A propos de Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder 2 out of 5 stars
A Marseille, au Lycée Henri Diderot, classé en ZEP, des élèves de première et de terminale s’emparent de La Princesse de Clèves (publié anonymement en 1678) en y cherchant un écho contemporain à leurs incertitudes et leurs aspirations, leurs joies et leurs chagrins d’amour, leur mal de vivre et leur espoirs…
En faisant ce film, Régis Sauder voulait-il faire un pied-de-nez à Sarkozy, dont on se souvient avec quel mépris il avait brocardé l’œuvre de Madame de La Fayette ? Sans doute avait-il en arrière-pensée les paroles du président de la République, mais ce n’est pas pour réparer une injustice ni laver l’affront fait à l’œuvre de Madame de La Fayette qu’il a eu l’idée de ce film. Au-delà de ces considérations, La Princesse de Clèves, « premier roman moderne de la littérature, s’est imposé naturellement » dit-il dans une interview.
En proposant un atelier de lecture au Lycée de Marseille, Sauder a voulu « montrer comment des jeunes d’un quartier populaire, d’origines très diverses, parfois en grande difficulté, peuvent s’approprier un texte du XVIIe siècle, l’apprendre, le connaitre, s’y reconnaitre. » Et peu à peu est venue au réalisateur l’idée de leur faire jouer le texte devant une caméra soit fixe soit qui tourne autour d’eux.
Quel est le résultat de cette expérience ? D’un point de vue cinématographique, plutôt décevant. Nous, princesses de Clèves est construit la plupart du temps en plans fixes où tantôt des parents lisent des passages du roman de Madame de La Fayette et évoquent leur éducation, tantôt des élèves lisent le texte et parlent de leurs espoirs ou déceptions amoureux, professionnels, familiaux. Mais le montage, un peu plat, pose aussi le problème d’une certaine redondance. Ce n’est pas ce que ces adolescent racontent et confient à la caméra n’est pas pertinent, mais le montage manque d’énergie et de changements de rythme. Le film ne pousse pas assez loin l’expérience non plus. On a l’impression d’un enchainement d’interviews collées bout à bout, d’un trop grand nombre d’entretiens, dont certains, très intimes, sont à la limite d’un « voyeurisme » télévisuel comme cette scène où une élève en échec scolaire pleure devant la caméra et sa mère en confiant qu’elle a toujours manqué d’affection. On a du mal à trouver dans cette scène une matière et un intérêt cinématographiques.
Tout le documentaire n’est heureusement pas de cet accabit. Mais l’ennui, c’est que c’est au spectateur de piocher dans une succession un peu pêle-mêle et confuse (« zapping » ?) d’images les paroles pertinentes et les confidences marquantes des élèves. On retiendra néanmoins les mots de cette élève qui évoque un poids des traditions religieuses dans sa famille qui la freine dans son épanouissement ou cette autre qui confie qu’elle voudrait travailler dans l’hôtellerie alors que ses parents ont projeté à sa place qu’elle devienne avocate.
Mais revenons à notre princesse. La question que le film pose est simple : quelle résonnance pourrait avoir en 2011, auprès d’élèves âgés de 17 ans, le livre de Madame de La Fayette, qui décrit au temps du roi Henri II une passion amoureuse impossible entre une jeune femme mariée et pétrie de principes moraux, Madame de Clèves et un séducteur, le Duc de Nemours ? Le résultat est assez surprenant. Une élève dit qu’elle se reconnait dans la princesse, étant elle-même fiancée mais attirée par un autre garçon. Un jeune homme comprend le Duc de Nemours et apprécie son côté Donjuanesque… Si la plupart des filles de terminale semble se retrouver dans les méandres psychologiques et les affects de la Princesse de Clèves (à la lumière des lectures qu’elles font à voix haute), le documentaire n’insiste pas assez sur les affinités littéraires et l’écho qu’elles trouvent dans le roman à leurs propres peines de cœur. On aurait aimé que Sauder investisse davantage cette matière intime que sont les sentiments et les incertitudes d’une population entre deux âges, plus vraiment adolescente mais pas adulte encore. Au lieu de fouiller, tout en restant dans une distance pudique, dans les confidences de ces jeunes femmes, le documentaire se contente d’une succession un peu énumérative d’interviews. Dommage que le montage n’ait pas concentré davantage les interviews les plus pertinentes de ces adolescents. Car c’est de tension dont il manque au final.
L’idée est excellente pourtant d’avoir fait jouer ces élèves des scènes de La princesse de Clèves, mais ce projet lui-même n’est pas assez développé. Rendant la comparaison avec L’esquive flatteuse pour ne pas dire exagérée, tant la mise en scène ici manque de tonus…
www.youtube.com/watch?v=7oHCZm1oYYg