ODE DE MES PEINES
Peut-être que quelqu’un, que quelques-uns
veulent savoir
quelque chose de moi.
Je m’interdis
de parler de mes peines.
Encore jeune, presque vieux
et suivant mon chemin
je ne puis
sans
épines
couronner
mon coeur
qui a tant
travaillé,
mes yeux
qui ont exploré la tristesse
et sont revenus sans pleurs
des embarcations
et des îles.
Je vais vous raconter comment
quand je suis né
les hommes, mes amis,
aimaient
la solitude, l’air
le plus lointain,
et la vague aux sirènes.
Je suis revenu
des
archipels,
je suis revenu des jasmins,
du désert,
pour être,
être,
être,
avec d’autres êtres,
et quand j’ai été,
non pas ombre ni évadé,
un humain, j’ai reçu les chargements
du coeur humain,
les perfides cailloux
de l’envie,
l’ingratitude servile de chaque jour.
Reviens, Monsieur, susurrent
de plus en plus lointaines les sirènes :
elles fouettent l’écume
et coupent de leur queue
argentée
la transparente
mer
des souvenirs.
Nacre et lumière mouillées
comme des fruits jumeaux
à la clarté de la lune enivrante.
Ah! et je ferme les yeux.
Le murmure du ciel dit adieu.
Je vais à ma porte recevoir des épines.
(Pablo Neruda)