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"il a le droit,lui...il est negre!"l'oeuvre metisse de wifredo lam(6)

Publié le 01 avril 2011 par Regardeloigne

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Noces670
Lam décrit la dynamique des osmoses, des change­ments, des liaisons, des fusions, des avatars.. sa peinture apparaît souvent comme un instant de la permanente transformation, un moment dans le cours des mutations, des symbioses. Comme aux origines du monde, lorsque les règnes ne se sont pas encore séparés.la "mise en ordre" n'étant pas encore accomplie, la genèse des choses et des êtres se continuant.  NOCES par exemple a pour sujet l’union de l’humain avec le végétal et l’animal. le tableau nous en fait le récit  selon le déplacement du regard : partant du premier personnage de droite encore humain ,on voit se succéder vers la gauche un muffle (qui pourrait appartenir à un masque Baoulé ou Gouro) puis une tète d’oiseau. un personnage repose sur des sabots de quadrupède et un autre sur des pieds d’homme

Le but de l’artiste est de  créer dans les tableaux un langage dans lequel les fonctionnements du monde sont donnés à lire. Une des caractéristiques essentielles de ce monde pour lui  est le constant retournement d'une valeur dans son autre, voire dans son contraire :

AUTEL POUR ELEGUA663
l'image de la dialectique et celle de la révolution. Toute chose, dans sa dynamique, a vocation à devenir son autre. Les symboles ne sont pas fixes, ils existent dans une histoire qui se fait chaque jour et celle-ci utilise leur vocation à la transformation. C’est à ce titre qu’il utilise par exemple la figure justement ambivalente  d’ Eleguâ,  le gardien des portes et des carrefours. Dans ses fonctions, et donc dans les pouvoirs qui le définissent, Eleguâ est aussi bien lié à l'univers intérieur que la porte protège, qu'à ce qui se passe, par-delà le seuil, dans l'infini du chemin et des hasards des carrefours. Deux attribu­tions à bien des égards contradictoires, qui expliquent pourquoi Eleguâ est susceptible de jouer des tours pendables en toutes circonstances. Comme toute chose dans le monde incertain du vaudou, le pouvoir des orishas est marqué par une précarité et une réversibilité qui ne laissent personne en paix.

 À propos de son retour à Cuba, il déclarait : " La seule chose, certainement, qui me restait à ce moment était mon désir ancien d'intégrer dans la peinture toute la transculturation qui avait eu lieu à Cuba entre Aborigènes, Espagnols, Africains, Chinois, immigrants français, pirates et tous les éléments qui formèrent la Caraïbe. Et je revendique pour moi tout ce passé.

L'indésirable682
 
 

Nativite672
L'ensemble, et avec lui les expressions tellement diversifiées des arts des Amériques, résonne el rayonne d'un métissage né à souffrance. Que serait le métissage, dans l'art de peindre ? Peut-être, sculpter la forme bantoue dans l'angoisse insulaire, éclater la joie caribéenne en un carnaval punique, prolonger le silence des dieux mayas par un trait de nuit nilotique. Mais, à chaque fois, pérenniser la rencontre par un imprévisible : Forme, couleur et atmosphère. Le peintre Lam est un énorme producteur de créolisation.

Souches amérindiennes, découpures africaines, empennages ardents du baroque, stridente voltige des modernités sont brassés par un même vent où balancent l'acoma des îles, le palmier de Cuba et les séquoias de Californie, les plantes à guérison et les racines à quimbois poussées au haut des Mornes, les herbes têtues des Andes et les sargasses dérivées vers la mer Caraïbe.

Wifredo Lam, transmuteur de haut ciel, a ainsi préservé nos mémoires terreuses. Il nous déprend de ce temps en chaos où nous étions forcés de gésir dans la baratte atone des îles et le silence glacé des Hauts-Plateaux. Par son œuvre, Chavin recommence. Il fait surgir aussi, d'un tel sursaut des formes et des tons, une offrande primordiale où toute brise, il n'importe d'où levée, aime à frissonne) pour tous. La peinture de Lam n'est ni nègre, quand même elle a retrouvé la Trace, ni chinoise ni amérindienne ni hindoue, ce serait là tout au plus un beau folklore, ni «universelle», ce serait une plaisante vacuité, une élégante suspension dans un non-lieu sans vertiges. La peinture de Lam lève en nous le lieu commun des imaginaires des peuples, où nous nous renouvelons sans nous altérer. EDOURD GLISSANT 

Ttropiques du capricorne680
 

Parmi les  grands tableaux produisant des symboles et qui interpellent le spectateur, la JUNGLE(1943),  tient la première place,  œuvre exposée dès l'année de sa création à la galerie Pierre Matisse de New York, et qui sera achetée par le musée d'Art moderne de New York. Le 16 septembre 1943, l'artiste écrit à Pierre Matisse qu'il espère pouvoir présenter La Jungle à sa prochaine exposition, parce que ce tableau contient une synthèse des différentes orientations prises par son travail au cours des dernières années

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Sur un deuxième plan, constitué d'un alignement serré de tiges végétales épaisses rappelant des cannes sucrières, se détachent quatre personnages, pris dans les feuillages, figures anthropoïdes à têtes de cheval ou de lune, agrémentées de symboles et de figures de masques errants dans la verdure. Des bras, des mains, des seins comme des fruits et des fesses abondantes, caractérisent ces personnages figés sur d'énormes pieds reposant sur la terre. Dans l'angle droit en haut : une paire de ciseaux à tondre. La tonalité sombre du sous-bois invite au mystère sur des coloris verts et bleus tandis que les figures se détachent d'ocrés et de vermillons rares. .

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Les hybrides de La Jungle possèdent les particularités anatomiques et les visages-masques que l'on retrouve dans la plupart des œuvres de cette période, et, là encore, l'artiste leur insuffle une vie nouvelle. Le visage lunaire, le masque zoomorphe surmonté d'oreilles pointues, les fesses hypertrophiées, parfois pourvues d'une queue de cheval, le phallus intégré au visage, les naseaux et la crinière, tous ces éléments sont rassemblés ici. Les composantes biomorphes fusionnent avec la végétation qui les entoure, ne font plus qu'un avec la Nature nour­ricière.  On est sur la terre sacrée  de la tradition afro cubaine couverte  de végétation sauvage où se déroulent les pratiques magiques et religieuses. C'est le lieu de naissance des Orishas et le berceau de la religion. L'Afro-Cubain y trouve tout ce dont il a besoin pour les usages magiques et médicinaux. Quand un fidèle pénètre dans cet environnement feuillu, il doit témoigner son res­pect aux esprits et leur faire une offrande de circonstance, comme le rappellent les personnages qui offrent des plantes à même les paumes de leurs mains tendues. Les femmes-cannes à sucre monu­mentales occupent tout l'espace du tableau. L'arrière-plan touffu pousse les formes hybrides vers l'avant, provoquant une sorte d'entassement au premier plan. Il en résulte une tension spatiale, encore renforcée par l'élan ascendant des silhouettes verticales. D'autres conflits sont provoqués par l'hypertrophie des pieds et des mains, et par les formes puissantes des masques, qui contras­tent avec la gracilité des femmes-cannes à sucre. Les mouvements vers l'avant et vers le haut créent une dynamique qui contribue, avec la scansion des pieds énormes, à donner l'impression de formes qui se déplacent dans tous les sens sur le sol. Tous ensemble, ces amalgames d'êtres humains, de plantes et d'animaux exécutent une danse lente et rythmée en l'honneur des forces vitales qui rési­dent dans tous les aspects de la nature.
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D'où provenait surtout la fascination? Du rythme, d'abord, j'imagine. Ce défilé de verticales et d'obliques, d'un bord à l'autre, rapprochées, de jambes rectilignes et de cannes, fait que l'oeil éprouve une cadence, un martèlement impla­cable, qui se transmet à l'oreille, comme de tambours dans l'épaisseur et la touffeur d'une forêt nocturne.

De celle-ci les esprits nous apparurent après. Quatre per­sonnages se dégagèrent alors, moins "devant" le fond vé­gétal que liés encore à lui, leurs membres ressemblant aux stipes, par suite d'un mimétisme presque parodique, étendu à l'ensemble: seins pareils à de lourds fruits tropicaux, croupes à des calebasses, visages à des lunes.

Les faces? Masques destinés à engendrer l'inquiétude, l'effroi même. Pour ceux des figures latérales, nous sommes absents, inexistants. Les deux du centre: leur dessein est de méduser. En tous ces corps aux pieds énormes, étales sur la terre —(et l'on attendrait, du sénestre, des sabots, sa queue, son mufle, sa crinière étant chevalins!)— le cœur a-t-il une place où vraiment se loger? De tels appariteurs nous n'avons à attendre qu'une action d'hypnose, un som­meil, que d'ailleurs ils peupleront.

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L'anatomie imaginaire toujours provoque le malaise. La cruauté de ces êtres me reporte au retable de Grùnewald. La Jungle: lieu de menaces, d'agressions, de périls connus ou inconnus. Poème barbare, monumental, superbe.

Jungle.DOUANIER ROUSSEAU

Sur cette oeuvre, il faut écouter Lam: «Quand je la peignais, les portes et les fenêtres de mon atelier étaient ouvertes. Les passants pouvaient la voir. Ils s'écriaient: Ne regardons pas, c'est le Diable! Ils avaient raison. Un de mes amis y découvre justement un esprit proche de certaines figurationsinfernales du Moyen âge. De toute façon, le titre ne corres­pond pas à la réalité naturelle de Cuba, où l'on ne trouve pas de jungle, mais le basque, le monte, la manigua —le bois, la montagne, la campagne—, et le fond du tableau est une plantation de cannes à sucre. Ma peinture devait communiquer un état psychique.»

«Je crois que dès mon enfance j'avais en moi ce qui me conduisait à ce tableau. Le douanier Rousseau, tu le sais, a peint la forêt vierge, la jungle, dans Le rêve, le Lion ayant faim, Les singes, etc., avec des fleurs géantes, des serpents. C'était un peintre formidable! Mais il n'appartient pas à ma chaîne naturelle. Il ne condamne pas, lui, ce qui se passe dans la jungle. Moi, oui. Regarde mes monstres, les gestes qu'ils font. Celui de droite offre sa croupe, obscène comme une grande prostituée. Regarde aussi les ciseaux qu'on brandit. Mon idée, c'était de représenter l'esprit des Noirs dans la situation où ils se trouvaient. J'ai montré, par la poésie, la réalité de l'acceptation et de la protestation.»MAX POL FOUCHET .OP.CITE

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Cette œuvre défie les interprétations unitaires. Michel Leiris dans sa monographie sur le peintre, a pensé aux quatre éléments des cosmologies classiques, mais aussi, «face aux horreurs de la guerre, à la grande raison d'espérer que ces personnages pouvaient, globalement, incarner: l'ac­tion encore inachevée pour laquelle, dans le domaine social, les quatre Internationales se sont relayées».D’autres critiques ont salué  un manifeste la première déclaration plastique ré­volutionnaire d'un Tiers-Monde qui serait déjà conscient de la nécessité d'une mise en commun de toutes les cultures. La nature, est, et n'est pas, celle de l'Afrique : les éléments sémantiques y jouent un double jeu, le fruit, la feuille, la palme, la tige, articulés dans la densité, restent des signes au sens propre, mais sont ouverts sur une polysémie luxuriante. Ainsi, le fruit est aussi sein, croupe, sexe, parties de greffons anthropomorphes étrangement inquié­tants, dont le poids et la turgescence tendent des volumes prêts à éclater.

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  La feuille devient un fer de lance, puis lame, arme, os acéré, tandis que la palme participe d'une nature empennée qui annonce les flèches futures. Palmes et feuilles sont aussi les éléments d'une nature masquée, tant les stries qui les rythment sont aussi celles de masques d'Afrique centrale, tels que les kifwebe des Songye.

nul n’a peut être mieux parlé de la Jungle qu’Edouard Glissant :

Regardez La Jungle encore. Le détail (net) y est consubstantiel de l'inextricable du tout.

Le détail : Une poétique de l'élancement, de mains qui se cabrent, de pieds bien à plat comme des mains qui latent dans le roc, d'étirements et d'élégantes sécheresses, ou au contraire, de bulbes et de bubons qui sont le relief des corps, seins et fesses haut portés, fécondation qui rehausse les maigres allongements de roseaux et d'argiles sèches, et dans cette extravagance retenue, tissant les mailles des cannes et des boutures, un vertige de masques incurvés ou de lunes qui vous dévisagent, une humanité, prise déjà au jaune bleuté de sa propre sève mûrissante.

 Dans La Jungle aussi, l'ocre et le bleu-vert se marient. L'ocre du fond, le travail à venir et déjà le fécond désert à organiser comme une multiple prière, qui doit être savante. Le bleu partout, tentation disséminée, sève montée en tige, qui oriente notre vision de la totalité. Toute brousse est bleue comme la Terre et l'orange aux yeux de Paul Éluard. Ce qui s'aperçoit d'une seule vue, sans qu'on y mesure, ne peut venir que de la sorte. Toute totalité, quand elle n'est pas totalitaire, est immensément bleue.

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Et voici l'inextricable : Que derrière ces motifs il y ait d'autres motifs encore, à l'infini du monde, et jamais une tentation de surprendre des motivations, c'est-à-dire d'établir une profondeur. Derrière la racine et la feuille, il y a la racine et la feuille. Oui, des fonds, et si vous voulez, des profonds, oui. Là où l'ambition de la profondeur eût épuré, rétréci, élu. Ce réel, l'accumulation le tord au contraire en un seul pan qui gravit la hauteur.

Les « autres lois qui marquent la composition de La Jungle », que nous signalait Pierre Mabille («La manigua», 1944), je les conçois ainsi : Dans la jungle comme dans le champ de cannes, aucune perspective inductrice n'opère. Le temps n'y coule pas en ligne repérable, il s'entasse et entremêle. Je crois que c'est là le secret et en même temps l'usage le plus ordinaire des artistes des Amériques. Dans cette dimension de La Jungle, Wifredo Lam a miraculeusement touché au point où espace et temps se fondent en un ici sans ruses, mais non pas sans devenir. La nouveauté de cette technique (remplir la toile, dominer la profondeur, répandre et concentrer l'étendue) dont les spectateurs ne pouvaient pas repérer les lois ni les sources, a choqué les beaux esprits de l'époque, tout autant que cette atmosphère de magie, cette révélation de réalités insoupçonnées, dont elle témoignait.

Dès lors et pour nous les deux lectures de l'œuvre, détail et totalité, repère fixe et vision globale, le clair et l'inextricable, éclairent un même lieu incontournable.

La Jungle est un objet absolu.

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La fin de la guerre fut pour l’artiste, synonyme de voyages, de rencontres, de nouvelles découvertes, alors que son œuvré était l’objet d’une reconnaissance grandissante. Lam est devenu un peintre de renom international.

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Dans la même année 1957, on le trouve à Paris, New York, Mexico, Cuba. En 1958, à Chicago, il est nommé membre de la «Graham Foundation for Advanced Study in Fine Arts». Il reçoit d'autres distinctions: le prix «Guggenheim International Award» en 1964, le prix Mazzoto Valdogno de Milan, ville où il exposera, en 1966, une suite de seize eaux-fortes, Apostrophe-Apocalypse, pour un poème de Ghérasim Luca. Il séjourne à Moscou, à Stockholm.

Malgré ses périples il ne cesse de créer : des toiles monumentales  , mythiques, voire ésotériques, des muraux en céramique, là des gravures. Il s’intéresse à des mouvements artistiques naissants (Cobra,  l’Internationale Situationniste), et fait des rencontres  décisives : John Cage, René Char, Asger Jorn, Alexander Calder) et  surtout Lou Laurin, jeune artiste suédoise, qu’il épouse en 1960. Cuba, après la révolution castriste, lui réserve un accueil triomphal en 1963. Lam y fait de fréquents séjours. En 1966, il peint pour le palais présidentiel le tableau, Le Tiers monde.

Femme assisse
Pendant toutes ces années, Lam n'a cessé de créer. A côté de figures monumentales —celle de 1949, au masque en bou­clier—, La femme assise de 1955, d'un dessin si souple, La fiancée pour un dieu de 1959, où se profile un être mystérieux, L'invité de 1964, surgissant comme à l'improviste, la Figure de 1969, scandée par les courbes et les droites, etc., d'autres œuvres montrent une organisation proliférante, d'une ryth­mique intense, dominées souvent par un graphisme où prévalent les angles. Les personnages, dirait-on, sont sortis de la forêt, ils se profilent sur des fonds unis. De cette manière, Les invités (1966), Le corps est le miroir de rame (1964) est une peinture où la richesse linéaire compose un tissu d'une rare densité. Dans Les invités (1966), le chromatisme se réduit volontairement pour que se dégage une sorte de volubilité des corps et du mouvement. La liaison des formes entre elles se poursuit comme par le passé, mais plus "carrée", plus affirmée. Rarement langage de peintre fut davantage conti­nu. Les découvertes de La Jungle n'ont pas été abandonnées, tant s'en faut, mais menées à la plus haute décision plas­tique, à une "écriture" douée d'évidence et de dynamisme suggestif. Les grands artistes inventent et imposent un uni­vers, une vision neuve des rapports entre l'homme et le monde. Pour cela, sans doute, il leur faut entendre la rumeur émanée de la vie, celle justement que Lam entendit et qu'il traduisit en signes.MAX POL FOUCHET
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A partir de 1957, Lam se rend régulièrement en Italie et séjourne à Albissola Marina, petite ville balnéaire de la côte ligure. Il y retrouve de nombreux artistes, un milieu pour lui favorable à la création et  y passe plusieurs mois par an. À partir des années 1960, ce sera son  point d'ancrage pour les vingt prochaines années . » . l'atelier du peintre était habité par une forêt de sculptures. Celles-ci, une partie seulement de l'ample collection que Lam avait répartie entre son appartement de Paris et l'atelier italien, provenaient d'Afrique et des îles de l'Océanie. On y trouvait, entre autres, une de ces fameuses sculptures géantes des Nouvelles-Hébrides, taillée dans la masse d'une fougère arborescente. 
Du haut de la colline écrit max pol fouchet, on voyait le golfe noyé dans une brume de chaleur. Entre de grands totems, dressés dans le jardin, admirables pièces de la collection du peintre, cou­raient les enfants de Lou et Wifredo Lam, Eskil Soren Obini, Jan Erik Timour, Jonas Sverker Enrique, respectivement nés en 1961, 1962, 1969, dont les prénoms réunissent plusieurs peuples, plusieurs races, plusieurs mondes.

C’est la que Jorn l’initie à la céramique qu’il développera à partir de 1975 .A  la fin de 1976 il aura exécuté 500 pièces environ. Il répondait ainsi au vœu des ouvriers spécialistes de l'endroit qui souvent lui demandaient pourquoi il se désintéressait de cette technique. La ville lui accorda le titre de Citoyen d'Honneur.

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"C'est dans ce contexte particulier que les formes et les volumes, qui avaient disparu de la peinture de Lam, revinrent dans l'œuvre grâce à de nouvelles productions en céramique et en bronze. Puisque l'univers pictural avait rejeté tout mimétisme et que Lam s'en tenait désormais aux dessins de la gravure et du pinceau, il fallait bien que ce fût dans un tout autre registre que la substance du monde fasse un marquant retour. Si la matière devait réapparaître, à ce stade dans son art, ce serait donc comme pure matière.

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La terre, travaillée entre les mains de l'artiste, sera le nouveau creuset d'où émergeront les formes, elle sera elle-même la parturiente des mystères du feu. La terre malléable, celle dans laquelle se prépare la série des bronzes et des céra­miques de cette époque, cette terre porteuse symbolique de toutes les origines, permet à l'artiste de remonter à ce qu'il y a de plus original dans la vie même des hommes. Le contact direct de la main, en deçà du dessin qui est déjà une distance prise, offre un accès direct à la matrice du monde. Sous le titre Préhistoire, I (1975), une forme enlevée d'un disque de terre aux allures d'assiette indique clairement le chemin. À partir d'une sorte de bain primordial aux contours diffus naissent, en quelques coups de couteau portés dans la masse encore molle du substrat originel, deux poissons. Ces êtres dans le symbolisme desquels se lisent nos destins représentent la forme première de la vie émergeant du tohu-bohu. Plus encore que dans le travail à l'eau-forte, l'incision de la terre illustre la puissance symbolique du retour à l'origine."

 

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Lam produit aussi beaucoup de gravures.


Lam travaille dans son atelier milanais en août 1978, lorsqu’il est terrassé par une attaque cérébrale. Il en sort à moitié paralysé et cloué dans un fauteuil roulant. Ce qui ne l’empêche pas de créer principalement des dessins gravures, céramiques ou sculptures. Par nostalgie du pays natal  il partage ces années entre Cuba et Albissola Marina. Il meurt à Paris le 11 septembre 1982. Des funérailles nationales sont organisées le 8 décembre à La Havane. 
Une grande partie de ce  travail est destiné à illustrer des albums de poètes, de ses plus proches amis  : Aimé Césaire, André Breton tristan tzara , René Char, Édouard Glissant.

 Nous sommes dans l'atelier d'Albisola Mare. Sur les murs, de nombreuses peintures représentent des oiseaux singuliers en vol, et, plusieurs fois répété, Le coq des Caraïbes, thème fréquent des dernières années. Près du peintre, Lou Laurin, sa femme, l'écoute, attentive.

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C'est une artiste qui crée, avec des éléments matériels, des oeuvres savoureuses, pleines d'humour. Parfois, le visage de Wifredo devient grave, douloureux: il pense à la peine des hommes, à l'injustice, à l'arbitraire, qu'il n'accepta jamais. Soudain les jeunes en­fants de Wifredo et de Lou entrent dans la pièce. Alors il sourit, puis il rit, comme seul il sait rire, comme rit la jeunesse.

Le poète Lautréamont, auquel son oeuvre fait si souvent son­ger, exprimait, dans ses Chants de Maldoror, la revanche de l'irrationnel si longtemps étouffé par le rationnel. A cette fin, sa prose lyrique employait les symboles du couteau, de la griffe, de la dent, toutes les images agressives. De telles images, nous les trouvons aussi dans la peinture de Wifredc Lam, où surgissent, entre les cannes et les fruits des lames, des ciseaux, des monstres.

Plus encore renaissent dans son oeuvre ceux que tous les hommes portent dans leur jungle ou dans leurs jardins inté­rieurs : les grands Invisibles". MAX POL FOUCHET

 

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"Wifredo Lam. Lui rendre hommage s'est imposé comme un désir de filiation, nécessaire.

Lam, l'homme de toutes les terres, réelles ou imaginaires, parcourues avec émois, souffrances et espoirs, Cuba, Chine, Espagne, France. Afrique, terre en partage.

Troubles, étonnements face à ces visages qui ne livrent pas leurs secrets. Et pourtant ils veillent avec leurs yeux mi-clos ou grands ouverts interrogeant les ténèbres. Narines dilatées flairant l'invi­sible danger. Les masques montent la garde. D'une œuvre à l'autre, ils déclinent les formes du sacré. Des têtes rondes, des têtes dont l'ovale se fond progressivement dans la ligne du cou, possè­dent encore une part d'humanité. Des faces creusées, des profils aigus où s'inscrivent tout entiers une pupille, une bouche et un nez, laissent glisser leurs traits vers l'insaisissable.

Végétation dense. Dans l'espace clos surgissent des formes-totems aux membres interminables, rivées au sol, mais armées de ciseaux.

Grande composition

Grande Composition : des êtres hybrides envahissent la toile. Leurs grands corps se font face, se retournent à demi, parfois se frôlent, s'entremêlent ou au contraire s'opposent. Des seins volumi­neux alourdissent à peine le buste qui s'étire longuement au-dessus d'un bassin, lui-même ampli­fié par la forte cambrure des reins. Les jambes - parfois une seule -, immenses, se terminent par des pieds larges, énormes, les pieds de ceux, humains, animaux, qui depuis toujours sont habitués à fouler la terre.

Des êtres étranges, indéfinissables, comme noyés dans l'obscurité, franchissent l'autre face du monde. Ils sont hors du temps. L'imbrication des formes brouille toute référence. Les corps des personnages deviennent le lieu d'un dialogue avec des éléments se répondant les uns les autres.

Personnage
Sur la tête, peut-être vague réminiscence d'un bélier, d'un buffle, pour celui qui regarde, se dres­sent des cornes ; points de lumière, elles semblent se multiplier, hérissées tout au long de la nuque et du dos.

Parfois, comme suspendus, ailes déployées, corps losange, piquant du bec vers le sol, des animaux se transforment en victimes sacrificielles. Peut-être pour Yemayâ, déesse de l'eau et mère des orishas. Peut-être pour Ogûn, toujours muni de son sabre ; celui qui est chez les Yoruba et les Nago, Yorisha des forgerons, des guerriers et de tous ceux qui travaillent et utilisent le fer. Ogun, celui qui forge le couteau des sacrifices. Oggun Ferraille, Autel pour Yemayâ ces titres convoquent immanquablement les dieux avec leur ascendance africaine. Mais ce n'est qu'un seul point de tout un réseau de référents qui sous-tend l'inspiration de Lam. Lam, métis, en un temps où il n'était guère besoin de l'afficher, de l'affirmer.." CHRISTIANE FALGAYRETTES-LEVEAU dans LAM METIS OP.CITE

 

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CONNAÎTRE, DIT-IL 

eh connaisseur du connaître 

par le couteau du savoir et le bec de l'oiseau eh dégaineur 

par le couteau du sexe et l'oiseau calao .

eh disperseur de voiles 

ici la croupe des femmes et le pis de la chèvre

AIME CESAIRE. 

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Se retrouve justement ici  l'expérience qui a marqué les errances de Lam à travers les cultures. Les tableaux de ces années mêlent d'ailleurs plusieurs registres symboliques appartenant, alternativement ou tout ensemble, à l'univers afro-caraïbe et à celui de l'Europe. C'est le cas de la roue, de la lune, des ciseaux, ou de la balance de justice et, parmi ces symboles, en particulier celui du " carré magique " cher à la tradition alchimique. Celui-ci a été placé par Lam en parallèle d'une figure zoomorphe dans BELIAL, EMPEREUR DES MOUCHES (1948) et renvoie directement à la Melancolia  de Durer, où le carré magique sert à l'artiste pour dater sa gravure.

AIME CESAIRE


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