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Inégale Passion...

Publié le 03 avril 2011 par Philippe Delaide

J'ai été intrigué par le fait que Frans Brüggen revienne sur la Passion selon Saint-Jean de JS Bach (Orchestre of the Eighteenth Century et Choeur Cappella Amsterdam - label Glossa).

Le fameux choeur d'ouverture annonce tout de suite le parti pris : poin de passion justement, une sérénité qui se voudrait toute transcendante. Le choeur, avec une sonorité pleine mais très feutrée, déclame avec une douceur extrême le fameux "Herr, unser Herrschen". On s'attend à des attaques incisives, comme les chefs baroques nous ont habitués. Et bien non, le choeur, avec un tempo allongé, aborde le texte avec un fondu déroutant mais finalement cohérent. L'accompagnement orchestral constitue un superbe écrin. Les timbres chatoyants, les couleurs du fameux orchestre du 18ème siècle, se déploient pour notre plus grand plaisir.

Bach Passion St Jean Brüggenjpg
C'est ensuite avec l'évangéliste et certains solistes que cela se corse. Markus Schäfer, évangéliste un peu "illuminé" (je ne peux m'empêcher de me rappeler la lecture un peu comparable, même si le timbre est très différent, de Ian bostridge lors de la même Passion donnée par Simon Rattle au Festival de Saint-Denis en 2002). Ses effets de phrasés, que je trouve souvent déplacés, ont eu tendance à m'irriter. Le pire est à venir. Tout d'abord Marcel Beekman, quelquefois à la limite de la justesse, puis, surtout, l'alto Michael Chance, qui nous avait habitué par le passé à bien mieux, avec une voix en permanence oscillant entre deux registres et dont l'instabilité est franchement désagréable.

Heureusement, la sublime Carolyn Sampson (soprano) et l'inusable Peter Koooij (basse), et Thomas Oliemans, campant un Jésus plus fervent qu'à l'habitude mais conservant le nécessaire de l'équilibre, sauvent la mise.

J'ai acheté ce disque à la simple lecture des noms de Brüggen et Carolyn Sampson dont les lecteurs du blog savent à quel point je lui voue une admiration sans bornes.

La soprano confirme sa classe incroyable, la beauté de son timbre, une maîtrise absolue du phrasé et, surtout, surtout, une justesse exceptionnelle. C'est particulièrement audible sur les deux arias qu'elle interprète. A un momen, sur l'aria Zerfliesse, mein Herze, sa voix se cale complètement sur un hautbois et tient aussi parfaitement que l'instrument sur les quadruples croches et ornementations qui demandent une belle virtuosité. La voix de Carolyn Sampson dispose de ces qualités instrumentales absolument nécessaires pour interpréter la musique sacrée de JS Bach.

Le bilan de cette passion est forcément mitigé. On rage encore d'entendre une production qui aurait pu frôler le sublime si la distribution des solistes n'avait été aussi inégale. On retrouve, à moindre échelle, le même problème dans deux lectures actuelles de référence des Cantates, tout à fait différentes, de Masaaki Suzuki et de John Eliot Gardiner. C'est si compliqué que cela d'aligner un quatuor de voix un minimum homogène ?

C'est vraiment dommage car le parti pris presque mozaritien de Frans Brüggen sur cette lecture de la Passion, avec un choeur d'excellent niveau comme le Cappella Amsterdam et de belles individualités des instruments sur l'orchestre du 18ème siècle, constituent l'écrin idéal d'une belle réussite. Malheureusement ce n'est pas le cas, certain solistes vocaux frôlant le ridicule.

Excellente qualité de l'enregistrement et livret, comme toujours chez Glossa, particulièrement soigné.

Je ne considère donc pas cet enregistrement comme une Passion qui fera date et, si vous voulez trouver les moments où elle frôle tout de même le divin, je vous propose d'écouter les deux seules arias interprétées par Carolyn Sampson (celle cité ci-avant et celle du début : Ich folge dir gleichfalls).

JS Bach - Passion selon Saint-Jean - Cappella Amsterdam - Orchestre of the Eighteenth Century - Direction Frans Brüggen - Markus Schäfer, Marcel Beekman (ténors), Carolyn Sampson (soprano), Michael Chance (alto), Peter Kooij, Thomas Oliemans (basses).

Extrait : Ich folge dir gleichfalls (première partie, aria pour soprano).


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