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Prédictions économiques

Publié le 26 avril 2011 par Copeau @Contrepoints

L’économiste est un expert qui saura demain pourquoi les choses qu’il a prédit hier ne sont pas produites aujourd’hui. (Laurence J. Peter)

Par Jean-Hugho Lapointe (*)

Prédictions économiques
Alors que beaucoup d’entre nous ont le sentiment que les prédictions économiques sont justes aussi douteuses que les prédictions météorologiques, la demande de ces pronostics économiques reste d’une façon ou d’une autre très forte, alors que peu de gens semblent intéressés par ces résultats. En effet, le business du pronostic remonte à l’Antiquité, et alors qu’il n’a pas encore amélioré significativement sa production, les gens continuent à d’affluer vers son autel.

De nos jours, certains segments de l’entreprise de la prévision, comme ceux du temps et des pronostics économiques, sont astucieusement dénommés « prospective scientifique », puisqu’ils font un usage extensif des modèles mathématiques. Mais depuis, je suis certain que ni l’un, ni l’autre de ces modèles et les prévisions produites par ces derniers peuvent être toujours considérés comme suffisamment fiables pour être utilisés en tant que preuve dans une cour de justice afin d’énoncer de quoi l’avenir sera fait. J’ai toujours été intrigué par le fait que la majorité des économistes, qui doivent les connaitre mieux que moi, les utilisent à cette fin. En conséquence de cela, les politiques publiques restent guidées par les prévisionnistes économiques et leurs modèles, en dépit des humiliants résultats et des conséquences terribles pour des vies humaines et pour la société qu’ils occasionnent.

Si les astrologues et les météorologistes ont une légère influence sur les politiques publiques, les économistes devins occupent des positions stratégiques dans le processus de prise de décision publique, soit au gouvernement ou dans les banques centrales, nourrissant l’adoption de plus en plus mal inspirée et assurée des politiques de grande envergure. Que le travail des prévisionnistes économiques continue d’échapper à un examen scrupuleux semble déranger, et à tout le moins, détermine la rédaction de cet article.

C’est la complexité, imbécile !

Complexe : impliquant un grand nombre de pièces différentes liées entre elles d’une façon difficile à interpréter. (Dictionnaire de l’étudiant de Cambridge)

Comme je l’ai remarqué, les prévisions économiques sont basées sur des modèles économiques mathématiques. En science, un modèle est généralement comprit comme étant une représentation abstraite d’un sujet donné, comme un procédé ou un système. Les modèles mathématiques sont des modèles qui utilisent le langage mathématique (donné, équation) pour décrire leurs systèmes sous-jacents, et sont fondés sur divers champs tels que la physique, l’économie, la biologie, la météorologie, la climatologie, etc. Les modèles économiques mathématiques sont ainsi des représentations abstraites d’une économie basée sur des données et équations valides. L’uns des rendements de ces modèles, que sont les prédictions quantitatives sur l’état futur d’une économie, dépendent des actions qui seront prie à un moment donné, prétendument similaire à la façon dont un modèle du système solaire pourrait prédire la position future des planètes en prenant les données correctes présentes.

Depuis que les économies intégrées font confiance à ces outils pour formuler leurs théories et prédictions, les modèles économiques mathématiques sont devenus la fondation de la plupart des avis guidant les politiques publiques, comme la détermination des taux d’intérêt, depuis des décennies maintenant. En effet, une fois que l’on assume que l’on peut prédire l’état de l’économie, ce qui suit est l’idée que nous pouvons prévoir les résultats de nos actions, et donc de gérer correctement la société. Pourtant, comme le disait Albert Einstein dès le début des années 40 :

Quand le nombre de facteurs entrant en jeu dans un complexe phénoménologique est trop large, la méthode scientifique, dans la plupart des cas, échoue à s’imposer. Il suffit de penser à la météo, dans ce cas là, la prédiction, même pour quelques jours plus tard, est impossible. Néanmoins, personne ne doute que nous sommes confrontés à un rapport causal dont les composants causaux sont les principaux que nous connaissons. Les événements dans ce domaine hors de portée de la prédiction exacte en raison de la variété des facteurs opérants, non pas à cause d’un manque d’ordre dans la nature. [1]

Depuis ce temps, la théorie sur la complexité a gagné en notoriété dans un grand nombre de champs comme un voie vers la compréhension des systèmes complexes, mais il semble que la prévision économique reste imperméable. Nous allons voir maintenant ce que pourrait apporter un changement de paradigme en économie.

Einstein était un penseur éclatant sur plusieurs sujets, parmi cela les limites de la science (ou la philosophie de la science.) Il était parmi les premiers à identifier les obstacles particuliers que pose la complexité à la science, et à ce sujet il fut suivi par le mathématicien Warren Weaver, considéré comme étant le pionnier dans ce domaine. Ensuite, inspiré par les travaux de Weaver, le premier à discuter spécifiquement les conséquences scientifiques de la complexité en économie fut Friedrich Hayek. Dans La théorie des phénomènes complexes (1964, The Theory of Complex Phenomena), il a souligné que ce qui distingue les phénomènes complexes (comme l’économie) des simples phénomènes est la multiplicité des éléments et leur interaction dans le système, couplé à la subjectivité des données dans les sciences humaines qui élude les formules mathématiques.

Nonobstant, la théorie de la complexité semblait avoir gagné du terrain dans les années 90, comme le décrit le mathématicien cornélien Steven Strogatz :

À chaque décennie ou presque, une théorie grandiose voit le jour, portant un sinistre nom à consonance en C. Dans les années 60 se fut la cybernétique. En 70, la théorie de la catastrophe. Ensuite vinrent, dans les années 80, les théories du chaos et dans les années 90, celles de la complexité. Dans chaque cas, les sceptiques grommelaient que ces théories furent survendues et que les résultats était soient faux, soit évidents. Puis tout le monde rigolait et retournait à sa table de laboratoire pour quelques rectifications, et la science réductionniste cloisonnait ces collègues dans des disciplines attenantes, qui étaient elles-mêmes misent à l’écart dans leur propre petit coin de l’univers. […] Ce qui est différent aujourd’hui est une sensation dans l’air. Même les scientifiques grand public les plus fanatiques commencent à reconnaître que le réductionnisme ne peut pas être assez puissant pour résoudre tous les grands mystères auxquels nous sommes confrontés : le cancer, la conscience, l’origine de la vie, la résilience de l’écosystème, le sida, le réchauffement climatique, le fonctionnement d’une cellule, le flux et le reflux de l’économie […] Ce qui rend tous ces problèmes non résolus si frustrant, c’est leur décentralisation, caractère dynamique dans lequel un très grand nombre de composants ne cessent de changer leur état d’instant en instant, se bouclant l’un sur l’autre d’une manière qui ne peuvent pas être étudiés par l’examen de chaque partie isolée. Dans de tels cas l’ensemble n’est certainement pas égal à la somme des parties. Ces phénomènes, comme les autres dans l’univers, sont fondamentalement non-linéaire. [2]

L’un des premiers développements scientifiques importants qui sorti des études de la complexité fut révélé dans la météorologie dans le début des années 2000. Un autre mathématicien, David Orrell, a déclenché un débat dans ce domaine quand il a avancé l’idée que les erreurs dans les prévisions météorologiques ne sont pas attribuables au chaos, mais plutôt à des erreurs dans les modèles. En outre il a prétendu que des erreurs dans les modèles sont insurmontables en raison de la complexité du système sous-jacent ; à l’inverse du chaos, la complexité est incompressible.

Si son argumentation a fait des progrès dans météorologie, l’économie conventionnelle (qui utilise des modèles similaires pour des systèmes similaires) a surtout navigué sur toute la question jusqu’à ce jour. Si son argumentation a fait des progrès dans la météorologie, l’économie conventionnelle (qui utilise des modèles similaires pour des systèmes similaires) a surtout navigué sur toute la question à ce jour. Évidemment, il y a d’immenses implications politiques pour l’économie conventionnelle qui ne sont pas partagées par la météorologie et qui pourraient présenter une incitation pour le maintien du statu quo. Cela conduit à une divergence étrange qui fait, à partir de deux modèles mathématiques partageant une physique similaire , les méthodes et les limites, que l’un soit connu pour ne pas être suffisamment fiables pour décider l’achat de vêtements imperméables pour un trek prévu dans une semaine, tandis que l’autre soit encore utilisé dans les décisions politiques visant des millions de vies.

Orrell aborde les limites des modèles mathématiques en ce qui concerne la prédiction de systèmes complexes comme l’économie, la santé ou le climat dans son livre, Le futur de tout (The Future of Everything) [3] Il distingue d’abord le chaos et la complexité. Une de leurs principales différences est qu’il n’y a pas d’ordre dans le chaos, alors que l’ordre émerge spontanément dans les systèmes complexes. Et en effet, sans aucune volonté centrale de planification, l’ordre existe dans la nature, dans les organismes vivants et dans les économies. Ils émergent des relations multiples et leurs effets de rétroaction entre les différents éléments de ces systèmes, alors que ces rétroactions créent un équilibre toujours ajusté. Une autre propriété émergente de quelques systèmes complexes est l’adaptation.

Ces propriétés de systèmes complexes sont difficiles à saisir pour les modèles parce qu’ils sont étrangers au réductionnisme. L’ordre et l’adaptation sont exposés par un système dans son ensemble et ne peut être comprise selon les mêmes règles qui régissent les relations entre les différents éléments des systèmes. Pensez au cerveau humain: dessiner une carte de tous ses neurones et sachez que l’un d’eux peut interagir avec un autre sans solliciter notre intelligence ou notre mémoire.

Pensez aussi à la métaphore d’Adam Smith de la «main invisible», la capacité du marché libre de répartir les ressources et servir la société en dépit du fait que chaque agent cherche seulement son propre intérêt.

Le réductionnisme comme un moyen de compréhension et de modélisation des systèmes complexes est donc une erreur scientifique : une méthode qui a marché dans beaucoup d’expériences en physique mais qui a été transposé par erreur à des domaines où il n’était pas approprié. De plus, si le réductionnisme est une approche erronée purement causée par son assombrissement de la nature globale des systèmes complexes, elle est encore aggravée par le fait que l’individu ne peut capturer les relations non linéaires entre les parties elles-mêmes qui sont difficiles à saisir mathématiquement. Par exemple, il n’y a pas d’équations pour les nuages ou de leurs relations exactes avec les océans, et donc les modèles climatiques doivent utiliser des approximations.

En économie, les modèles doivent présumer que les agents économiques agissent rationnellement ou tendre vers une efficacité maximale. Pourtant, les gens font des décisions économiques irrationnelles. Cela peut affecter énormément la validité des modèles. Orrell explique que les modèles de systèmes complexes sont très sensibles à de petites erreurs dans les équations approximatives, notamment parce que ces systèmes sont les hôtes d’un équilibre extrêmement délicat entre les forces opposées et des mécanismes de rétroaction, où un léger déséquilibre dans leur représentation a de grands effets sur l’exactitude des modèles de projections. Approximations sont donc l’une des principales sources d’erreur des prévisions-une erreur qui croît avec le temps puisque le système adopte une voie qui s’écarte de celle prévu.

En d’autres termes, les programmes d’ordinateur doivent nécessairement suivre des règles prédéterminées et bien définies, alors que les comportements des êtres humains ou du monde naturel sont souvent basées sur des règles en perpétuelle évolution, ou pas de règles du tout. Cela signifie que le monde au sein d’un modèle peut évoluer vers le résultat prévu par les règles contenues dans le programme, une simple description de ce qui se passerait si ces règles ont été respectées dans le monde réel, toutes choses restantes par ailleurs constantes.

Finalement, la validité d’une théorie scientifique réside dans sa capacité à survivre à l’essai, et les modèles peuvent être seulement testées à l’aide des expériences passées. Si ces tests peuvent marcher pour des problèmes simples, ils ne peuvent pas fonctionner pour des systèmes complexes où les propriétés non-linéarité et émergentes telles que l’adaptation, ce qui signifie que le passé n’est pas garant de l’avenir. Même si les modèles sont fixés pour « prédire » les données antérieures, ils sont toujours aveugles sur ce qui est à venir. Le test est donc irrémédiablement viciée : prévisions peut toujours réussir à prédire le passé, mais ce test n’est pas pertinent si l’histoire ne se répète pas. Et sans un test digne, toute théorie peut sembler juste.

Dans l’ensemble, la théorie de la complexité nous donne une vision plus rigoureuse de ce qu’était une perception plus intuitive des difficultés de la prévision économique, car elle aborde les aspects mathématiques de la question. Maintenant, sachant cela, quelle devrait être notre ligne de conduite ? Pour continuer à faire des prédictions qui ne peuvent être sauvées de l’erreur, nous devrions utiliser l’information disponible, conscient des limites de notre connaissance ? Si « l’étude des caractéristiques des systèmes dynamiques complexes nous montre exactement pourquoi une connaissance limitée est inévitable [et] nous confronte aux limites de l’entendement humain », [4] l’apprentissage de nos limites est alors une découverte scientifique réel. Ignorer ce progrès serait stupide et sans fondement scientifique. Et pourtant, il semble que c’est ce que c’est pour cela que les prévisionnistes économiques sont payés pour faire de plus puissantes institutions publiques.

Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois

Les prédictions de l’avenir ne sont jamais que des projections des processus automatiques et procédures actuelles, qui sont fait d’événements qui sont susceptibles d’arriver si les hommes n’agissent pas et si rien d’inattendu se produit ; que la moindre action se produise, pour le meilleur ou le pire, et chaque accident détruit nécessairement toute la structure dans le cadre de la prévision et se déplace où il trouve sa preuve. (Hannah Arendt)

L’analyste financier, ancien trader de Wall Street et maintenant auteur à succès Nassim Taleb a également prit l’économie conventionnelle comme sujet central dans son livre, Le cygne noir (The Black Swan), [6] qui a été traduit en des dizaines de langues et a été nommé l’un des 12 livres les plus influents de la période post seconde guerre mondiale par le Sunday Times [7].

Taleb a fait fortune pendant la crise financière de 2008 en pariant contre les modèles, puisqu’il comprit qu’ils réduiraient « l’improbable » risque de défaillance systémique. Il utilise désormais sa notoriété pour la bonne cause, nous mettant en garde sur la folie des guides des économies entières avec leurs modèles et théories économiques butés. Il est plus emphatique à propos des dangers présentés par les prévisionnistes économiques, suggérant que « Quiconque cause des dommages par la prévision doit être traité comme un fou ou un menteur. Certains prévisionnistes causent plus de dommages à la société que des criminels. »

Taleb décrit Paul Samuelson comme le père de l’économie dominante telle qu’elle est actuellement enseignée dans les universités. Le manuel de Samuelson, L’économie : une analyse introductrice, a été publiée en 1948 comme l’un des premiers manuels américains à expliquer les principes de l’économie keynésienne, et a conduit à l’intensification actuelle de l’utilisation des méthodes quantitatives dans l’analyse économique. À compter d’aujourd’hui, son livre règne encore dans les collèges et en est à sa 19e édition. La pensée de Taleb sur l’héritage de Samuelson est irrévocable :

Dans l’économie orthodoxe, la rationalité est devenu une camisole de force. Les économistes planificateurs ignoraient le fait que les gens préféreront peut-être faire autre chose que de maximiser leurs intérêts économiques. Cela a conduit à des techniques mathématiques telles que « maximisation », ou « optimisation », sur lequel Paul Samuelson réalisé l’essentiel de son travail. […] Je ne serais pas le premier à dire que cette optimisation affaiblit la science sociale en la réduisant en une discipline intellectuelle et de réflexion qui deviendrait une « science exacte ». Par « science exacte », je veux dire un problème de génie de second ordre (la tentative de prouver l’optimisation) pour ceux qui veulent faire croire qu’ils sont dans le département de la physique, la renommée physique de l’envie. En d’autres termes, une imposture intellectuelle.

Taleb argumente contre le Prix Nobel d’économie pour les dommages qu’il a causé par sa béatification des idées erronées sur la gestion des risques et la prévision ; incorrectes théories économiques qui peuvent être catastrophiques et ne doivent jamais devenir l’Évangile dans un tel environnement incertain. Méthodes de prévision créant un faux sentiment de sécurité, ou pire, dirigeant des gens dans la mauvaise direction. Des collèges ont alors exacerbé le problème par l’enseignement de ces idées nobélisées et approuvées par l’orthodoxie. [8]

Le « sophisme ludique » est ce que Taleb appelle la mauvaise utilisation des statistiques dans les jeux de casino pour modéliser des situations réelles de vie et leurs perspectives de risque mathématiquement. Il réfute la validité des modèles prédictifs dans des situations complexes où ces méthodes statistiques ne fonctionnent pas, en soulignant que la pureté mathématique de ces modèles ne prend pas en compte certaines des idées clés tels que l’impossibilité de posséder toutes les informations pertinentes et le fait que les petites variations inconnues dans les données peuvent avoir un impact énorme.

Le risque du scientisme

Le problème dans ce monde, c’est que les imbéciles sont outrecuidants et que les personnes intelligentes sont habitées de doute. (Bertrand Russell, logicien et pacifiste, co-auteur du manifeste de Russel et Einstein)

Cent pour cent. (Ben Bernanke, Président de la Réserve Fédérale, confiant dans l’idée que la Fed contrôlera l’inflation)

Le doute et l’épistémologie sont devenus l’anathème de la planification centrale moderne, si ce n’est du fait qu’ils remettent en cause l’illusion que les choses peuvent être correctement gérées. [9] Cependant, l’un des pères de la philosophie occidentale, Socrate, éclaira un principe intemporel quand il déclara que ce qu’il savait, c’est le fait de sa propre ignorance (une correction à l’extravagance stipulant que nous pouvons connaître quelque chose totalement), et quand il s’estima plus sage qu’un autre homme justement parce qu’il ne s’imaginait pas lui-même savoir ce qu’il ne connaissait pas. Pour Socrate, le doute et la curiosité sont les caractéristiques des sages.

Il est curieux que l’un des plus brillants esprits du passé nous pousse à questionner des mythes et des dogmes. Avec la puissance de la méthode scientifique, la religion et la superstition, des explications de nombreux phénomènes ont été attestés dans des domaines tels que l’astronomie, la chimie ou la physique. Quand vient le 19e siècle, ce qui restait de la raison humaine pour résoudre ses questions et ce qui maintenait éveillé la curiosité des hommes fut la société elle-même et ses comportements. Et grisé par les succès de Newton en sciences naturelle, il n’est pas surprenant que quelques esprits s’assombrirent dès que fut prescrit de nouvelles méthodes pour expliquer la « physique sociale ».

De là vint Auguste Comte (1798-1857), le père de la sociologie (inventeur original de la « physique sociale ») et un associé de Henri de Saint-Simon, le socialiste français. Reconnaissant que les sciences naturelles avaient accompli tant de choses, mais que l’Humanité restait ignorante des problèmes sociaux, Comte croyait qu’il y avait une phase suivante et ultime de l’évolution sociale, qui était encore à venir, à savoir le positivisme (en référence à la possibilité d’expliquer toutes choses, y compris le sociale, avec l’aide de la méthode scientifique).

Comte se rendu compte que la sociologie était une science plus « complexe », mais il crut que ses problèmes pourraient être résolus en utilisant les mêmes procédures qui résolurent des phénomènes moins complexes. Donc, dans l’âge positiviste, par une science sociale fondée sur la pensée quantitative et mathématique, qu’il considérait comme la pièce maîtresse de toute science, Comte voyait un monde futur où l’âge des droits abstraits (héritage de l’époque des Lumières) serait remplacé par une période plus moderne où la société serait planifiée par une élite scientifique, habilité par sa maîtrise d’une science nouvelle, synthétisant la science humaine. Les droits individuels deviendraient obsolètes, et seraient remplacés par des devoirs dans un monde où les experts « savent mieux ».

Les croyances de Comte ont eu une influence profonde sur la pensée scientifique et sociologique. Si sa religion positiviste acquit peu de partisan, son idée que la société puisse être ordonnée par la méthode scientifique en séduit plus d’un et elle est maintenant largement répandue. Pourtant, étrangement, il n’y a jamais eu aucune preuve pour démontrer que les méthodes traditionnelles des sciences naturelles soient en mesure de s’adapter à l’examen des phénomènes sociaux complexes. L’idée n’a juste qu’été assumé. Cela créa une autre situation étrange dans laquelle ceux qui croient avec ferveur dans le pouvoir de la science évoluent en vertu d’une hypothèse qui n’a jamais été démontrée scientifiquement.

D’une certaine manière, Comte inventa la planification centralisée moderne. Marx et Hegel, entre autres, ont été probablement influencés par lui (ou par son mentor St-Simon) et après que leurs théories se soient répandu, des positivistes se décrièrent aussitôt comme étant marxistes. [10] D’après la conviction selon laquelle les problèmes sociaux pourraient être régulés en vertu d’une empirique approche « scientifique », des plans grandioses de réorganisation sociale ont été mis en œuvre en Europe et aux États-Unis, bénéficiant d’un soutien parmi les scientifiques et les leaders sociaux progressistes. Le socialisme est devint très populaire et conquit plusieurs pays. Woodrow Wilson soutenait l’eugénisme, et beaucoup d’autres firent l’éloge de Mussolini et/ou des communistes. Ces initiatives permirent l’application d’expériences inédites d’ingénierie sociale, après tout. Ceux qui s’opposaient à eux vivaient dans le passé, et luttaient contre le progrès et les solutions aux maux de l’homme.

Peu importe aujourd’hui la différence, en pratique, des différents genres de planification centrale (keynésianisme, économie néo-classique, socialisme, etc.), ils partagent tous les mêmes racines : l’idée que la société peut être mathématiquement reconstruite comme un phénomène mécanique et que les méthodes traditionnelles des sciences naturelles peuvent être appliqués pour résoudre ses problèmes comme si la société était un environnement contrôlable, semblable à un laboratoire.

Le scientisme n’est pas seulement le fantôme tapit derrière le socialisme, puisqu’il se cache également derrière toutes les formes de planification centrale contemporaine. Il a déjà causé beaucoup de mal, mais le pire peut encore être à venir. L’économie, en tant que science sociale reliant tous et tout, est un instrument hégémonique. Comme l’aîné Rothschild a dit : « Donnez-moi le contrôle de l’argent d’une nation et je ne me soucierais pas de savoir qui fait ses lois. » L’économie est la « physique sociale » de Comte. Une fois qu’il est largement admis que, par la maîtrise de la domestication par un petit nombre, il se trouve une solution dans le monde à chaque problème, la liberté devient une question secondaire.

Cela implique d’énormes implications pour le sort de la liberté (ou droits abstraits) et, depuis cette discussion, est inévitablement à prendre en considération sur le plan scientifique. Ainsi, Hayek a également cherché à attirer notre attention sur l’épistémologie en montrant que, de par notre ignorance des limites de la science, nous nous exposons à la destruction de beaucoup de choses qui nous sont chères. Le dernier livre de Hayek, La vanité fatale (The Fatal Conceit), traite de la croyance erronée que l’homme peut façonner de la société selon ses désirs. Comme il a observé, de nombreux progressistes, socialistes et planificateurs centraux, aurait pu éviter leurs plans d’action si ils avaient pu vraiment connaître les résultats de leurs actes à l’avance.

Le prétexte de la connaissance

Si nous sommes sages, les développements récents peuvent nous aider à redécouvrir le rôle de l’économiste en tant qu’observateur holistique plutôt que comme conseiller quantitatif. Peut-être que l’économiste peut alors récupérer sa crédibilité et assumer un rôle utile qui ne sera pas de le mettre dans une position où il est invité à donner des conseils au roi sur ce qu’il faut faire, car il prétend pouvoir lire dans l’avenir. Mais pour paraphraser Ricardo Caballero de l’Institut des Technologies du Massachusetts (Massachusetts Institute of Technology), la macroéconomie, en tant que champ d’étude, a été transformée au cours des décennies d’une discussion verbale du monde réel vers une discussion basée sur l’analyse quantitative d’un monde alterné. [11] Cette transformation semble difficile à inverser, puisque les modèles macroéconomiques modernes sont désormais au cœur des facultés des sciences économiques et leur utilisation est devenue une condition préalable pour la publication dans des revues universitaires depuis les années 70. [12]

Pourtant, la crise financière de 2008 devrait nous frapper comme une preuve de l’échec de la macroéconomie traditionnelle. Pas plus tard qu’en février 2008, Ben Bernanke plaidait encore que « Mon scénario de base implique une période de croissance lente, suivie d’un rythme légèrement plus rapide de la croissance plus tard, cette année, lorsque les effets des mesures de relance monétaire et budgétaire commenceront à se faire sentir. » Donc, aujourd’hui, lorsque les programmes d’assouplissement quantitatif soutenus par des modèles mathématiques de l’économie sont défendus par la même personne qui n’a pas vu le train venant de dix mètres plus loin, quelle confiance pouvons-nous donner à sa dernière prédiction lorsqu’il prétend qu’il saura maîtriser les dangers de l’inflation ?

Malheureusement, notre confiance sera faible. Les systèmes complexes sont caractérisés par leur décentralisation, un processus qui prend son origine au bas de l’échelle des priorités de la gouvernance. L’ordre et la direction de l’ensemble sont le résultat, mais pas la conception, des diverses relations entre les éléments. La gestion descendante imposée par les systèmes complexes entrave leur fonctionnement normal, si ce n’est que parce que la règle des décideurs ne peut pas parvenir à acquérir la maîtrise de toutes les parties concernées. L’information dispersée et insaisissable qui serait nécessaire pour mener à bien ces décisions devraient convenir à « l’intelligence » holistique du système. C’est là que se trouvent les conflits entre la législation et la loi commune, entre la planification centrale et l’ordre spontané, entre l’autoritarisme et la liberté. De ce point de vue, l’École autrichienne d’économie ré-émergentes est le seul à comprendre les avantages de la décentralisation des décisions économiques et sociales. [13]

Mon argument ne serait pas complet sans un retour à ce qui est peut-être l’exposition la plus éloquente de l’insuffisance des méthodes quantitatives appliquées aveuglément dans l’économie, à savoir l’audience d’Hayek lorsqu’il obtint le prix Nobel d’économie. Depuis, je ne peux pas mieux faire connaître les arguments de Hayek avec mes propres mots, mon idée initiale était de reproduire quelques extraits importants. Évidemment, puisqu’il en a un trop grand nombre, j’ai choisi de ne reproduire que son introduction, qui pourrait tout aussi bien pu être écrite aujourd’hui.

Mon premier espoir est que les lecteurs qui ne connaissent pas cette conférence la lise promptement. Mon espoir est, au deuxième rang, que les leçons de prudence, d’humilité et de la scientificité, qu’Hayek nous apprend puissent enfin gagner du terrain à une époque où ils sont plus que jamais nécessaire et alors que notre compréhension de phénomènes complexes est désormais plus en phase avec l’intention d’Hayek qu’elle ne l’était quand il a prononcé sa conférence intemporelle en Suède, il ya des décennies :

Conférence à la mémoire d’Alfred Nobel, 11 décembre 1974

La prétention de connaissance

L’occasion particulière de cet exposé, combiné avec le principal problème pratique que les économistes ont à faire face aujourd’hui, ont abouti au choix de ce sujet (élection presque inévitable). D’une part la mise en place encore récente du mémorable prix Nobel dans l’enseignement des sciences économiques marque une étape importante dans le processus par lequel, de l’avis du grand public, l’économie n’est pas reconnu comme ayant la même dignité et le même prestige que les sciences physiques. D’autre part, les économistes sont en ce moment appelés à dire comment l’on pourrait sortir le monde libre de la menace sérieuse d’accélération de l’inflation qui, il faut l’avouer, a été provoqué par des politiques que la majorité des économistes ont recommandé et même encouragé. Nous avons en effet en ce moment peu de causes de fierté : notre profession a été de contribuer au désordre du monde.

Il me semble que cet échec des économistes pour orienter les politiques avec plus de succès est étroitement lié à leur propension à imiter le plus fidèlement possible les procédures que les sciences physiques ont brillamment réussi — une tentative qui, dans notre domaine, nous induis en erreur pure et simple. C’est une approche qui a fini par être décrit comme une attitude « scientiste » — une attitude qui, comme je l’ai défini il y a une trentaine d’années, « est décidément non scientifique dans le pur sens du terme, car elle implique une application mécanique et aveugle des habitudes de pensée à des champs différents de ceux dans lesquelles elles se sont formées ». Je veux aujourd’hui commencer par expliquer comment certaines des plus graves erreurs de politique économique récente sont une conséquence directe de cette erreur scientiste.

(*) Jean-Hugho Lapointe est avocat, diplôme de l’Université Laval en gestion.

Article paru dans Le Québécois Libre n° 288 du 15 avril 2011, reproduit avec la permission de l’auteur. Traduction de Barem.

Notes :

1. Science, Philosophie et Religion : un Symposium, publié par la Conférence de Science, Philosophie et Religion dans leur relation avec le mode de vie démocratique, Inc., New York (1941).
2. Strogatz, S. H., Sync : La science émergente de l’ordre spontané, Hyperion, 352 pages (2003).
3. Orrell, D., Le futur de tout : La science de la prédiction, Basic Books, 464 pages (2006).
4. Cilliers, P., « Pourquoi nous ne pouvons connaitre les choses complexes complètement, » Emergence, 4(1/2), 77-84 (2002). Ses commentaires optimistes sur les modèles, cependant, semble peu judicieux, si ce n’est que parce qu’il semble croire que les modèles pourraient devenir aussi complexes que les systèmes eux-mêmes. Cela semble une position erronée puisque l’augmentation de résolution d’un modèle ajoute habituellement de l’incertitude, car chaque agent et effet de rétroaction ne peut pas être précisément représenté par des données ou des équations mathématiques (comme les nuages ​​ou les sentiments de l’homme)
5. Harendt, H., Sur la violence, Houghton Mifflin Harcourt, 106 pages (1970). Les pages 6 à 8 sont d’un intérêt particulier pour notre sujet, à propos des prédictions et la planification central scientifique.
6. Taleb, N. M., Le cygne noir ; l’impact de l’hautement improbable, Random House, 366 pages (2007).
7. Appleyard, B., « Les livres qui aidèrent à changer le monde, » The Sunday Times (July 19, 2009).
8. Cox, A., « Blâmez Nobel de la crise, affirme l’auteur du cygne noir », Reuters (September 28, 2010).
9. L’idée de génie de juxtaposer les deux citations ci-dessus vient d’Adam Sharp, du Wealth Daily.
10. Voir par exemple : Curtis, M., Le marxisme : les dialogues profonds, volume 1 (2ème édition), pp. 27-31.
11. Caballero, R. J., La macroéconomie après les crises : un temps pour examiner le syndrome de prétention de savoir, Département de recherches économiques à MIT, Numéro 10 – 16 (Septembre 27, 2010).
12. Voir l’interview du Forefront datant du 6 octobre 2010 avec l’ancien président de la Réserve Fédérale Laurence Meyer.
13. Les économistes de l’école autrichienne ont notamment craint assez vite que les systèmes complexes soient incompressibles et se sont vivement exprimés dans le débat sur le calcul économique dans le début du 20e siècle.


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