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Anthologie permanente : Jacques Ancet

Par Florence Trocmé

Le printemps vient. Parmi les corps, les débris, les bribes, les discours, les larmes, les mots creux. On voudrait dire la beauté, on dit l’horreur. Mais l’horreur est un mot sans visage. Oserais-je encore parler de la perte de tout ? Le silence tombe au milieu des objets comme abandonnés, soudain, coussins, lunettes, journaux, tasse, cendrier – au milieu d’un désastre invisible. "L’espoir", proclame un titre. Que faut-il comprendre ? Faut-il ouvrir les bras, dire oui quand même à la vie qui ne ressemble pas à son image ? Les fleurs du noisetier tremblent, la montagne s’envole. Avion, porte claquée. Les choses fuient si loin que de mes yeux à leur nom s’ouvre un espace infranchissable. Je me noie dans la confusion. Je n’ai plus ni main, ni bouche. Le jour s’abîme dans le jour.  
 
Les yeux pourtant cherchent à traverser les noms. Pour entrer – lumière, tronc, nuages et bleu – dans le même jaillissement immobile. Où je me perdrais sans me perdre. Mais la fatigue est une pente et chaque chose roule à sa place. J’ai beau battre des paupières, respirer, essayer d’oublier, tout est là, tout se referme, mais à distance, comme si la ronde des objets se serrait autour de mon corps, l’étouffait doucement, sans violence. Je me lève, je secoue la tête. Rien ne bouge. J’avance dans un espace étroit où dehors et dedans sont interchangeables. Où suis-je ?  
 
[...] 
 
La lumière change. Pas le regard. L’herbe ne cesse d’y pousser, les couleurs de s’y installer. Quant aux pensées, elles tournent légères comme des insectes. Aucune ne se pose. Une voix parle sans parler. J’écoute : le sens s’évapore. Je tends l’oreille. Oiseaux, craquements. Un crissement comme d’élytres. Tout me traverse, tout me fuit. Je reste immobile – feuilles, photos, silence – je sombre dans un instant sans visage. 
 
Jacques Ancet, Chronique d’un égarement, Lettres vives, 2011, pp. 49, 5à et 53. 
 
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