en mai 2000 sur ordre du Premier ministre israélien Ehoud BARACK que l’armée israélienne va précipitamment se retirer du territoire libanais à la suite d’une offensive du Hezbollah. Toutefois, Israël ne se retire pas totalement du sud du Liban car il conserve une zone appelée les fermes de Chebaa et ce sera la source de tensions permanentes entre l’Etat hébreu et le Parti de Dieu. La Syrie et Israël s’étant retirés du Liban, l’ère des ingérences étrangères n’était pas pour autant révolue pour ce pays.
L’ingérence judiciaire
Après le retrait israélien et syrien du Liban, les grandes puissances vont continuer à manipuler les hommes politiques libanais par l’intermédiaire de la justice internationale. Cette ingérence judiciaire va commencer à se manifester dès le 7 avril 2005 lorsque le Conseil de Sécurité de l’ONU, sollicité par Beyrouth, adopte la résolution 1595 créant une commission d’enquête internationale indépendante présidée par le magistrat allemand Detlev MEHLIS qui doit rechercher et poursuivre les assassins de Rafic HARIRI. Menée au pas de charge et de manière quasi inquisitoriale, l’enquête du juge MEHLIS, qui avait reçu les mains libres pour mettre pratiquement sous tutelle les gouvernements de Beyrouth et Damas, aboutit les 19 octobre et 10 décembre 2005 à la publication des premiers rapports qui pointaient un doigt accusateur sur de hauts responsables libanais et syriens considérés comme auteurs ou complices de l’attentat du 14 février 2005. Le tollé et les controverses soulevés par l’enquête du juge MEHLIS vont exacerber davantage les tensions politico-religieuses au Liban. Croyant y mettre un terme, l’ONU va remplacer l’Allemand MEHLIS par le criminologue belge Serge BRAMMERTZ qui va utiliser une méthode plus prudente et moins provocatrice dans ses enquêtes.Pendant que l’enquête internationale indépendante se poursuit encore, le gouvernement libanais de Fouad SINIORA soutenu par la France, les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite demande à l’ONU le 13 décembre 2005 de créer un tribunal à caractère international pour rechercher et juger les assassins de Rafic HARIRI. C’est dans ce contexte que le 30 mai 2007 est votée par le conseil de sécurité de l’ONU la résolution 1757 créant le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) basé à La Haye aux Pays Bas. Ce tribunal est officiellement inauguré le 1er mars 2009 avec l’entrée en fonction de son procureur Daniel BELLEMARE et ceci au lendemain de la fin du mandat de la commission d’enquête internationale indépendante.
Il faut dire que la création du TSL était une grande première mondiale car c’était la première fois qu’un tribunal international était mis en place pour juger un assassinat politique. Jusque là, les tribunaux internationaux que ce soit pour l’ex-Yougoslavie, le Rwanda ou la Sierra Léone étaient destinés à juger les crimes contre l’humanité voire les génocides. C’est dire que l’ONU considérait l’assassinat d’HARIRI comme une atteinte à la paix et à la sécurité internationale et l’inscrivait dans le cadre du chapitre 7 de sa charte qui prévoit des mesures coercitives en pareille occasion.
Lorsque le 17 janvier 2011 le procureur Daniel BELLEMARE remet au juge Daniel FRANSEN l’acte d’accusation impliquant de hauts responsables du Hezbollah dans l’assassinat d’HARIRI, le Secrétaire Général du Parti de Dieu Hassan NASRALLAH considère cela comme une provocation. Le Hezbollah va se retirer du gouvernement d’union nationale laborieusement mis en place en mai 2009, provoquant la chute de ce gouvernement présidé par Saad HARIRI qui avait refusé de se désolidariser du TSL. Saad HARIRI va être remplacé par le sunnite Najib MIKATI proche d’Hassan NASRALLAH mais aussi du président Bachar Al-ASSAD de Syrie et du Roi ABDALLAH d’Arabie Saoudite. Malgré cette position apparemment consensuelle du nouveau chef de gouvernement, les sunnites de Saad HARIRI instrumentalisés par les Etats-Unis, la France et Israël vont catégoriquement refuser de coopérer avec lui. C’est pour cela qu’à l’heure actuelle, le Liban est dangereusement divisé en 2 camps antagonistes se regardant en chiens de faïence et prêts à en découdre à tout moment. D’une part, la majorité des sunnites conduite par Saad HARIRI soutenu par une partie des chrétiens conduits par Amine GEMAHEL et Samir GEAGEA. D’autre part, la presque totalité des chiites conduite par Hassan NASRALLAH et Nabih BERRI soutenus par l’autre partie des chrétiens conduits par Michel AOUN et par le chef des Druzes Walid JOUMBLATT. Cette division politique et confessionnelle du Liban plonge à nouveau ce pays dans l’incertitude car on peut qualifier la situation actuelle de guerre civile larvée ou de paix armée. Une conflagration entre les deux camps ne peut être évité que si le TSL tempère ses ardeurs et que certains apprentis-sorciers de la vie internationale qui tirent les ficelles dans l’ombre se rendent enfin compte que les Libanais ont assez souffert. Il ne faut pas aussi oublier la menace représentée par Israël qui prenant prétexte de la présence du Hezbollah au pouvoir pourrait être tenté de se venger de sa quasi défaite subie en juillet 2006 au cours de sa guerre contre le Parti de Dieu.
Deux poids deux mesures
La création du TSL est une manifestation flagrante de la politique de deux poids deux mesures dans les Relations Internationales. En effet, avant l’assassinat de Rafic HARIRI, plusieurs crimes similaires commis au Liban ou ailleurs dans le monde n’avaient jamais mobilisé à un tel point l’ONU et les grandes puissances. Ce fut le cas en 1987 de l’assassinat du Premier ministre libanais de l’époque Rachid KARAME. Accusé d’avoir commis ce crime, Samir GEAGEA bien qu’ayant été emprisonné a bénéficié en juillet 2005 d’une loi d’amnistie sans que la justice internationale ne s’en émeuve outre mesure. On peut aussi mentionner la mort de 1200 civils libanais tués par Israël lors de la guerre de juillet 2006. Pourtant, malgré les flagrants crimes de guerre commis par Israël durant cette guerre, le Conseil de Sécurité de l’ONU va rejeter la demande faite par les pays arabes de saisir la Cour Pénale Internationale en vue de poursuivre éventuellement les responsables israéliens. Rappelons aussi que les massacres de Sabra et Chatila sont restés impunis car le général Ariel SHARON n’a jamais été inquiété par la justice. En revanche, c’est à une vitesse déconcertante que le Conseil de Sécurité de l’ONU vient de saisir la Cour Pénale Internationale en vue d’ouvrir une enquête sur les éventuels crimes de guerre commis en Libye par Mouammar KADHAFI. Ces quelques faits pris parmi tant d’autres montrent une justice internationale sélective manipulée par les grandes puissances au gré de leurs intérêts. C’est pour cela que la justice internationale souffre actuellement d’un déficit de crédibilité qui est loin d’être comblé.
Liban_justice_internationale.mp3
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Simon Yefou, le 16/03/2011