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Monné, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma

Par Marjoriem

Monné, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma

Je suis sûre que beaucoup d’entre vous connaissent déjà Ahmadou Kourouma, l’auteur de Allah n’est pas obligé et du Soleil des indépendances. Pour retracer brièvement sa biographie, Kourouma est un écrivain ivoirien, d’origine malinké (une ethnie représentée dans toute l’Afrique de l’Ouest). Pendant la colonisation, il fait de études à Bamako au Mali, puis à Lyon. En Indochine, il est tirailleur sénégalais. A l’indépendance, il rentre dans son pays, mais rapidement ses positions politiques le mènent en prison puis en exil.

Monné, outrages et défis est d’abord une saga, l’histoire du dernier roi de Soba, Djigui aussi appelé le Centenaire, sur fond de colonisation française. Le titre « monné » est un mot intraduisible en français, il signifie en malinké à la fois « outrages, défis » mais sans que cela ne le traduise entièrement. Le livre joue sur ces écarts dans la traduction, qui révèlent des cultures, des visions du monde tellement différentes qu’elles ne se rencontrent pas. Les colons, par les travaux-forcés, les impôts amènent « la civilisation » que l’interprète indigène, dévoué, traduit par « devenir toubab », faute d’équivalent. Le « laissez-passer » que doivent porter tous les indigènes devient un gri-gri, un fétiche puissant puisqu’il permet d’aller et venir dans le territoire conquis par les Toubabs. Le ton est celui de l’humour, noir.

Loin de dresser un tableau idylique de la période précédant la colonisation, Kourouma nous montre au contraire, une société gangrenée, percluse dans des traditions qui avilissent la femme, et l’homme : esclavagisme, toute-puissance du roi, autorité des marabouts, sacrifices humains…

Face au Centenaire, pris entre ses traditions animistes qu’il conjugue avec un islam ritualisé, son héritage et sa descendance, les commandants, instituteurs, docteurs, toubabs juifs ou communistes, défilent à Soba et constituent autant de confrontations, d’occasions de mettre en perspective les Histoires. La première puis la seconde guerre mondiale contre les méchants « allamas », se succèdent, avec leurs lots de recrues envoyées de force au front, puis la guerre froide et le chemin vers l’indépendance.

En retraçant ainsi l’Histoire, Kourouma interpelle sur la situation contemporaine des pays d’Afrique aujourd’hui :

Ceux de soba, comme tous les africains plus tard vivront l’ère des présidents fondateurs des partis uniques, dont certains décréteront que tous les habitants du pays sont membres et préleveront comme la capitation des cotisations qu’ils feront encaisser sans attribuer ni cartes ni aquit. Avec les fonds jamais comptabilisés ou contrôlés, au nom du combat sacré pour l’unité nationale, de la lutte contre l’impérialisme, le sous-développement et la famine, ils se construiront des villas de rapport, entretiendront de nombreuses maitresses, planqueront de l’argent en Suisse et achèteront en Europe des châteaux où ils se réfugieront après les immanquables putchs qui les chasseront du pouvoir. »



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