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Qui veut mourir pour Abidjan?

Publié le 28 mars 2011 par Africahit

L'Afrique ne comprend pas pourquoi la communauté internationale intervient militairement en Libye et pas en Côte d'Ivoire. Des Africains dénoncent le deux poids, deux mesures pratiqué par l'Occident.

Qui veut mourir pour Abidjan?

De jeunes supporters de Gbagbo venus s'enrôler dans l'armée, le 22 mars 2011. REUTERS/Luc Gnago

Un nouvel Irak? Un autre Afghanistan? Ou, au contraire, pas de nouveau Rwanda, comme s'en félicite le président rwandais Paul Kagamé? Bien des voix s’élèvent, en Chine, en Russie, en Bulgarie, au Venezuela, au Vatican et dans plusieurs pays d’Afrique, pour condamner l’intervention militaire occidentale en Libye. Pendant ce temps, la Côte d'Ivoire reste au second plan. Désespérément. 

Un symbole fort: Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations unies, a été chahuté le 21 mars place Tahrir, au Caire, par une cinquantaine de manifestants pro-Kadhafi, qui l'ont contraint à trouver refuge dans l'immeuble qui abrite la Ligue arabe. Trois émissaires de l’Afrique du Sud ont par ailleurs annulé lundi leur voyage à Tripoli, où ils devaient commencer des «discussions» avec le colonel Kadhafi et les «rebelles», au nom de l’Union africaine (UA).

Deux poids, deux mesures

Comme pour la Côte d’Ivoire, l’UA a en effet mis sur pied un panel de cinq pays (Afrique du Sud, Ouganda, Mauritanie, Mali et Congo), afin de résoudre une énième «crise politique» africaine. Mais l’intervention des grandes puissances occidentales a changé toute la donne, dans un contraste saisissant avec la Côte d’Ivoire. Ce pays d'Afrique de l'Ouest, lui, s’apprête à sombrer dans les atrocités de la guerre civile, dans une relative indifférence. 

Une politique du «deux poids, deux mesures» qui n’a pas échappé au Nigeria, seconde puissance subsaharienne après l’Afrique du Sud. Son ministre des Affaires étrangères, Odein Ajumogobia, a dénoncé le 21 mars les «contradictions» des grandes puissances, «qui imposent une zone d’exclusion aérienne en Libye pour protéger des civils innocents du massacre», tandis qu’en Côte d’Ivoire, «la même communauté internationale assiste impuissante au massacre de femmes innocentes» et à l’exode des réfugiés.

Le cas libyen divise l'Afrique

Le Nigeria pousse au départ de Laurent Gbagbo, président sortant de Côte d'Ivoire qui refuse de reconnaître sa défaite à la présidentielle du 28 novembre 2010. Un point de vue auquel l’Afrique du Sud ne s’est ralliée que récemment. Il aura fallu une visite de Jacob Zuma à Abidjan —où il n’a pas été convaincu par les arguments du camp Gbagbo—, mais surtout à Paris, où la France a mis dans la balance une aide bilatérale conséquente (1,5 milliard d’euros sur trois ans) et des programmes nucléaires civils. Quelques jours plus tard, Zuma reconnaissaitla victoire électorale d’Alassane Ouattara.

Pour l’Afrique du Sud, la question libyenne relève aussi d’enjeux de politique intérieure. Les jeunes loups populistes et radicaux de la Ligue des jeunes du Congrès national africain (Ancyl) condamnent en effet l’intervention occidentale en Libye. Du coup, Jacob Zuma marche sur des œufs. Il a d’abord déclaré avoir «personnellement tancé» Kadhafi pour avoir «tiré sur son peuple», sans dire s’il soutenait ou non la zone d’exclusion aérienne décidée par la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Lundi, il s’est fait plus précis: il a mis en garde contre une intervention militaire en Libye, et rappelé la position de l’UA —respect de «l’intégrité territoriale de la Libye» et rejet de «toute intervention militaire étrangère, quelle que soit sa forme».

Ailleurs en Afrique, au Zimbabwe et en Namibie, d’autres hérauts du nationalisme africain se montrent loyaux à l'égard de leur ami de longue date et généreux mécène Mouammar Kadhafi. Robert Mugabe, 87 ans, a dénoncé des «vampires» occidentaux intéressés par le pétrole libyen. Une déclaration faite en pleine visite d’officiels chinois à Harare, qui ont signé pour 585 millions de dollars (415,3 millions d'euros) de projets au Zimbabwe, financés par la Banque de développement chinoise. 

«Nous ne sommes pas d’accord avec la forme qu’avait pris le gouvernement en Libye, a déclaré Mugabe. Mais nous souhaitons qu’il réforme son système à sa manière, et pas selon les vœux de l’Occident. Ils veulent tuer Kadhafi. Ils ont ciblé son quartier général et tué beaucoup de civils. Ils s’en fichent éperdument.»

Seule voix vraiment dissonante: celle de Paul Kagamé. Le chef de l'Etat rwandais est le seul, en Afrique, à se féliciter ouvertement des frappes occidentales contre le régime Kadhafi. A l'en croire, «les leçons» du génocide rwandais ont été tirées. Dans une tribune publiée le 23 mars dans le quotidien britannique The Times, Kagamé écrit:

«Aucun autre pays ne sait mieux que le mien le coût que cela représente quand la communauté internationale n'intervient pas pour empêcher un Etat de tuer son propre peuple. En cent jours en 1994, un million de Rwandais ont été tués par des "génocidaires" soutenus par le gouvernement, et le monde n'a rien fait pour les arrêter.»

 Il appelle par ailleurs l'Afrique à agir plus rapidement:

«D'un point de vue africain, d'importantes leçons sont à tirer, la principale étant qu'il nous faut répondre plus rapidement et plus efficacement à ce genre de situation... La réponse de l'Union africaine a été lente et prise de vitesse par les événements sur le terrain.»

La Côte d'Ivoire s'enlise

L'appel pourrait aussi bien valoir pour la Côte d'Ivoire, où quatre mois après une présidentielle ubuesque, le camp de Laurent Gbagbo recrute à tour de bras. Des milliers de jeunes se sont enrôlés dans l'armée lundi, à l'appel de Charles Blé Goudé, leader des Jeunes patriotes et ministre de la Jeunesse de Laurent Gbagbo.

Les rumeurs faisant état de distribution d'armes dans les quartiers poussent les populations d'Abidjan au départ. Les plus aisés, dans les deux camps, évacuent femmes et enfants dans des pays voisins. Les plus pauvres, de leur côté, quittent avec leurs baluchons les quartiers d'Abidjan et des villes de l'Ouest où des combats menacent. Les classes moyennes, à Abidjan, restent là, pétrifiées de peur, paralysées par l'incertitude.

Anne Khady Sé



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