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Dan Tepfer dialogue avec Lee Konitz à Paris

Publié le 04 avril 2011 par Assurbanipal

Paris. Vendredi 1er avril 2011. 20h.

Lee Konitz

La photographie de Lee Konitz est l'oeuvre du Vif Juan Carlos HERNANDEZ.

Dan Tepfer : piano

Lee Konitz : saxophone alto

Ils jouent sans micro. Lee se tâte au sax. Puis il commence seul la mélodie de « Just Friends ». C’est par ce morceau que commence l’album en duo Martial Solal/Lee Konitz enregistré en concert à Hambourg le 11 novembre 1983. Dan Tepfer avait un an. Dan expose à son tour la mélodie avec de subtils décalages. Puis ils jouent  ensemble. Certes Lee Konitz vieillit mais si j’arrive à 84 ans comme lui aujourd’hui, j’espère avoir autant d’énergie. Il transmet l’art de la ballade, de la liberté dans le cadre d’un classicisme qu’il a inventé. En jouant, l’énergie lui revient. Dan le stimule et Lee s’envole encore. C’est rare d’entendre en 2011 un jeune musicien qui sait jouer les standards du Jazz en n’ayant pas l’air de réciter une leçon. Merci à Dan Tepfer d’être là avec Lee Konitz. Belle acoustique sans truchement électrique. C’est bon pour les oreilles.

Dan introduit seul une ballade. Les notes coulent de ses doigts comme des gouttes d’eau claire. Ca lave l’âme tout en douceur mais la pulsation est bien là. Lee joue maintenant lui aussi. Tranquille, aigre-doux. Je ne reconnais pas ce standard. Le plafond de la salle est surtout constitué d’une baie vitrée. Le soleil descend lentement alors que la musique, elle, s’élève. Dan est merveilleusement à l’écoute. Superbe final.

Lee commence seul un autre morceau pour dormir, d’après lui. « It’s ok boys if you want to sleep on this tune if you like too”. Dan fait vibrer lentement une corde du piano tenant la note avec une pédale. Puis il joue un autre standard que je ne reconnais pas. Le piano martèle alors que le saxo serpente. Le piano, un marteau avec maître, qui décale les sons. En solo, Lee s’arrête pour reprendre son souffle, reprend la musique où il l’avait laissée et l’emmène plus loin encore. Au tour de Dan de déployer ses ailes. La musique tournoie, enveloppe le saxophone.

Ils enchaînent sur un autre standard dont je reconnais l’air pas le titre. « Thingin » de Lee Konitz je crois. Basé sur je ne sais plus quel standard. Surpris, le public n’a pas pris le temps d’applaudir. « Thingin » c’est le titre d’un album live de Lee Konitz. Après ce bref morceau, le public peut se lâcher.

Intro au piano. Le son du piano évoque maintenant le château hanté dans la brume. Lee s’est assis pour ajouter des volutes de fumée de son saxophone. Cela sonne comme un rêve étrange et familier. Il y a une grande part d’improvisation dans cette musique. Banalité certes mais qui doit être rappelée car ce niveau d’entente et de possibilité des imaginations conjuguées est rare. Il n’est pas nécessaire de connaître les codes pour écouter cette musique. Il suffit de se laisser porter. Ah, la touche du pianiste classique dans le fortissimo ! Lee loupe une note, s’agace et le morceau s’arrête.

« Star by starlight » une variation sur « Stella by starlight » je suppose. Lee commence seul. C’est bien l’air du standard mais subtilement manipulé, décalé. A son âge, Lee Konitz a toujours la volonté de se remettre en question même s’il reste dans son domaine, les standards. D’où ce choix d’un pianiste qui pourrait être son petit-fils, le stimule sans le contester, conscient de son privilège sans rien perdre de sa personnalité. Beau solo de Dan que Lee ponctue d’un « Oh, oh, oh » admiratif. Lee s’y remet et c’est la fin du morceau.

Lee commence seul. Puis vient le son très grave du piano qui tourne en boucle. Lee se promène sur la mélodie. Petite citation de Bach il me semble. Quelle faculté d’écoute et de soutien de Dan Tepfer ! C’était « Carrie’s Trance » de Lee Konitz. Ils avaient bien commencé avec « Thingin ». La nouvelle m’est confirmée.

« Now we are not gonna play of composition of mine. We are not gonna play a composition of Dan. We are gonna play a composition of somebody else “ dit Lee Konitz. Un standard. Une ballade. Attention, cela ne signifie pas que l’écoute soit de tout repos. Il faut suivre, se laisser séduire par cette beauté. La qualité d’écoute du public est à la hauteur de celle des musiciens. Comme dans un concert de classique, on n’applaudit qu’à la fin du morceau. Solo de piano inspiré. Duo final somptueux. « Music to commit suicide to » dit Lee qui mime le pendu ! Se moquer de la mort à cet âge, c’est une forme de sagesse.

Lee commence seul. Le piano vient creuser dans le grave. Le sax alto est lui léger, aérien, sinueux. L’air et la terre se mêlent dans la musique. C’était « Subconscious Lee » la composition la plus célèbre de Lee Konitz

Dan commence à jouer dans les cordes et sur le clavier. Je pense que c’est « Body and Soul ». Etrange intro mais c’est bien le thème. Lee chante « eeeh » (« iii » pour les francophones) . Lee commence à jouer le thème alors que Dan fait de la harpe dans les cordes de l’instrument. Lee chante « Oo, oh ». Un vrai gamin. C’est la version la plus ludique, la plus étonnante que j’ai jamais entendu de Body and Soul parmi une centaine.

Lee est prêt à jouer. Il démarre. Dan le rejoint. Ca chante. Un nouveau morceau ludique et beau. « Out of nowhere ». Un standard. Puis Lee discute avec un spectateur à propos d’une avenue de New York.

Dan démarre. Lee se repose et écoute comme nous. Une ballade composée par Dan. Une promenade dans une avenue de New York par un beau jour de printemps. Le piano sonne plus grand qu’il n’est (c’est un quart de queue). Lee applaudit avec nous.

« A last piece before a glass of wine » annonce Lee. Il commence seul. Superbe solo mouvant, émouvant. La musique oscille doucement. C’est frais et ça tient chaud en même temps. Au tour de Dan d’écouter, de déguster. Il se met à jouer. Personne n’applaudit. Tout le monde est concentré. Dan chantonne, monte et descend le torse et les bras. Enfin, bref, il s’exprime joliment. Lee le rejoint. Duo enflammé, passionné. Une dernière trille de piano. Un dernier « Oh, oh » de Lee et c’est fini.

Lee convainc Dan de jouer seul un extrait des « Variations Goldenberg ». Vous avez bien sûr reconnu les « Variations Goldberg » de Jean Sébastien Bach, surnommées « L’Ancien Testament de la musique ». Dan prépare un album d’interprétation et d’improvisation sur ces « Variations ». Son interprétation est un pur délice qui rendrait fou furieux les baroqueux. Quoique le risque soit minime vu que les puristes n’écouteront jamais Bach joué sur un piano par un Jazzman. Horresco referens !

Lee revient sur scène. Après la « joky version » de Body and Soul, ils jouent une « non joky version » de « Darn that dream ». Ils la jouent subtilement comme cela doit être joué.

Pour conclure, je vous offre en cadeau lectrices exigeantes, lecteurs sélectifs, Dan Tepfer et Lee Konitz jouant avec La Marseillaise lors d'un précédent concert en duo à Paris, au Sunside. Leur entente s'est bien affinée depuis.


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