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Inzeste, de Thomas Lair (Paul de Brancion)

Par Florence Trocmé

Lair-inzeste (1) Là, le titre est juste en plein dans le mille. C'est une ode amoureuse, effarée d'intelligence perdue. La phrase déchirée, le verbe désossé, partagée toute la longueur se lit comme un texte continu ou partiel, selon le bon vouloir du lecteur. Paradoxe, la brisure de la phrase rend la litanie incohérente, alors que la performance manifeste qui surgit à la lecture en continu déroute, dérive et devient alors accumulative. On est brisé dans notre lecture suspendue, à tout le moins essoufflé, accablé, comme le fils accablé par l'amour de sa mère : 
 
« La destinée est ainsi faite d'être sous la loi de Maman ».  
 
On est dans la virtuosité absolue de Mathias Lair. L'auteur, soumis au ravage brillantissime du savoir de la psychanalyse, de la sémiologie,  de l'objet « petit a », du signifiant etc.  
Ça dépote un max ! 
 
Pas né  mais  
néné  pas deux fois 
né  mais  
nez à nez dans  le même  
air respiré  (p. 31). 
  
Le reste est du même bois, mais la lettre tue :  
 
Entre la matrice et le monde  comme  
un hiatus  dedans je suis  
  
(bien vu !). 
  
dans quelle folie 
maternelle  entre la vie  
et le monde  où je flâne 
je n'en suis pas  encore  
né  à cinquante ans 
faire constat  de non-vie  
tout ce temps  dans le rien 
criant  ne pas   être et faire 
pourtant  comme toute bête  
ne pas être  sujet(…)  
  Cette blessure que  
leur épargner  j'aurais voulu 
de génération  en génération 
la blessure  reportée  
cette infection. (p. 35).  
 
Voilà, c'est dit. Il s'agit de juguler cette infection qui tue.  
On est sous la loi de Maman jusqu'au chapitre intitulé « Voix » qui est à mon sens sublime. Le hiatus est justement situé entre la voix matricielle de la mère  et  son corps ( le corps d’elle) en lui : 
 
/il faut le sens   pour démonter  
le traficotage d'inceste    je sais  
le deviner  sous les religieux délices
 /. (p. 41) 
 
pas  de point  
de fuite pour  ordonner ce monde  
pas  d'autre horizon  que cette gorge profonde" (p. 42).  
 
On a la voix d'elle ou par excès ou par défaut, nous les hommes :  
 
La voix qui vient est    d'une  
idole ma voix  qui monte  
s'adresse à quelle  morte la voix  
toujours de ce qui  n'est pas là 
en même temps  ma substance  
disparue  elle est   
ce qui n'est pas  et  
dans cet  écart  
pleurer  comme on jouit  
l'amour  est cette voix.(p. 44) 
 
Se souvient-on, petit, à certaines époques où la voix mue de ce changement étrange où de soprano on devient baryton . On baisse comme des montagnes russes et parfois, si la nature nous a donné une mère à voix chantante et haute, ne voilà-t-il pas que nous nous prenons à monter vers l'aigu – une fois l'adolescence passée – au téléphone, cela donne : 
- Bonjour madame 
- J'suis pas une dame ! Je suis un monsieur ! (baissant le ton de la voix exagérément vers le bas) 
- (l’interlocuteur ou plus vexant l’interlocutrice) Oh, pardon, bonjour monsieur ! 
 
Ils nous auront pris pour elle, pour Maman :  
 
L'amour est cette voix  
ou bien dans la voix  demeurer 
travaillé  par l'absence (p. 45).  
 
Voilà, de la voix à la langue, il n'y a qu'un pas, un bord (de mère naturellement). Mathias Lair cherche à « forger une langue étrange inaccessible ». Il y arrive magistralement. Cela peut-être un peu perturbant pour le lecteur non gymnaste, mais c'est absolument salutaire pour l'esprit de se plier à cette duplicité virtuose qui est sienne.  
Continuons. Le dernier chapitre s'intitule « Bord de mère » (je vous l'avais dit, bord d'elle, donc), l'affaire continue, elle est interminable, ça dure. Cela ne terminera donc jamais, cela monte en beauté :  
 
Être c'est me  défaire  
de Maman  le monde  
entier  est gagné  
(gâché)  par elle (…)  
Au moins  si  
je pouvais  la rafistoler pour  
qu'elle parte  ailleurs 
sur son chemin  sans  
moi (…) 
Recracher  
le lait  
qui m'a   fait  
pour naître  
(n'être) (p. 58 ) 
 
Voilà, c'est fini, toute cette permanente transportation de l'Œdipe douloureux ressassé, aveuglé, perçu, perclus et courageusement chahuté, affronté par les mots, il reste.  
 
Et quand  m’aime  
ne puis  le nier quand  
elle part  avec  
dans son panier  le monde  
entier  après m'avoir  
tué  d'un sourire  
d'amour  s'évanouissait  
me laissant  suspendu  
de l'amour  à la haine 
ne me laissant  m’aime  
pas une bonne  pure  
haine  mais des  
chausse-trapes  seule 
ment. (p. 61) 
 
Magnifique épitaphe, on n'est pas loin du rythme du grand François Villon. Nous sommes tous des pendus provisoires, n'est-ce pas ? 
Voilà Inzeste tel que je l'ai lu. Il reste l'amour, le sentiment qui ne laisse pas indifférent ni même un différent. 
 
Paul de Brancion 
 
Mathias Lair 
Inzeste 
Gros Texte 
8 € 


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