Écrire a l’air d’être, assez, une affaire de désir. Phrase trop difficile à coucher ici sur le papier puisque je sais si mal ce que veut dire écrire, et que je sais si peu à propos du désir. Ce qui me permet, à bon compte, de rapprocher les deux mots. Écrire ou désir : affaire d’ignorance.
*
Quand même ce sentiment qu’une même sorte de tourment est là (et déjà du plaisir dès que je crois écrire ou draguer.)
*
Lecteur qui m’avait pas prévu.
Écrire comme on drague. L’écriture comme une rencontre. Les mots que me tend l’autre toujours : avec sa joue qu’il m’abandonne sans me connaître ; dictionnaire et sa couverture de carton rose dans l’enfance j’y faisais des trous en y découpant des figures d’animaux jamais vus : oui, et depuis, la zorille et l’agouti me mangent le cul en caressant mon cœur. Lecteur que j’avais pas prévu.
*
J’ai envie d’écrire. « Ça te prend-y pas comme un envie de chier ? » dirait mon père. Ou Rabelais : rondeau en chiant. C’est pas la peine de chercher un ange, on n’en voit jamais.
*
Non, le désir d’écrire ne m’emporte pas jusque dans la mort. Et peut-on vraiment parler de plaisir (je ne meurs pas de ne pas mourir ?) M’emporte-t-il seulement jusqu’au silence ? Il me jette dans l’ignorance plutôt : comment c’est venu ce vouloir écrire ? Comment ça s’est fait l’écriture ? Et maintenant, ce que voilà d’écrit, c’est quoi ? Risquer le mot « plaisir », le mot « inquiétude », ou de façon plus savante, le mot « trace » (et celui-là, tout pareil, remet ensemble le mot « dieu » et sa merde), les mots « impossible », « improbable », « inespéré », tant d’autres : qu’est-ce qu’on explique ?
Le désir m’emporte jusqu’au commencement du désir d’écrire.
*
Oui, on peut décider d’écrire un poème comme on drague ou comme on va faire un tour au bordel. Ou à l’épicerie du coin. On croit savoir un peu ce qu’on va trouver ; exemple, si on est en train d’écrire en pensant à des ânes qu’on a connus, le mot « âne ». Mais peu à peu tout s’arrange (en même temps que ça se défait) autrement qu’on a pu prévoir. Putain comme presque une maman qui me dit comment faut faire, j’ai pas voulu qu’elle me prenne dans sa bouche, à la fin le plaisir est-il venu quand même ? Je m’en souviens plus. J’ai recommencé avec mon dictionnaire. A chaque fois j’ai l’impression d’apprendre quelque chose : en même temps j’oublie tout.
James Sacré, Le désir échappe à mon poème, Al Manar, 2009, pp. 9-12
Jean-Pascal Dubost