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Marcher pour Saint Paul

Par Memoiredeurope @echternach

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Le chauffeur de taxi a appuyé sur un chiffre dans la liste de sa sélection. Norah Jones sera donc notre compagne durant une demie heure. Le paysage est mouillé. Les citronniers et les orangers attendent l’été. Mais ils ne connaissent pas l’hiver, paraît-il.Et pourtant hier il a fait un froid à glacer les os. Entre deux éclats du soleil. Question d’habitude sans doute. 

Tout le monde pense à Syracuse se trouver à portée des fusées de Kadhafi. Lampedusa peut-être ? Mais ici, il est vrai, c’est un peu comme si nous étions une extension de Malte. Ou l’inverse ! La surface de côte qui s’étend de Syracuse jusqu’à l’Etna est déjà en partie en Afrique, ou du moins la séparation ne semble pas si éloignée dans le temps. On peut donc comprendre que tout le monde se sente comme sur un porte avions. L’empathie avec le Japon est par ailleurs totale. Nous sommes en terre de tremblements et le Val de Noto, bien restauré, inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial est là pour en témoigner.

J’avais juré, il y a quelques années que je ne travaillerai jamais avec la Sicile. Et puis voilà ! Les Phéniciens m’y ont parfois retenu. Cette fois il s’agit de saint Paul. C’est probablement plus important pour mon salut dans l’éternité.

Mais je ne connaissais pas encore cette partie de l’île. Elle est en effet tout autre. Terriblement théâtrale. Si elle a failli mourir plusieurs fois dans les décombres de ses palais, elle a aussi tout fait pour ressusciter. Avec encore plus d’emphase, mais aussi un sens véritable d’éternité. Non pas cette emphase qui donne de la sûreté de soi, mais celle qui accorde de la nonchalance à tous ceux qui pensent que l’altération de la pierre n’est pas si grave ou bien même que, au contraire, elle introduit le drame à la surface des murs, elle garde la menace au dehors et transforme les murs en sarcophage, usé par l’haleine de la mer. On garde ici le sens d’être déjà derrière les cloisons d’un tombeau. On en sort donc surtout la nuit.

Je t’aurais tant aimée, semblent dire les habitants. Mais cela ne s’est pas vraiment accompagné des soins nécessaires. Ils ont simplement mis en place sur le balcon des plantes grasses, entre les linges. Et elles ont fleuri toutes seules.

Cette partie de la Sicile qui a été distinguée pour son baroque tardif et qui fait aussi la démonstration d’un irrépressible sens du rituel, veut célébrer saint Paul. Elle veut qu’on se souvienne que la Terre Sainte est si proche, que les évangélisateurs sont très vite arrivés ici. Saint Paul, l’incrédule dont il a fallu faire tomber les œillères, a passé trois jours à Syracuse et a poursuivi son chemin en retrouvant les premières communautés. Mais il a aussi connu l’enfer en quittant les plaines maritimes fertiles pour s’enfoncer dans ces vallées encastrées où les corps s’incrustent dans les roches rouillées. Je parcours en calèche une ancienne voie de chemin de fer qui pénètre dans une nécropole à ciel ouvert s’étendant sur des kilomètres et dont les entailles jouxtent des grottes protégées de roches en surplomb, d’où on s’attend à voir sortir des anges ou des démons, selon les heures de la journée.

Est- ce que tout ceci fait vraiment un chemin ?A cette saison, les amandiers élaborent leurs amandes. Les figuiers laissent éclater leur bois qui semblait mort. Les bruyères multiflores jouent à ressembler à des bruyères arborescentes, tandis que les primevères violettes se gardent prudemment de la lumière et restent modestement courbées. C’est le temps des asperges sauvages et des scolopendres ébahies. La nature est somptueuse et respire le bonheur de la rosée. Ceux qui la connaissent bien savent que nous sommes au moment où on peut ramasser des remèdes et les faire sécher avant que le soleil implacable ne s’en charge.

C’est donc bien un paradis et non un enfer que saint Paul a traversé ! Loin de tout, peut-être ? Mais n’est-ce pas notre volonté commune de changements qui va nous faire revenir vers des destinations « mineures », là où pourtant notre civilisation s’est fondée

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