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“Sucker Punch” de Zack Snyder

Publié le 10 avril 2011 par Boustoune

Top! Cinéaste américain né en 1966, j’ai rendu hommage au survival horrifique et au film de zombies en signant le sympathique remake du Zombie de Romero, L’Armée des morts. Puis j’ai affirmé un goût prononcé pour le travail sur l’image en adaptant les oeuvres de deux auteurs majeurs de la BD américaine : Franck Miller, avec le bodybuildé et testostéroné 300, et Alan Moore, avec la courageuse adaptation de Watchmen. Deux films à l’esthétique très travaillée, proche du matériau original. Enfin, je me suis essayé à la fois à l’animation et au relief avec le premier (et dernier?) volet du Royaume de Ga’Hoole, adaptation d’une série de romans pour adolescents. Je suis… Je suis…
Zack Snyder…

Au vu de son âge et de son éclectique filmographie, on se doutait bien que Zack Snyder était un geek pur et dur, un fan de BD et de manga, d’héroic-fantasy, de SF et d’horreur, un amateur de jeux vidéo et de bonnes vieilles séries B découvertes en VHS ou en DVD, bref, tout ce qui appartient à la “contre-culture”. Il le prouve encore plus avec Sucker Punch, son premier scénario original, dans lequel il balance, en vrac, toutes ses influences, littéraires, cinématographiques et musicales, et remixe tous les univers qui l’ont fait rêver, en poussant encore plus loin ses bidouillages sur l’image, le son et le montage.

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Allons droit au but. Les détracteurs du jeune cinéaste, qui lui reprochent essentiellement son style plein d’esbroufe, son approche “clipesque” du montage et sa mise en scène privilégiant la forme au fond, peuvent s’abstenir de voir ce film. Ils vont le détester…
L’introduction donne le ton. Elle présente le personnage principal, “Baby Doll” (Emily Browning) et le drame familial qui l’a conduite dans un sinistre asile psychiatrique pour jeunes femmes, attendant de subir une lobotomie : sa mère décède, laissant Baby Doll et sa petite soeur seules avec leur salaud de beau-père. Celui-ci, furieux de n’avoir rien touché de l’héritage, s’attaque aux deux filles. Il tue la plus jeune et colle le meurtre sur le dos de l’aînée.
Il corrompt Blue (Oscar Isaac), un employé de l’hôpital psychiatrique voisin pour appuyer l’enfermement de la jeune fille et produire un faux document ordonnant la lobotomie de la patiente.Ainsi, il pourra tranquillement toucher la fortune de son ex-épouse sans craindre que la vérité n’éclate…
Toute cette partie est expédiée en moins de dix minutes, quasiment sans dialogues, mais avec pour fond musical le remix de “Sweet Dreams” d’Eurythmics (1), et mis en scène avec force ralentis et effets de montage, un peu comme la scène de la mort du Comédien dans Watchmen. Du pain béni pour les fans, du grain à moudre pour les détracteurs…

Et ce n’est que le début, car la suite du métrage est complètement folle.
A ce point, on s’attend à voir un hommage aux films carcéraux et au sous-genre que constituent les “women in prison”.
Raté… Alors qu’un plan nous montre l’héroïne en mauvaise posture, sur le point de recevoir le coup de poinçon fatidique qui pourrait la transformer en légume, hop, on passe dans une autre réalité, un fantasme créé par Baby Doll pour rendre son séjour à l’asile un peu moins sordide et déprimant (enfin, tout est relatif…)

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L’asile psychiatrique des années 1960 devient un cabaret clandestin des années folles, tenu par l’infâme parrain de la mafia, Blue Jones. Celui-ci accueille généreusement des orphelines pour les transformer en “danseuses” et plus si affinités avec les “spectateurs” – des notables ayant envie de s’encanailler. Blue annonce que la virginité de Baby Doll doit prochainement être vendue au High Roller (allégorie du chirurgien chargé de la lobotomie), et qu’elle doit comme les autres filles participer aux corvées, en cuisine ou ailleurs, et assister aux répétitions de Madame Gorski, la professeure de danse (Carla Gugino). On s’attend alors à voir une sorte de comédie musicale façon Moulin Rouge, avec numéros dansés sur fond de tubes contemporains (ici, “Army of me” de Björk ou “Where is my mind?” des Pixies, en version remixée). Encore raté !
On ne verra rien des numéros exécutés par Emily Browning. (2)

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Dès qu’elle se met à danser, hop, elle est encore projetée dans une autre dimension, un fantasme dans le fantasme, où elle se transforme en super-guerrière et est capable d’exploits physiques impressionnants. Dans ce niveau de réalité, elle est guidé par un vieux sage (Scott Glenn), qui lui donne des missions à accomplir. Chaque mission correspond, dans la réalité (ou du moins dans la réalité altérée) à la quête d’un objet précis, qui pourrait l’aider à s’évader physiquement du cabaret/hôpital : un plan des lieux, un briquet, un couteau, une clé…
Mais pour cela, Baby Doll a besoin d’aide. Elle s’associe à quatre autres pensionnaires, elles-aussi désireuses de s’évader : les deux soeurs Sweet Pea (Abbie Cornish) et Rocket (Jena Malone), Amber (Jamie Chung) et la frêle Blondie (Vanessa Hudgens).

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Dans le niveau de réalité numéro 1, le plan est simple : quand Baby Doll danse, tout le monde n’a d’yeux que pour elle. Alors, pendant ce moment de distraction, ses complices peuvent dérober les précieux objets.
Mais dans le niveau de réalité numéro 2, c’est une autre affaire… Les cinq filles doivent combattre des hordes de créatures de plus en plus dangereuses et variées.

Là, Snyder se lâche complètement, laisse libre cours à ses fantasmes de geek pur et dur. Dans un temple asiatique isolé, Baby Doll combat, un sabre dans une main et un gun dans l’autre, des samouraïs titanesques. Puis elle et ses copines se retrouvent dans les tranchées, affrontant des soldats-zombies (!) à la botte de généraux nazis (!) avec l’aide d’un Mechwarrior (!). Elles combattent des orcs et des dragons tout droit issus du Seigneur des anneaux (!) dans un château médiéval ou des droïdes flingueurs(!) dans un univers futuriste… Rien que ça…

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le cinéaste s’est fait plaisir en casant dans son long-métrage tout ce qu’il aime en tant que spectateur. C’est un peu la démarche utilisée par Quentin Tarantino dans ses films. Mais le cinéaste de Kill Bill est nettement plus subtil et raisonnable que Zack Snyder. S’il avait réalisé ce film, QT se serait probablement cantonné à des clins d’oeil aux séries B des années 1970, aux bobines de sexploitation type Women in cages mais il n’aurait certainement pas osé ce grand mélange de genres.
Snyder, lui, ose et assume totalement ce qui constitue à la fois la force et la faiblesse de son film.

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Il serait hypocrite d’affirmer qu’on ne prend pas son pied à voir ces cinq filles ultra-sexy (3) exterminer du monstre à coups de sabre, de mitrailleuse ou même à mains nues. Ou bien à guetter les apparitions de Scott Glenn et ses “encore une dernière chose…”. C’est du grand n’importe quoi, d’accord, mais du grand n’importe quoi jouissif. Et comme Snyder soigne globalement son emballage esthétique, le spectacle est appréciable.
Le problème, c’est qu’il essaie de caser beaucoup trop de choses, trop de références différentes, dans ces scènes d’action. Et qu’il enchaîne ses séquences comme autant de morceaux de bravoure indépendants les uns des autres.
Passée la première transition d’un monde à l’autre, l’effet de surprise ne joue plus et l’intérêt faiblit de scène en scène, d’autant que Snyder n’essaie pas, étrangement, d’utiliser ces séquences comme des moteurs dramatiques, contrairement à Inception, par exemple, ni pour appuyer symboliquement l’avancée de son intrigue principale, qui reste la tentative d’évasion des filles.

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Il aurait pu jouer un peu plus sur les symboles oniriques et psychanalytiques, accentuer d’un niveau à l’autre  la déformation des faits réels – sordides, scandaleux – vécus par l’héroïne. Oh, il le fait un peu, bien sûr, en jouant notamment sur la symbolique des objets recherchés ou par l’intermédiaire des musiques choisies : “Sweet dreams” (“doux rêves”, en français), “where is my mind?” (“ou est mon esprit?”), “Tomorow never knows”, titre psychédélique des Beatles, ou “White rabbit” d’Emilia Torrini.
Cette dernière chanson évoque évidemment “Alice au pays des merveilles” qui est aussi un récit initiatique et identitaire fort, à l’ambiance onirique/psychanalytique marquée, dans lequel une jeune fille troublée affronte les épreuves en les recréant en rêve.
Or c’est bien cela qui est le plus intéressant dans Sucker Punch : la vision déformée d’un véritable calvaire, la fugue mentale d’une jeune femme en grande détresse psychologique.

D’ailleurs, Snyder en a bien conscience. Car en toute fin de parcours – mieux vaut tard que jamais -  il parvient à donner une autre dimension à son récit en laissant au spectateur une certaine liberté d’interprétation.
Qui est la véritable héroïne du film? Baby Doll? Sweet Pea? Ou bien ne sont-elles, et les autres filles, que les projections mentales d’une seule et même personne? La fin, destination Paradise, signifie-t-elle le succès de l’opération ou bien la mort? Nous avons bien sûr nos propres théories, que nous vous proposons de développer dans la partie “commentaires” de cet article, à ne lire bien sûr, qu’une fois que vous aurez vu le film…

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Disons simplement, que Sucker Punch peut être vu comme le Mulholland drive ou le Brazil de Zack Snyder, en plus brouillon et en moins génial, bien sûr. Et que, malgré de nombreux défauts – rythme inégal, dialogues assez plat, jeu d’acteur parfois défaillant car écrasé par la lourdeur du dispositif, mise en scène abusant d’effets indigestes… – ce cinquième long-métrage en forme de gros bordel organisé ne manque ni de charme ni d’intérêt.

Bien sûr, le film va diviser. Il est difficile de marier film de genre ultra-référencé et puzzle complexe et tortueux sans s’attirer les foudres d’un groupe ou l’autre de spectateurs. Il y a ceux qui ne vont rien comprendre et ceux qui ne vont même pas essayer de creuser un peu, ceux qui vont baver devant les exploits de ces superwomen et ceux qui vont trouver fatigants ce bruit et cette fureur…
Snyder s’en moque éperdument. Il a réalisé le film qu’il voulait faire, même s’il a été contraint de se limiter au niveau de la violence et des sous-entendus sexuels (4) : une oeuvre sombre, plus complexe qu’elle n’en a l’air, et dont l’abondance de références et d’action peut-être vue comme le bouquet final de son “enfance cinématographique” avant de passer à des films plus adultes…
Une oeuvre qui envoie de surcroît un démenti cinglant à tous ceux qui le qualifiaient de macho, après 300 et Watchmen, puisqu’elle offre les premiers rôles de scènes d’action bien bourrines à un quintette d’actrices on ne peut moins masculines…

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Reste à voir si Snyder saura affiner son style, le débarrasser de ses inutiles fioritures, pour réussir enfin une oeuvre totalement aboutie et mature. Le projet Superman : man of steel n’est pas forcément l’idéal pour ce changement de cap, mais qui sait ? Avec la tutelle de Christopher Nolan, coproducteur et coscénariste du film, on veut s’attendre à une relecture digne de Batman : The Dark knight. A suivre, donc…

(1) : L’asile psychiatrique s’appelle le “Lennox asylum”, en hommage à Annie Lennox, chanteuse de Eurythmics. Dans le clip de cette chanson, à l’époque, on visualisait les rêves de l’interprète via un petit point rouge dessiné sur son crâne, pile à l’endroit où le médecin cherche à pratiquer la lobotomie, au poinçon…
(2) : Les numéros ont été filmés, mais retirés du montage final, pour ne pas alourdir la durée du film. Ils seront en bonus de la version director’s cut en DVD.
(3) : Personnellement, j’avoue un petit faible pour la délicieuse Abbie Cornish… Rhaaa lovely…
(4) : certaines scènes seront aussi sur le DVD.

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Sucker Punch
Sucker Punch
Sucker Punch

Réalisateur : Zack Snyder
Avec : Emily Browning, Abbie Cornish, Jena Malone, Jamie Chung, Vanessa Hudgens, Scott Glenn
Origine : Etats-Unis
Genre : dreams are my reality
Durée : 1h49
Date de sortie France : 30/03/2011
Note pour ce film : ●●●●

contrepoint critique chez :  Le Nouvel Observateur

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