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Vladimir Pozner, romancier du tragique et de l’espoir

Publié le 25 mars 2011 par Les Lettres Françaises

Vladimir Pozner, romancier du tragique et de l’espoir

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1905 est pour les Russes l’année de la première grande révolte contre le tsarisme. C’est aussi celle de la naissance de Vladimir Pozner. Il est né à Paris, dans une famille de la bourgeoisie juive russe éclairée qui avait émigré de Russie quelques années auparavant. Il faut se souvenir que pour les Juifs, soumis à des vexations multiples, la vie dans l’empire des tsars était loin d’être tranquille. La répression qui marqua les événements de 1905 laissa des traces profondes chez les jeunes gens de l’époque. Elle est pour beaucoup dans l’adhésion aux idéaux révolutionnaires de nombre d’entre eux qui seront ses amis. La Russie, dans laquelle sa famille s’est réinstallée et que le jeune Pozner quitte en 1921, exercera sur lui une attraction considérable.

La langue russe est si présente dans sa formation intellectuelle (« Je lisais alors Hugo en français et Pouchkine en russe. À 12 ans je me sentais un poète russe ») qu’on hésite à écrire que le français était sa langue naturelle. Mais il excellera aussi dans l’anglais et l’allemand.

Ses premiers pas littéraires se font au sein du groupe des « Frères Sérapion » qui donnera naissance à des écrivains importants comme Vyacheslav Ivanov, Constantin Fédine, Mikhaïl Zochtchenko, Nikolai Tikhonov, Véniamine Kavérine. « Nous lisions à haute voix nos nouvelles, nos poèmes, des chapitres de romans. Nous nous disions la vérité. Nous n’avions pas de religion littéraire. Notre devise était  » Chacun son tambour. »».

En fait, rien de ce qui touche à l’URSS ne laissera Pozner indifférent, à aucune période de sa vie. Un de ses premiers livres, Le Mors aux dents, commandé par Cendrars, relate l’aventure d’un baron balte se taillant un empire dans la Mongolie à l’époque de la révolution, dans une sorte de croisade sanglante qui ne peut finir que dans la mort. Un autre, 1000 et un jours, est le récit d’un voyage qu’il effectue dans les années 60, au travers de l’espace et du temps russes, pour faire remonter la vérité de la vie des hommes et des femmes qu’il a connus, avec tous les détails nécessaires. (Pozner aime les détails, ils donnent la mesure de la vérité.) Cette plongée dans les histoires personnelles montre la profondeur des transformations du pays et la dimension des drames qui les ont accompagnés. La marche en avant de la société soviétique est allée de pair avec le stalinisme. Le communiste qu’il est affronte cette réalité les yeux ouverts.

Il est plus d’autant plus fondé à procéder à cet état des lieux qu’il fut, dès les années 30, un des plus actifs introducteurs français de la littérature soviétique, connaissant tout des jeunes auteurs qui s’imposent alors (souvent des amis à lui, tels Chklovski, Babel, Pasternak…), les traduisant, les présentant dans des livres comme Panorama de la littérature russe et Anthologie de la prose russe contemporaine qui restent des références. Il consacrera deux livres, Tolstoï est mort et Souvenirs sur Gorki, à ces deux personnalités essentielles de la littérature russe. Gorki, ami de ses parents, très attentif aux jeunes talents, qu’il retrouvera plus tard dans le Berlin des émigrés, l’incitera à devenir communiste.

La crise des années 30 trouve Pozner aux Etats-Unis. Il en tire Les États-Désunis, mi nouvelle, mi reportage, où se marque déjà son souci du vrai, dans ses détails constitutifs. La débâcle de l’armée française en 1940 lui donne l’occasion de Deuil en 24 heures. Ce roman puissant, sans emphase, cruel comme l’histoire qu’il relate, compte parmi les quatre ou cinq romans français sur cette période. Erskine Caldwell en dira : « C’est un roman terrifiant. Il existe des livres qui racontent l’histoire des hommes et des femmes consumés par les flammes de la guerre qui fait rage d’un bout à l’autre de la terre, mais ce roman les domine de loin. »

Pozner passe la guerre aux USA, travaillant d’abord dans les chantiers navals pour gagner sa vie, puis comme scénariste, fréquentant l’intelligentsia qui sera plus tard victime du maccarthysme, ce maccarthysme qui lui fera écrire Qui a tué H. O Burrell ?, histoire d’un petit-bourgeois américain saisi par la peur du communisme.

Les guerres, ce sommet des violences, sont à l’origine de ses plus beaux livres : Espagne premier amour, dont Aragon écrivit qu’il était « Le plus court des romans, ce qui, pas plus pour un livre que pour un couteau, ne l’empêche d’entrer d’un coup dans le cœur. », Le Lieu du supplice, une des rares œuvres françaises sur la guerre d’Algérie, qui valut à son auteur d’être plastiqué par l’OAS, comme Wurmser et Malraux, ou encore Le Temps est hors des gonds.

Vladimir Pozner était un homme généreux et discret. Sa vie l’avait amené à rencontrer de très nombreuses célébrités : Charlie Chaplin, Dashiell Hammett, François Mauriac, Fernand Léger, Hanns Eisler, Picasso, Oppenheimer, Elsa Triolet, Aragon… dont il parle avec saveur et justesse dans Vladimir Pozner se souvient.

Toute sa vie d’écrivain Pozner a mené combat pour amener les mots et les phrases à leur faire dire ce qu’il voulait. Sans plus. Il aimait les histoires et qu’elles soient vraies. Il affectionnait cette réflexion de Cervantès : « Les histoires inventées sont d’autant meilleures, d’autant agréables qu’elles s’approchent davantage de la vérité ou de la vraisemblance, et les véritables valent d’autant mieux qu’elles sont plus vraies. »

Il laisse une œuvre considérable que les éditeurs seraient bien avisés de considérer comme celle d’un des écrivains les plus exigeants et les plus lucides de son temps. Il laisse aussi des archives littéraires, qui, par leur ampleur, attestent de l’étendue de ses liens avec les intellectuels de nombreux pays et ouvriront des pistes nouvelles aux chercheurs en littérature.

L’histoire du romancier Vladimir Pozner reste à écrire.

François Eychart

On trouve en librairie, seulement : Le Mors aux dents, Les Brumes de San Francisco, Le Fonds des ormes, Cuisine bourgeoise, et Souvenirs sur Aragon et Elsa.

 



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