Magazine Cinéma

Bienvenue à Gattaca

Publié le 16 mars 2011 par Flow

Bienvenue à Gattaca.

(réalisé par Andrew Niccol)

Fausse dystopie.

 

 

Il y a un moment que je voulais voir ce film. L'anticipation est mon genre favori car elle permet, lorsqu'elle est bien menée, de larges questionnements. Et Bienvenue à Gattaca est indéniablement bien mené. En abordant le thème difficile de l'eugénisme, l’écueil était de se perdre dans des considérations méta harassantes. Mais heureusement, la subtilité est de mise. Réflexions.

 

Bienvenue-a-Gattaca.jpg

 

L'histoire prend place dans un futur proche. Cette phrase lâchée au début du long-métrage l'ancre dans l'anticipation. Il nous est donné à voir un monde dystopique dans lequel les êtres humains sont soumis à la sélection génétique dès le stade embryonnaire. Une fatalité écrasante, organisatrice d'une société raciste et forcément inégalitaire. Le monde est devenu froid, la vie, une expérimentation. Car les bébés sont crées grâce à la fécondation in-vitro afin que les scientifiques puissent privilégier les meilleures gènes des parents. L'acte sexuel dans le but de donner la vie est une folie car votre enfant sera soumis à l'imperfection et à la maladie. Pourtant, c'est le moyen qu'ont choisi les parents de Vincent (Ethan Hawke), très pieux. Le résultat s'avère désastreux. On décèle chez le bébé des risques cardiaques, une possible schizophrénie et une espérance de vie limitée à une trentaine d'années. Pourtant, Vincent en grandissant, aspire à de grandes choses qu'on lui répète impossibles...

Eugénisme.

Revenons tout d'abord, dans le but de mieux comprendre le film, sur la doctrine eugéniste. L’eugénisme peut être désigné comme l’ensemble des méthodes et pratiques visant à transformer le patrimoine génétique de l’espèce humaine, dans le but de le faire tendre vers un idéal déterminé. Il peut être le fruit d’une politique délibérément menée par un État. Il peut aussi être le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents, dans une société où primerait la recherche de l’ « enfant parfait », ou du moins indemne de nombreuses affections graves.

Que ce soit dans la Sparte Antique qui, selon la légende, éliminait dès la naissance les enfants faibles et malades afin de ne conserver seulement ceux qui deviendraient de grands soldats; les états au XIX et XXèmes siècles (stérilisation forée de criminels, d'alcooliques...); la dérive étatique nazie visant à la purification de la race allemande; ou encore les progrès scientifiques actuels qui permettent que ces modifications soient réalisées au stade embryonnaire (fécondation in-vitro, dépistage de maladies, choix du sexe,...); toutes ces manifestations du phénomène font de l'eugénisme une réalité concrète et non une possibilité.

Fausse dystopie.

Voilà pourquoi ce film est génial. Sous les couverts d'une dystopie qui mettrait en garde contre la possibilité d'un tel futur, il nous montre des faits soient passés: l’institutionnalisation de l'eugénisme (c'est ce qu'a perpétré le nazisme), l'élimination des maladies en général (les États s'y sont adonnés au siècle précédent) et les dérives scientifiques réalisées sur les fœtus sont actuelles. La technologie, bien que plus imprécise existe déjà. Alors oui, la dystopie dans tous les cas condamne des dérives de son époque en les projetant sur l'avenir mais jamais l'emploi de cette technique ne s'était autant confondu avec la réalité.

Contrepoids: l'humour.

Revenons-en au contenu du film. Déjà, inutile de signaler à quel point les acteurs sont bons. Ethan Hawke ne l'a jamais autant été, Jude Law est extrêmement attendrissant et la relation qui les unit n'en est que plus forte. Même Uma Thurman, que j'exècre, est parfaite dans son rôle de femme fatale mais fragile. Par ailleurs, la réalisation est solide et les décors glacials de Gattaca donnent une dimension supérieure au film.

En contrepoids à toute cette dureté, le film se permet de détendre l'atmosphère avec des touches d'humour. Ces dernières se basent souvent sur le décalage entre des détails significatifs de cet univers que l'on juge inimaginables dans la réalité. Par exemple, lorsque le policier se fait défoncer la tronche et que son supérieur lui demande de ne pas avaler sa salive afin qu'on puisse retrouver le coupable. Les détails de ce genre pullulent. C'est donc un humour fin et assez drôle. L'enquête policière est en fait très cocasse grâce à ces méthodes bizarres. Mention spéciale tout de même (attention spoilers) à la façon dont Ethan Hawke se fait démasquer par le scientifique: un droitier ne tient pas son manche avec sa main gauche. Irrésistible!

Dangereuse normalisation.

Étudions à présent le sens du film. Il montre de manière concrète l'hypocrisie d'une société (qui est la nôtre donc). En effet, il est clairement établi que le racisme génétique est totalement interdit. Les enfants nés naturellement ont, dans les faits, les mêmes chances que les bébés éprouvettes les mieux lotis, c'est à dire la nouvelle élite sociale, l'élite génétique. Mais on voit bien lorsque les parents de Vincent veulent l'inscrire à l'école qu'une norme s'est instaurée dans l'inconscient collectif. En effet, l'assurance de cette dernière ne couvre pas les risques liés aux dégénérés. En fait, ce que nous décrit Andrew Niccol c'est un monde qui a accepté une nouvelle norme et chaque être humain se définit par rapport à elle. Normal (l'élite de Gattaca) et Anormal (Vincent et les autres naturels). C'est le véritable danger de l'eugénisme actuellement. Il est interdit par la loi mais sa pratique rentre peu à peu dans la norme. Des exemples? Lorsque Sarkozy vise une partie précise de la population c'est de l'eugénisme. Lorsqu'il dit qu'il faut déceler les criminels sexuels dès la maternelle c'est encore de l'eugénisme. Plus généralement, toutes les pratiques génétiques réalisées au stade embryonnaire font partie de ce que le professeur Jacques Testart appelle un eugénisme démocratique, doux et insinueux. Je ne porte aucun jugement en disant cela mais à titre d'exemple, 96% des embryons qui sont dépistés trisomiques connaissent un IVG. Évidemment, il n'y a pas d'obligation, dans la loi, de réaliser une telle procédure (et heureusement) mais la norme étant ce qu'elle est, on est conscient de la difficulté d'élever un enfant trisomique. D'où le nombre élevé d'IVG à mon avis. Alors je ne sais pas si c'est bien ou mal, il y a matière à débat mais le film a le mérite d'attaquer le sujet de front.

Plaidoyer pour le libre-arbitre.

A aucun moment le film ne remet en cause l'utilisation de la génétique. Non, il condamne plutôt un oubli majeur des théories eugénistes: le libre-arbitre et la maxime suivante: la Vie trouvera toujours un chemin. Attention, je vais évoquer en détail la fin du film. Pour montrer le poids du libre-arbitre par rapport à celui de la fatalité, le film établit des parallèles. Vincent est condamné depuis l'enfance (par son père même) à des métiers qu'il déteste, à la maladie et à la mort. Son frère, lui, a été conçu dans une éprouvette et il a tout pour lui. Vincent, pourtant, a une grande force de caractère et son rêve est d'aller dans l'espace (peut être pour quitter ce monde qui le rejette) mais seul l'élite génétique peut s'y rendre. Trois éléments font par la suite l'apologie du libre-arbitre. Tout d'abord, son frère qui lui est supérieur ne peut vaincre sa détermination. Ils s'affrontent depuis qu'ils sont gosses dans un jeu débile: celui qui nage le plus loin. Alors que le frère gagne à chaque coup, un jour, il perd. Événement qui se reproduira à l'âge adulte. La détermination de l'esprit a vaincu le déterminisme établi dans les gènes de Vincent. Deuxième élément. Un meurtre est commis à Gattaca. Alors que le meurtrier semble être un dégénéré dont la violence est assurée par le code génétique (Vincent), la police fait fausse route et le meurtre était d'une banalité affligeante. Le film laisse un court instant planer le doute sur la culpabilité de Vincent mais une fois de plus, le libre-arbitre l'emporte sur la génétique. Dernier élément mais non moins intéressant, le saisissant parallèle entre Vincent et Jérôme (Jude Law). Le second est un être parfait génétiquement mais alors qu'il se destine à une carrière de champion de natation, un accident (qui n'en était pas un) le paralyse à vie. Cet homme brisé voit son monde vaciller car il n'est plus l'être supérieur prédit par son génome. Et il offre son identité à Vincent qui malgré son faible potentiel génétique parvient à intégrer le programme spatial. Le film se termine avec une scène très émouvante. Alors que Jérôme se suicide, Vincent réalise son rêve et part pour l'espace. L'être parfait meurt en abandonnant son destin lumineux à un sous être génétique qui n'avait pour lui que sa détermination. Un vibrant et émouvant plaidoyer qui se révèle puissant et optimiste.

“Ne vous enchaînez pas à vos gènes disait le génial Hideo Kojima dans son non moins génial Metal Gear Solid. Le parallèle entre le film et ce jeu m'est apparu immédiatement. Ils partagent tous les deux les mêmes thématiques. Dans l’œuvre vidéoludique, deux frères jumeaux s'affrontent et le seul qui survit est celui qui ne laissait pas ses gènes dicter ses actes. Le jeu partage avec le film cet optimiste et ce refus de la fatalité. Essentiel.

Les+ :

- Pertinent.

- Interroge nos valeurs.

- Trop bien en fait...

Les- :

- Quelques temps morts.

Note:

3


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Flow 261 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines