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Sale temps, de Cédric Demangeot (par Jean-Pascal Dubost)

Par Florence Trocmé

Demangeot Une fois que le livre a été lu, on revient au titre, et on en complète l’ellipse, Sale temps… pour les poètes ; sinon pour les humains luttant pour demeurer l’esprit libre face à la dictature, de quelque ordre qu’elle soit, éminemment dangereuse sous couvert de démocratie. Ce livre est nourri, sinon hanté, par l’expérience violente que vécut le poète qui lui valut d’être le témoin de violences policières et au cœur de l’affaire qui s’ensuivit1, dont il n’est pas sorti indemne. La violence environnante tombe dans la poésie de Cédric Demangeot, le violente trop pour qu’écrire ne s’en imprègne pas, pour mieux la dénoncer, par effets de ricochet, mieux outrepasser le fait plus que divers et lui donner une portée qui dépasse l’expérience personnelle ; de quoi on entend, par exemple, dans le vers du poète, s’exprimer, par empathie antipathique, la non-pensée policière et totalitaire :  
 
« regarde, Chérie, le paysage 
impeccable — impeccablement quadrillé 
par police et d’autoroutes — un peu 
comme dans notre enfance mais 
en plus parfait encore — en plus pur — 
oui : le paysage est de plus en plus pur 
et le monde de plus en plus parfait 
depuis que la race exsangue règne 
sur toute la surface du connaissable 
et que les matières de synthèse ont 
l’avantage, » 
(p.42) 
 
Poète, Cédric Demangeot ne porte pas un regard charmé encore moins optimiste sur un monde où « la solitude tue/un poète par jour », voire porte-t-il vers une vision apocalyptique : la ruine totale menace au quotidien. Police, matraque, uniforme, qui cognent et recognent dans les poèmes, forgent son aversion, nullement dissimulée, et connectent le lecteur sur un certain 1984 d’Orwell, par quoi la pensée est matraquée à longueur de journée ; « Chérie, viens/voir : c’est/une ère nouvelle// qui s’ouvre : l’ère/de la terreur blanche/et du sens vidé. » Poésie protestataire, qui ne veut, mais ne peut (lire les autres livres de Cédric Demangeot) se calmer, mais qui maîtrise colère et insoumission, versifiées : d’un esprit qui ne trouve ni le repos ni l’apaisement, dont la vocation poétique n’est pas d’attendrir les mœurs ni d’adoucir, à l’encontre d’un discours se généralisant d’une poésie susceptible de distribuer amour, espoir, bien-être autour de soi, apostolique. On sait gré à Cédric Demangeot de rappeler les possibilités subversives de la poésie, qu’elle puisse appeler à l’émeute individuelle ; la dernière section est intitulée « Émeute, ébauche », où la parole, s’émeutant dans le corps, tente de « forcer/un passage à/travers l’irrespirable »… réalité du monde réducteur de têtes pensantes. L’étrange force de la poésie de Cédric Demangeot est de mêler l’explicite et l’ellipse, de sectionner le vers à fleur de peau ; quand la poésie nous enjoint de penser par nous-mêmes. 
 
 
Jean-Pascal Dubost 
 
 
1
Pour plus d’informations 
 
 
Cédric Demangeot 
Sale temps 
Atelier La Feugraie 
144 p., 15 € 


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