« Pour comprendre un individu, il faut savoir quels sont les désirs prédominants qu’il aspire à satisfaire. Le déroulement de sa vie n’a de sens à ses propres yeux que s’il arrive à les réaliser et dans la mesure où il y arrive », Norbert Elias.
C’est souvent un vœu pieux comme le dit plus loin l’auteur, car les désirs sont très souvent profondément enfouis en nous ou bien nous faisons tout pour qu’ils le restent. De plus, pour reprendre la note précédente sur notre capacité à changer, il n’est pas certain que ces désirs n’évoluent pas au cours du temps. Que ce soit leur réalisation partielle ou complète, que ce soit un changement de centre d’intérêt, la persistance de nos désirs tiendra surtout en notre volonté de conserver coute que coute une personnalité que l’on nous a forgée malgré nous et parce qu’il a été bien spécifié dans le mode d’emploi que c’est ainsi que doit vivre des hommes et des femmes sains d’esprit ; le culte du moi, seule garantie du raisonnable face à la folie. La passion nous fait nous oublier et sert de preuve à nos censeurs que, lorsque l’on se détourne de nous-mêmes, les pires tourments s’abattent sur nous. CQFD. Or qu’est-ce le moi ? Sinon, une autre pathologie comme le sont la sous-estimation et la surestimation dans un Univers impermanent, une lutte perdue d’avance contre l’entropie, contre la mort. Considérés ainsi, les désirs ne sont un problème que lorsqu’ils sont entretenus, maintenus, figés dans une représentation de soi-même à l’image d’une île au milieu d’un océan avec un phare en son centre tentant de percer l’obscurité des alentours. On comprend facilement qu’il soit si difficile à lâcher prise.
« Mais ces désirs ne sont pas inscrits en lui avant toute expérience. Ils se constituent à partir de la petite enfance sous l’effet de la coexistence avec les autres, et ils se fixent sous la forme qui déterminera le cours de sa vie progressivement, au fil des années, ou parfois aussi très brusquement à la suite d’une expérience particulièrement marquante », il est tout à fait vrai que l’enfance est un moment de fort apprentissage, d’ailleurs ne dit-on pas de nos jours que tout se joue avant six ans ? Histoire de bien culpabiliser des parents aux prises avec une multitude d’indications et de contre-indications. Mais cet apprentissage ne s’arrête pas à ce stade, loin de là, et il ne tient qu’à nous de continuer notre évolution tout le long de notre chemin dans l’existence et de faire le tri entre ce qui nous appartient et ce qu’on nous a laissé en héritage, sans jugement, une consolidation des forces intérieures. « Il est certain que les individus ne reconnaissent pas toujours en tant que tels les désirs dominants qui mènent leur existence », attention à ne pas confondre avec méconnaissance, dans ce cas, la plupart du temps, l’individu va s’efforcer d’alimenter ces désirs non reconnus comme ce que l’on s’applique à faire avec nos petits (ou moins petits) défauts. « Il ne dépend pas non plus uniquement d’eux que ces désirs trouvent ou non leur satisfaction… », il est aussi tout à fait possible que l’on sache inconsciemment que les désirs disparaissent lorsqu’ils sont réalisés, comme si on connaissait inconsciemment les propos d’André Comte-Sponville que j’ai rapporté dans mes notes précédentes. Mais Norbert Elias nous apporte un autre point de vue : « …puisque ceux-ci visent toujours les autres et le tissu d’imbrications sociales avec les autres ». Le domaine des propriétés extrinsèques et les réactions du premier genre notions très intéressantes décrites par Spinoza par l’intermédiaire en ce qui me concerne de la voix de Gilles Deleuze… une prochaine note… tant de projets… Et oui, les autres ne sont pas notre propriété et ce constat nous ancre dans des désirs plus ou moins profonds : « Presque tous les individus ont des désirs d’ordre bien défini qui se situent dans le domaine du possible ; presque tous ont aussi quelques désirs très profonds, tout simplement irréalisables, tout au moins en l’état actuel du savoir ».
18 avril 2011
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