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La carrière d'un fasciste français

Par Fmariet
Jacques Cantier, Pierre Drieu La Rochelle, Editions Perrin, Paris, 2011, 318 p., Index, Bibliogr.
Biographie, par un universitaire, d'un écrivain fasciste, collaborateur actif et délibéré des nazis. Drieu est impardonnable, même s'il se trouve des personnes pour défendre son talent d'essayiste, de romancier, de journaliste. Il y a un cas Drieu comme il y a un cas Céline ; ils ont d'ailleurs en commun l'antisémitisme. Il faut dire que les comportements de la classe intellectuelle, traditionnelle et organique, a été particulièrement navrante. Drieu, comme beaucoup d'autres, a été manoeuvré (par Otto Abetz, Gehrard Heller, notamment). En 1935, Drieu visite en touriste le camp de concentration de Dachau (ouvert dès 1933, près de Munich) ; en bon hitlérien, il n'y trouve rien à redire : c'est le droit du plus fort. Drieu marque l'histoire littéraire de la première moitié du XXème siècle en dirigeant la NRF de Gallimard pendant l'Occupation. Les nazis tenaient à  laisser aux Français l'illusion d'une vie culturelle normale conformément aux consignes de Hitler qui l'avait annoncé sans détour dans Mein Kampf ! La plupart des intellectuels joueront le jeu et contineront de publier, de faire jouer leurs pièces (dont Sartre, Beauvoir, etc.). Cf. posts sur les Médias de la collaboration nazie, et sur Mein Kampf, introuvable best-seller.
Pourquoi évoquer cet ouvrage à propos des médias ? Deux raisons.
  • La "génération" est souvent mobilisée par les analyses média (cf. Générations Média). Les historiens ne s'accordent pas sur la valeur du concept. Marc Bloch en admet la pertinence explicative tandis que Lucien Febvre lui dénie tout intérêt. L'auteur, sans prendre parti dans le débat épistémologique, rend parfaitement compte, et il y faut du talent, de l'hégémonie culturelle (Gramsci) qui conduit à l'installation d'une collaboration culturelle avec le nazisme. Long héritage d'antisémitisme, de rancoeur et de ressentiment qui peut s'épanouir. Génération "du feu", les écrivains qui ont eu "vingt ans en 1914" (Drieu, Aragon, Berl, Céline, Guéhenno, etc.) sont revenus du Front désabusés, brisés, désorientés. Assurément, on perçoit dans la biographie les traits qui constituent la culture d'une génération mais cela ne rend pas compte des comportements opposés qui s'y forment. 
  • L'hégémonie culturelle qui assure aux nazis une collaboration paisible doit beaucoup à la presse, journaux, revues, magazines. L'ouvrage fourmille de références aux titres qui se créent, s'opposent, s'invectivent et semblent contribuer au débat politique autant que littéraire. Cette lecture suggère une réflexion sur le métier des "clercs", journalistes, écrivains, doxosophes... Réflexion entamée par Julien Benda avec La trahison des clercs (1927, publiée par la NRF) et sa "Note sur la Réaction" (1929) mais qu'il faut pousser bien au-delà avec la notion de "métier" : qu'est-ce qu'un journaliste ? Question contemporaine s'il en est alors que la presse ne sait plus où elle en est.
Cette biographie a l'air d'un roman, et c'en est un, des plus réalistes. Mais cet ouvrage agréable à lire, bien construit, clair et méticuleux, est aussi un livre d'historien. On le referme après plus de 300 pages en regrettant que l'auteur n'en ait fait plus. Indispensable pour l'histoire littéraire, et, à mon avis, point de départ pour une analyse secondaire du rôle de la presse, de son fonctionnement dans la mise en place de l'hégémonie culturelle qui fait une époque .

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