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« Tomboy » : un regard franc et touchant sur la question du genre et sur l’enfance

Publié le 15 avril 2011 par Yccallmejulie

« Tomboy » : un regard franc et touchant sur la question du genre et sur l’enfanceHier soir, j’ai pu découvrir un avant première (une fois de plus merci Yagg) le second film de Céline Sciamma, Tomboy. Avant même sa sortie, le 20 avril prochain, le film profite déjà  d’un bon bouche à oreille et a obtenu le prix du Jury au Teddy Awards 2011. Le buzz qui se crée est amplement justifié. Pitch du dossier de presse :

Laure a 10 ans. Laure est un garçon manqué. Arrivée dans un nouveau quartier, elle fait croire à Lisa et sa bande qu’elle est un garçon. Action ou vérité ? Action. L’été devient un grand terrain de jeu et Laure devient Michael, un garçon comme les autres, suffisamment différent pour attirer l’attention de Lisa qui en tombe amoureuse. Laure profite de sa nouvelle identité comme si la fin de l’été n’allait jamais révéler son troublant secret.

La grande force du film réside dans le parti-pris de la réalisatrice : pour ne pas glisser dans le pathos que peut générer un sujet aussi casse-gueule que celui de la question du genre, elle fait le choix de ne jamais entrer dans la question du pourquoi  mais s’attarde sur le comment.  Le film part sur un malentendu, Lisa la voisine prend Laure pour un garçon et cette dernière entre dans cette brèche (elle dit s’appeler Michael) dans laquelle, le temps, d’un été, elle va s’épanouir. Laure ne doute pas de sa démarche. Par contre, elle doute de ce corps androgyne qui peut la trahir. Le temps d’une partie de foot, elle fait comme ses nouveaux copains, se met torse nu, hésitante puis confiante de voir que tout va bien. Seul hic : les garçons font pipi debout, au bord du terrain. Laure est confrontée aux limites de son androgynie : elle  doit filer discrètement dans la forêt pour se soulager. Lorsque Lisa, devenue son amoureuse, lui propose d’aller se baigner avec les autres, Laure se trouve confronter à cette question du comment. On la voit batailler pour trouver une solution : elle retaille son maillot de bain pour en faire un slip et finit par dégoter un subterfuge pour pallier à son absence de pénis.

Le traitement est simple, pas ou très peu de musique (à l’exception d’une jolie scène de danse entre Lisa et Michael), et propose une suite d’instants de vie : Laure et sa petite sœur prennent leur bain, Laure et son père jouent aux cartes. Ce parti-pris de ne pas construire une narration explicative s’exprime par une réalisation qui use de plans rapprochés pour maintenir le spectateur au plus près des fillettes. Ainsi, une séquence où Laure pose pour sa petite sœur qui la dessine. On est immergé, avec plaisir et nostalgie, dans cette saynète enfantine, avec tout ce qu’elle a de naturel, d’enchanteur et de joueur. Puis, Lisa vient chercher Laure qui s’éclipse et laisse sa sœur. Céline Sciamma place alors un plan moyen où l’on voit la petite sœur seule avec ses crayons à dessins.  Ce qui m’a frappé dans le film est la solitude de ces deux fillettes. Les parents ont souvent déménagés. La mère, sur le point d’accoucher, passe ses journées au lit et le père travaille. L’enfance que la réalisatrice montre est teinté d’isolement. La petite sœur, qui finit par découvrir le secret de Laure, entre dans le jeu parce que cela lui permet de ne plus être seule, de pouvoir elle aussi aller jouer dehors avec de nouveaux copains. Michael est celui qui permet l’intégration.

J’ai été intriguée, à la fin de la projection, par la réaction des parents. Laure est proche de son père qui entretient son côté garçon manqué (il lui fait conduire la voiture, lui fait goûté de la bière). Lorsque le secret est découvert par la mère, au soir, le père retrouve Laure dans sa chambre. Gêné, il essaie de la consoler et lui explique que ça va passer. Quant à la mère, elle renvoie à son enfant sa propre impuissance.  Lorsqu’elle découvre l’imposture, elle force Laure à revêtir une robe pour aller s’excuser auprès des voisins. Elle ne répond pas au désespoir de son enfant qui refuse d’abord de la suivre mais lui demande si elle a une solution. Pendant la séance de questions-réponses qui a suivi la projection, la réalisatrice a précisé qu’elle ne voulait pas montrer des parents moralisateurs, qu’elle voulait s’en tenir au point de vue des enfants. Ce n’est pas exactement ce qu’elle fait. Céline Sciamma met délibérément les parents à distance. Leur non-implication permet de mieux montrer cette suspension, cet isolement qui habite la vie des fillettes.  C’est aussi ce qui m’a touché dans le film : la façon dont est dépeinte l’enfance, cette justesse de ton entre insouciance et solitude.

Jusqu’au bout, Céline Sciamma est cohérente avec son parti-pris et réussit, alors même qu’elle entretient un suspens grandissant (plus Michael existe, plus on redoute la chute),  à poser un climax fort mais pas larmoyant, et à conclure sur une fin ouverte sans frustrer son spectateur.

Les films auxquels j’ai pensé :  Le petit Prince a dit de Christine Pascal,  Boys Don’t Cry de Kimberly Peirce.


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