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Marie Cosnay, Entre chagrin et néant.

Par Eric Bonnargent
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Éric Bonnargent

Marie Cosnay, Entre chagrin et néant.

Kader Attia, Flying rats

Si le fascicule de Stéphane Hessel ne pouvait nous indigner qu’à cause de sa vacuité, Entre chagrin et néant de Marie Cosnay dont les éditions Cadex proposent une nouvelle édition est un ouvrage qui aurait dû susciter une véritable indignation si les grands médias avaient pris la peine de s’intéresser à ce livre de Marie Cosnay sur l’immigration clandestine.En mai 2008, Marie Cosnay se rend pour la première fois au Tribunal de Grande Instance de Bayonne pour assister aux présentations d’étrangers en situation irrégulière devant le Juge des Libertés et de la Détention. Elle n’a pas l’intention d’écrire de livre, mais, face à l’absurdité du spectacle, elle commence à prendre des notes sur les pages blanches du roman qu’elle était en train de lire : Étoile distante de Roberto Bolaño… D’une manifestation du mal à une autre. Entre chagrin et néant n’est ni un roman ni un essai. Si Marie Cosnay se livre à quelques réflexions, elle cède la plupart du temps la parole à ceux qui en sont privés : les étrangers en situation irrégulière. Le plus fidèlement possible, elle raconte les audiences auxquelles elle assisté, la manière dont les personnes présentes se comportent, les propos tenus par les clandestins avocats, les juges, les représentants de la Préfecture et les étrangers eux-mêmes.L’opinion publique oublie souvent qu’on ne quitte jamais son pays de gaieté de cœur. On s’exile quand, note à juste titre Marie Cosnay, on n’a plus rien à quitter, quand le dernier recours est la fuite vers un ailleurs où, même dans une situation plus que précaire, on vivra toujours mieux que chez soi. L’exil est un désespoir. Ce sont toujours des raisons économiques ou politiques qui poussent ces hommes à fuir leur pays, mais chacun d’entre eux a sa tragédie personnelle et est ensuite confronté à l’absurdité et à l’inhumanité de notre système judiciaire. Les dernières espérances disparaissent dans les centres de rétention.Certains savent pourtant comment éviter l’expulsion : il suffit de prétendre être mineur ou de perdre ses papiers et affirmer ne pas savoir d’où l’on vient. Les uns sont autorisés à être clandestins jusqu’à leur majorité, les autres sont légalement autorisés à demeurer illégalement sur le territoire français… Être réellement sans papier permet de s’assurer la protection de la loi :
« Échapper à l’identification, c’est ainsi, parfois, échapper à l’expulsion ».
Sont également relâchés les immigrants pour lesquels on ne trouve pas d’interprètes. Parler hindi ou ourdou fait office de visa. L’absurdité et l’inhumanité du système sont d’autant plus révoltantes que les injustices sont nombreuses. Parmi les nombreuses audiences retranscrites par Marie Cosnay, il y a celle qui mènera à l’expulsion vers le Maroc d’un électricien qui travaille depuis 15 ans en France, qui est propriétaire d’un appartement à Paris et qui a toujours payé ses impôts. L’homme a beau fondre en larmes, la loi est inflexible. Il y a le cas d’un autre Marocain, fruit de l’immigration choisie, employé dans la sidérurgie qui doit quitter le territoire suite à la fermeture de l’entreprise qui l’employait. Il avait tout abandonné pour la France, il se sent trahi et estime que les lois françaises ne sont pas légales. En réalité, les lois sont par définition toujours légales, mais elles ne sont pas pour autant légitimes. Bien que n’ayant aucune portée juridique, la Déclaration universelle des droits de l’homme permet en effet de vérifier la légitimité des lois propres aux nations. Or, les lois françaises sur l’immigration clandestine entrent en conflit avec l’article 13 de cette Déclaration que Marie Cosnay rappelle :
« 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir librement sa résidence à l’intérieur d’un pays.2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »
La France, pays des Droits de l’homme… En principe et en principe seulement. Le pire réside dans la politique du chiffre instaurée par les derniers ministres de l’intérieur et de l’immigration. Pour rivaliser avec le Front National qui lamine la droite républicaine, il est nécessaire de pouvoir publier chaque année de bons chiffres et pour cela tous les moyens sont bons, notamment l’arrestation d’étrangers de passage dont le seul objectif est de quitter le territoire. Monsieur ***, un Gabonais, va passer plusieurs jours en Centre de rétention, puis être expulsé vers la Finlande (alors qu’il a sur lui son billet d’avion Madrid-Helsinki) où il vit et bénéficie du statut de réfugié politique parce qu’alors qu’il était en vacances en Espagne, il est venu passer une journée en France et s’est fait arrêter sans son autorisation de se déplacer en Europe, oubliée à Madrid. Si monsieur *** savait qu’il lui fallait avoir cette autorisation, de nombreux clandestins sont tout simplement des touristes qui ignorent qu’une carte de séjour dans un pays européen ne permet pas de voyager à l’intérieur de l’espace Schengen. C’est ainsi que de nombreux touristes sont placés en rétention dans l’attente de leur expulsion vers leur pays d’accueil où ils comptaient retourner !
« On ne peut pas ne pas noter l’absurdité administrative qui empêche les gens de quitter le territoire français – alors qu’ils le quittaient – pour les en expulser au nom de l’État français. »
Et les audiences se succèdent les unes aux autres, laissant des hommes et des femmes entre chagrin et néant, écrasés par la machine étatique. Car c’est bien d’une machine qu’il s’agit. Les jeunes juges écoutent avec attention, s’apitoient, mais, avec l’expérience, pour se protéger eux-mêmes et pour faire leur métier, ils finissent par traiter froidement les affaires pour n’avoir plus à faire qu’à des dossiers. L’aspect humain est nié et même les avocats et les associations sont résignés, à l’affut d’un vice de procédure qui, seul, pourrait sauver la mise. Pour les jeunes policiers de la PAF qui ricanent et se réjouissent des avis d’expulsion, l’aspect humain n’existe plus depuis longtemps, peut-être n’a-t-il même jamais existé. Marie Cosnay reconnaît qu’à voir défiler ces hommes et ces femmes, elle a dû rester vigilante pour ne pas s’habituer. S’habituer, c’est accepter et renoncer à l’indignation.La lecture d’Entre chagrin et néant est salutaire, elle permet de ne pas oublier que ces fameux clandestins sont des hommes de chair et de sang, des êtres singuliers qui mériteraient de notre part plus de considération et moins d’indifférence.
Marie Cosnay, Entre chagrin et néant.

Marie Cosnay, Entre chagrin et néant. Audiences d’étrangers. Cadex Éditions. 15 €

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