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Michel onfray : "a côté du désir d'éternité ..." - 1. impressions ...

Publié le 16 avril 2011 par Rl1948

 

   Comme annoncé ce mardi, avant de peut-être dévorer notamment ses ouvrages à la "Contre-histoire de la philosophie" consacrés, je vous propose aujourd'hui, aux fins de combler un incommensurable vide dû à mon "absence" du Net en ce congé de Printemps belge, un premier extrait de la (bien trop) courte relation d'un voyage qu'à l'instar de Pierre Loti, Gérard de Nerval et tant d'autres aux siècles passés, le philopsophe français Michel ONFRAY fit en Égypte.

     Puisse cette approche vous permettre un jour de désirer découvrir ce petit opus mais aussi l'ensemble de son oeuvre philosophique ... 

   A cinq heures le matin, dans les rues de Louxor, les rats se le disputent aux mouches. La chaleur n'est pas encore là, ni les klaxons, ni le cliquetis du harnachement des chevaux, ni leur petit trot sur le bitume fondu. Rien d'autre, dans cette nuit juste achevée, ourlée de rose dans les derniers moments de l'aurore, qu'une immense promesse de brûlure sous un soleil qui se révélera impérieux. Sur la corniche où je consume du temps, en attendant l'heure de trouver un hôtel, je regarde de Nil sans trop y croire. Mythique et fabuleux, ancestral et magique, il coule, là, sous mes yeux, au premier plan d'un paysage dans le fond duquel rougeoie doucement la montagne thébaine.

     Au loin, quelques palmiers aux fûts cannelés et aux ombrelles épanouies devraient suffire à me convaincre que j'ai retrouvé l'Afrique dont mon désir est vif depuis la première fois. Les felouques bougent à peine sur l'eau, leur ventre plat et large comme le bassin de femmes superbes amortit les quelques vaguelettes qui s'écrasent sur le bois. Dans cette musique, le clapotis se partage les sons avec le bruit du vent dans les gréements. L'eau du Nil brille et scintille sous les reflets de la lumière annoncée, mais elle demeure noire et profonde, ombrée par la mémoire et les souvenirs les plus anciens, Nil de Vivant Denon et de Bonaparte, de Rimbaud et de Flaubert, Nil des convois mystérieux aux dieux humains à têtes animales, Nil des eaux nubiennes et des profondeurs de la matrice africaine.

     Le regard perdu dans ce liquide sans fond, je songe aux heures magiques au cours desquelles des barques et des prêtres, des puissants et des mages ont célébré, vénéré, adoré et prié le limon, puis les épousailles du soleil et de la terre, de l'eau et de l'air. Les quatre éléments s'agencent en de grandioses bacchanales dans lesquelles, pêle-mêle, se mélangent crocodiles et hippopotames, nénuphars et papyrus, pharaons et fellahs, poissons verts et ibis immaculés. En attendant, aux heures calmes et douces du petit matin, le Nil charrie de quoi nourrir éternellement la pensée d'Héraclite, le philosophe emblématique des fleuves et de leur magie métaphysique.  (...)  

   La matinée entamée, la brume apparaît. Les roses, les saumons, les rouges pâles et les pastels du petit matin laissent place à des teintes plombées induites par la chaleur et l'air qui danse à plus de cinquante degrés dans l'atmosphère. Quarante-trois à l'ombre. L'opalescence, la transparence se chargent d'un grisé qui nimbe chaque contour : les arbres, la montagne, et tout ce qui se trouve de l'autre côté du Nil, y compris des montgolfières immobiles dans l'azur. Les palmiers s'alourdissent dans la lumière. Le sable des contreforts du désert, au loin, à l'oeil, devient métallique, brûlant. La ville semble bruire, comme cuite en un four où tout ce qui la constitue aurait été jeté.

   Au bord de l'eau, un Égyptien fait frire des beignets de courgettes.  (...) Ainsi en descendant du bac qui permet de traverser le Nil d'est en ouest, on peut acheter des beignets, si d'aventure on n'a pas préféré le foul, un genre de fève dont on mange l'intérieur après en avoir craché la peau à même le sol, voire les pâtisseries coulantes de sucre, collantes de sirop ou parfumées de césame. Sur la navette crasseuse et déglinguée qui assure la liaison entre les deux rives, des enfants attablés devant d'immenses plats de gâteaux à trancher, ou de grandes bassines dans lesquelles on peut prélever une poignée de ces féculents jaunes, gagnent leur vie en vendant ces victuailles à picorer.

   Dans Louxor éveillée, les rideaux des magasins avaient été levés. De minables statues d'albâtre, des pacotilles ridicules, de la bimbeloterie touristique, force sphinx, pyramides, chats assis sur leurs postérieurs, temples en modèles réduits, visages de pharaons, masques de Toutânkhamon et autres horreurs de bijouterie clinquante trônaient dans des vitrines poussiéreuses. Ailleurs, des vêtements dont la matière, la coupe et les couleurs rappellent les années 70 en France. Et puis des vendeurs d'eau, de sodas divers, des coiffeurs qui travaillent jusqu'à minuit passé, alors que leurs pendules marquent des heures extravagantes, des épiciers chez qui l'on achète des cigarettes égyptiennes et occidentales, des conserves, des babioles, des cartes postales et tout ce qui singe la société de consommation. Je pris le chemin de mon hôtel jubilant de l'épaisse chaleur et de l'étouffante température - enfin sûr d'être en Égypte.

   Les hiéroglyphes achevèrent de me convaincre.

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   J'ai aimé, partout, ces cartouches qui contiennent les noms royaux, mais aussi ces bandes à géométrie variable, aux lectures aléatoires orientées suivant le regard des animaux omniprésents dans la pierre.  Droite et gauche, haut et bas, puis agencements. Des couronnes, des oiseaux, des serpents, des mains, des lions, et puis des noeuds, des bateaux, des poussins, des croix, des oies, des outils, des lotus, des hiboux, mais aussi des vautours, des vipères cornues, des feuilles de roseau, des paniers, et enfin des pieds, des torsades, des yeux, des abeilles, des poissons. Tout ce qui fait l'Egypte dans sa faune, sa flore, sa métaphysique, ses repères, sa réputation et sa singularité dans le monde.

Michel Onfray, A côté du désir d'éternité. Fragments d'Égypte, Livre de Poche, Collection Biblio Essais n° 4399, Paris, Librairie Générale Française, 2006, pp. 9-11 et 23-6.

A suivre, mardi 19 avril ...

(Un merci tout particulier à Dimitri Laboury, Professeur à l'Université de Liège, pour  le cliché  illustrant cet article qu'en son temps - et pour un tout autre emploi - il  m'avait amicalement fourni.)


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