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Anthologie permanente : Paul Celan, pour le 41ème anniversaire de sa mort, un poème, quatre traductions

Par Florence Trocmé

Poezibao n’est pas une entreprise abstraite, coupée de tout contact, même si l’essentiel passe par Internet. Nombreux, écrivains et lecteurs, sont ceux qui quotidiennement écrivent au site, réagissent au choix des textes. J’ai reçu ainsi il y a trois jours un mail très émouvant : « [...] Pensa di ricordare Paul Celan? (Parigi, ponte Mirabeau: 20 Aprile 1970. Paul Celan incontro all’ “ora/ [che] non ha sorelle”  »   
Par ailleurs lisant actuellement Ligatures, La pensée musicale de György Kurtág (sous la direction de Pierre Maréchaux et Grégoire Tosser, Presses Universitaires de Rennes, 2009), j’y a trouvé une longue et belle méditation de Beate Perrey autour du poème « Tübingen, janvier », de Paul Celan, utilisé par Kurtág dans ses Hölderlin-Gesänge, op. 37. Texte que j’ai donc choisi et que je propose dans quatre traductions différentes pour cet anniversaire de la mort de Paul Celan, qui s’est jeté dans la Seine il y a 41 ans, à Paris, au Pont Mirabeau.  
On trouvera donc ci-dessous la traduction de Martine Broda, le texte original allemand de Paul Celan, puis les traduction de John E. Jackson, André du Bouchet et Philippe Lacoue-Labarthe.   
 
 
 
Tübingen, janvier 
 
Des yeux sous un flot de mots 
aveuglés.  
Leur – « énigme 
ce qui naît  
de source pure » –, leur 
souvenir 
de tours Hölderlin nageant, tournoyées 
de mouettes.  
 
visites de menuisiers noyés 
à ces 
mots qui plongent :  
 
S’il venait, 
venait un homme,  
venait un homme au monde, aujourd’hui, avec 
la barbe de clarté 
des patriarches : il devrait 
s’il parlait de ce 
temps, il 
devrait bégayer seulement, bégayer, 
toutoutoujours 
bégayer.  
 
(« Pallaksch. Pallaksch. »  
 
Paul Celan, La Rose de Personne, traduction de l’allemand et postface de Martine Broda, édition bilingue, collection Points/Poésie, 2007, p. 38 et 39. Cette traduction a été publiée précédemment par les Editions José Corti en 2002, p. 40 et 41 
 
 
Tübingen, Jänner 
 
Zur Blindheit, über- 
redete Augen. 
Ihre – “ein 
Rätsel ist Rein- 
entsprungenes” – ihre 
Erinnerung an 
schwimmende Hölderlintürme, möwen- 
umschwirrt. 
 
Besuche ertrunkener Schreiner bei 
diesen 
tauchenden Worten : 
 
Käme,  
Käme ein Mensch,  
Käme ein Mensch zur Welt, heute, mit 
dem Lichtbart der 
Patriarchen : er dürfte, 
spräch er von dieser  
Zeit, er 
dürfte 
nur lallen und lallen, 
immer-, immer- 
zuzu.  
 
(“Pallaksch. Pallaksch.”) 
 
 
Tübingen, nivôse 
 
Yeux, per- 
suadés d’être aveugles.  
Leur – « énigme 
ce qui naît 
d’un jaillissement pur »–, leur 
souvenir des 
tours nageantes de Hölderlin, bruissantes 
de mouettes 
 
Visites de menuisiers noyés 
à ces 
paroles plongeantes :  
 
Vienne, 
vienne un homme, 
vienne un homme, au monde, aujourd’hui 
portant la barbe de lumière 
des patriarches : il ne 
pourrait, parlât-il 
de ce temps, il  
ne pourrait 
que bégayer, bégayer, sans 
fin, sanfin.  
 
(« Pallaksch. Pallaksch. »  
 
Paul Celan, traduction de John E. Jackson, édition José Corti, 2004. Cité in La pensée musicale de György Kurtág (sous la direction de Pierre Maréchaux et Grégoire Tosser, Presses Universitaires de Rennes, 2009.  
 
 
Par ailleurs, Philippe Lacoue Labarthe dans son livre La poésie comme expérience, analyse ce poème et en donne trois traductions, celle de Martine Broda, celle d’André du Bouchet et la sienne.   
 
Tübingen, Janvier 
 
A cécité même 
mues, pupilles.  
Leur – « énigme cela, 
qui est pur 
jaillissement » –, leur 
mémoire de 
tours Hölderlin nageant, d’un battement de mouettes 
serties 
 
Visites de menuisiers engloutis par 
telles 
paroles plongeant :  
 
S’il venait 
venait un homme, 
homme venait au monde, aujourd’hui avec 
clarté et barbe des 
patriarches : il lui faudrait, 
dût-il parler de telle 
époque, il lui faudrait 
babiller uniquement, babiller 
toujours et toujours ba- 
biller  iller 
 
(« Pallaksch. Pallaksch. »  
 
(traduction d’André du Bouchet, in Philippe Lacoue-Labarthe, La poésie comme expérience, Christian Bourgois, 1986, 1997, p. 19) 
 
 
Tübingen, janvier 
 
sous un flot d’éloquence, 
aveuglés, les yeux.  
Leur – « une  
énigme est le 
pur jailli «  –, leur 
mémoire de 
tours Hölderlin nageant, tour- 
noyées de mouettes 
 
Visites de menuisiers submergés sous 
ces  
paroles plongeant :  
 
Viendrait,  
viendrait un homme 
viendrait un homme au monde, aujourd’hui, avec 
la barbe de lumière des 
Patriarches : il n’aurait, 
parlerait-il de ce  
temps, il 
n’aurait  
qu’à bégayer, bégayer 
sans cesse 
sans cesse.  
 
(« Pallaksch. Pallaksch. »  
 
(traduction de Philippe Lacoue-Labarthe, in Philippe Lacoue-Labarthe, La poésie comme expérience, Christian Bourgois, 1986, 1997, p. 28) 
 
 
Paul Celan dans Poezibao :  
Bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2,  extrait 3,  extrait 4 (correspondance avec Nelly Sachs), extrait 5, extrait 6 (avec présentation de Partie de Neige), extrait 7, Celan sur parole (R. Klapka), extrait 8, extrait 9, extrait 10, Grille de Parole (parution Points), extrait 11, Exposition Paul Celan, Gisèle de Lestrange, extrait 12 (avec E. Fried), ext. 13 (Éditions Unes) 
 
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