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Raharimanana : Les cauchemars du gecko

Par Gangoueus @lareus
Raharimanana : Les cauchemars du geckoLe gecko est un étrange animal. C’est une forme de lézard que l’on retrouve souvent dans les demeures sous les tropiques. Animal paisible et discret, étrangement, alors que blattes et cafards, rats et moustiques font sauter au plafond le plus zen des humains, le gecko triomphe par son apparente non-présence. Je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu le cri d’un gecko.
Imaginez donc les cauchemars du gecko. Cette petite bête silencieuse en présence de laquelle l'homme du sud exprime toutes ses frustrations, ses rancoeurs, ses espérances. On peut penser que ces cauchemars de tout ce qu’il a absorbé auprès des humains des pays chauds sont riches d'enseignements.
Les séquences se succèdent. Textes courts. Poésie. Slam. Coups de gueule. Coups de griffe. Coups de plume. Les maux décriés sont étalés sur des thématiques très différentes : la mondialisation, le sarkosysme, l’exclusion sociale, la colonisation, le colonialisme, la démocratie, les dictatures tropicales, l’esclavage, le génocide rwandais, le duvaliérisme, l’écologie… Présenter comme cela, ces cauchemars du gecko peuvent paraître sous la forme d’un fourre-tout, une concaténation de cris différents, distincts, une cacophonie sans nom.Raharimanana : Les cauchemars du geckoPhoto Gecko - copyright Wahj
Non. Il n'en est rien. Les indignations sont multiples, mais très justes dans leur énonciation, portées par la plume très libre, engagée, originale de Jean-Luc Raharimanana. Un cri qui interpelle. Je les ai lues à haute voix ou en les murmurant, ces indignations, ce texte magnifique, selon mon positionnement dans les rames de train.
Les mots du gecko ne sont pas de tout repos, il entend des choses qu’on n’est pas sensé dire en public. Il en rit. Il en pleure. Il crie?  Comme le regard sur le 11 septembre vu par un homme quelque part dans le Tiers monde. Il gènera certains. Il est, de mon point de vue, important de prendre le temps de rentrer dans cet univers pour comprendre la pensée profonde de l'homme de lettres malgache et y voir un appel au dialogue.
Je terminerai en soulignant la présence de la photographie dans ce bel ouvrage. Elle est dans sa forme très proche du texte, sombre, floue. Ces clichés qui interrompent l'écrit nécessitent le recul du lecteur pour comprendre l'image.
Ce qui nous lie n'est pas la mémoire mais bien l'oubli noir que personne n'ose enjamber de peur de rencontrer l'innommable, est-ce l'histoire que d'oublier ce qui n'est pas à retenir, la honte et le scandale de soi, l'inhumanité.
La peur du gecko, l'inanité de vouloir l'attraper. Bête visible mais impossible à attraper, le son, son cri, gecko, gecko, gecko, comme ailleurs, son, son absurdité de marcher sur les murs, au plafond, la crainte du sang froid du reptile collé à la peau suante. Sa gueule de foetus de chair et de peau transparentes et de grands yeux, comme inachevée, là, nous confondant sur l'impossible : marcher sur les murs, l'invisibilité visible, foetus mouvant, langue qu'il vomit, gecko n'attaque pas, gecko reste immobile, gecko partout, à n'importe quel endroit, gecko derrière soi, gecko dans les plis du sommeil, cette peur qu'il installe, et pourtant il n'a que moustiques à gober[...].

Page 47, Editions Vents d'ailleurs
Bonne méditation,
Raharimanana, Les cauchemars du gecko
Editions Vents d'ailleurs, 1ère parution en 2011
Photo Jean Luc Raharimanana - Copyright  MJ_Deharo

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