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Le “desherbage en question”, contribution de Séverine Lepape

Par Benard

Nous avons reçu de Séverine Lepape, conservateur à la BnF, la contribution suivante au débat que nous avons voulu lancer sur la pratique du désherbage. N’hésitez pas à nous envoyer les vôtres.

J’ai lu avec attention et intérêt votre article sur le désherbage de la BHVP et la réponse d’une collègue à ce sujet. Pour ouvrir le débat, comme vous y invitez avec raison, je souhaiterais souligner un point fondamental qui me frappe particulièrement dans ces échanges : les deux cultures radicalement opposées d’un chercheur et d’un bibliothécaire qui semblent ici affleurer.

Vos arguments sont, en partie, les suivants :

- Les bibliothèques spécialisées ne devraient pas désherber.
- Si l’on désherbe, on doit procéder dans les règles de l’art.
- Ce n’est pas parce que la Bibliothèque Forney ou une autre bibliothèque parisienne conserve l’Art Bulletin(j’ai bien compris qu’il ne s’agissait que d’un exemple mais je le garde pour continuer la discussion), que la BHVP doit s’en débarrasser.
- Les collections de revues d’art sont patrimoniales.

Ceux de la consoeur sont, en partie, les suivants :

- Le désherbage est monnaie courante dans la profession.
- Nous nous appuyons sur des instruments d’évaluation rédigés par la profession, qui est la seule à même de juger de la manière dont on désherbe.
- L’Art Bulletinest disponible dans beaucoup d’autres bibliothèques, y compris parisiennes.
- Les collections de revues d’art ne sont pas patrimoniales.

Dialogue de sourds au demeurant. Mais qui révèle à mon sens l’étanchéité des pratiques et des manières de concevoir. Qu’on saisisse bien, je ne cherche à donner raison ni aux uns ni aux autres car la question est mal posée. Il ne s’agit pas de savoir si la BHVP doit ou non pilonner ses revues ou les donner, mais se poser la question de ce qui la motive à faire cela et ce qui entraîne les réactions scandalisées chez beaucoup. J’aimerais donc juste remettre en contexte ce que cet échange témoigne des positions et des incompréhensions de part et d’autre. De part et d’autre de quoi d’ailleurs ? L’échange met aux prises une institution de conservation d’un côté et des utilisateurs potentiels de cette dernière de l’autre. La séparation est en elle-même fallacieuse car un conservateur est (selon moi) aussi un chercheur appelé à faire des recherches dans des institutions de conservation et un chercheur qui pratique lesdites institutions s’intéresse très souvent aux questions de conservation. Mais il serait vain de ne pas remarquer l’existence d’une coupure réelle qui les oppose trop souvent, hélas, dans un jeu de rôles dont les uns et les autres ont tout à perdre.

Le bibliothécaire s’occupe de collections : je veux dire par là, il acquiert, il catalogue, il conserve, il restaure, il met à la disposition. Cette chaîne, nous la connaissons tous. Mais le système s’est grippé depuis plusieurs années, comme l’indique Juliette Jestaz. Et à plusieurs niveaux : moins d’argent pour acheter, moins pour restaurer et pas d’espace supplémentaire pour entreposer. A cela s’ajoute que le bibliothécaire dans une bibliothèque spécialisée gère une collection forcément hétérogène, c’est-à-dire conservant des ouvrages anciens, des estampes, des dessins, des manuscrits et des imprimés (je reviendrai là-dessus pour la question du patrimonial). J’entends déjà les remarques : si les moyens tendent à se réduire, pourquoi jeter des ouvrages qu’on a pris la peine de relier ? Selon la même logique que des éditeurs envoient au pilon des ouvrages à peine sortis des presses et qui ont un taux de rotation moyenne en librairie de quelques mois. Pas de vente, pilon. Pas de consultation, pilon. Evidemment, une telle logique appliquée aux bibliothèques est scandaleuse, je suis tout à fait d’accord et elle ne devrait pas avoir droit de cité mais elle est parfois la seule qu’un bibliothécaire entrevoit dans un système public qui se déresponsabilise en réduisant la part de budget dévolu au fonctionnement des institutions patrimoniales. Ou qui renvoie ces dernières à la recherche de fonds propres pour exister.

Lire la suite : http://www.latribunedelart.com/le-desherbage-en-question-contribution-de-severine-lepape-article002163.html


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