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Goutte d'Or dans l'oeil de Martin Parr

Par Plumesolidaire

Jusqu'au 2 juillet, entrée libre.

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      C'est avec un regard empreint de malice et d’humanité que Martin Parr arpente le quartier de la Goutte d'Or et saisit au vol toute la complexité et la bonhomie de ce quartier populaire du 18e. Le point de vue décalé du photographe est au final une réponse inattendue et pleine d'esprit au débat actuel sur la laïcité. 

      Martin Parr est né à Epsom, ville de la banlieue sud de Londres (Surrey), en 1952.

Sa passion pour l’image remonte à ses jeunes années, encouragé par son grand-père George Parr, photographe amateur.  Certains sujets sont récurrents dans son travail, tels que la société de consommation, le tourisme de masse, la mode, la publicité et son imagerie. Au premier regard ses clichés peuvent semblent exagérés, mais derrière l’immédiateté de la scène, se cache un discours critique et une forme prononcée d’autodérision. En 1994, il intègre Magnum Photos. En 2002, la Barbican Art Gallery et le National Media Museum présentent une rétrospective importante de son travail, exposition qui sillonnera l’Europe. Les oeuvres de Martin Parr sont très rarement produites en France. Comme il le dit " Je photographie souvent l'Angleterre, où personne ne prête attention à mon travail; c'est l'inverse en France ! "

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Martin Parr s'infiltre à la Goutte-d'Or

La coïncidence des dates tient du hasard, mais le hasard fait quand même bien les choses. Le mardi 5 avril, le jour même où doit se tenir le débat controversé sur la laïcité, l'Institut des cultures d'islam (ICI), situé dans le quartier parisien de la Goutte-d'Or, accueillera un vernissage un peu particulier : le Britannique Martin Parr exposera les photos qu'il a prises dans le quartier au cours d'une résidence d'une semaine au mois de janvier.

Ce n'est pas la première fois que la Goutte-d'Or, dans le 18e arrondissement de Paris, est photographiée ou fait la "une" de la presse. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que le quartier n'a pas bonne image. Son nom évoque criminalité, insalubrité, prostitution. Et sa nombreuse population d'origine étrangère est souvent montrée du doigt. C'est à la Goutte-d'Or qu'ont été prises les photos de prière dans la rue brandies par Marine Le Pen pour dénoncer "l'occupation". C'est là aussi qu'ont été organisés les "apéros pinard-saucisson", ouvertement dirigés contre les musulmans.

Dans ce contexte miné, l'Institut des cultures d'islam, structure municipale fondée en 2006, a demandé à Martin Parr de jeter un oeil nouveau sur le quartier. Un choix audacieux quand on regarde l'oeuvre du Britannique : le photographe de l'agence Magnum est connu pour ses images ironiques, mordantes, qui auscultent sans complaisance les modes de vie contemporains.

La directrice de l'ICI, Véronique Rieffel, assume son choix : "Je voulais sortir de la crispation actuelle, avec un projet artistique qui ait du sens. Faire photographier la Goutte-d'Or par Martin Parr, c'est aussi montrer qu'il n'y a pas de sujet tabou. On peut avoir un point de vue décomplexé sur le sujet."

Quant au photographe, il a été visiblement séduit par l'ampleur du défi. Au téléphone, Martin Parr explique : "En France, il y a une vraie paranoïa autour de la photographie, il faut des permissions pour tout ! Avec en plus, cette paranoïa générale contre l'islam, ça semblait impossible. Mais je savais que l'institut m'aiderait à contacter les gens."

Quant à son français très limité et à sa méconnaissance du débat hexagonal, il les a plutôt vus comme des atouts : "Je suis arrivé sur le terrain sans idée préconçue. Je montre ce que je vois, je ne suis pas là pour défendre une cause politique."

Pour préparer le reportage, l'ICI a dû mener un long travail de sensibilisation auprès d'habitants lassés d'être photographiés au téléobjectif par des journalistes en quête d'images chocs. Et deux guides ont accompagné le photographe partout."Dans ce quartier, le simple fait d'avoir un appareil photo est vu comme une agression", explique Véronique Rieffel.

Mais plusieurs habitants avaient aussi le désir de casser l'image négative et trop monolithique d'un quartier où se côtoient de nombreuses communautés. Eric Gelabale, charcutier rue des Poissonniers, a accepté de poser sans hésiter. Encadré par ses jambons et ses bouteilles de vin, il a donné lieu à un portrait aussi décalé qu'inattendu. "Je ne comprends pas tout ce cirque, résume-t-il. Moi ça fait des années que je vends du porc ! J'adore ce quartier ! Pourquoi on ne parle que des musulmans, qui n'embêtent personne, alors que les évangélistes prêchent dans la rue avec des propos homophobes ?"

La créatrice de mode Sakina M'sa, grande figure du quartier, s'est également prêtée au jeu. On la voit, quelques jours avant les défilés, en séance d'essayage dans son atelier où la mode sert aussi la réinsertion. "Il n'y avait que Martin Parr pour réussir à prendre un sujet sensible comme celui-ci, dit-elle,sans tomber dans le misérabilisme ou le gentillet."

Pendant une semaine, Martin Parr a arpenté tous les recoins du "village", comme l'appellent ses habitants : lieux culturels et de culte (église, mosquées, temple hindou), commerces, maison de retraite, hammam. Cet amateur de culture populaire, qui a exposé une partie de sa collection d'objets au Jeu de paume en 2009, a insisté avec humour dans ses images sur le télescopage des cultures exprimé dans l'habillement, les enseignes ou la décoration : théières en plastique bariolées, pendules en forme de Mecque, chaussettes Betty Boop, voiles islamiques au motif léopard... Les personnages dépeints contredisent les clichés simplistes : on croise un restaurateur juif, des musulmanes en foulard qui mangent la galette des Rois, des rockeuses féministes...

Mais si les images de Martin Parr donnent du quartier une vision riche, le reportage n'a pas toujours été simple. Confronté à l'agressivité des vendeurs à la sauvette ou des trafiquants, parfois juste à la méfiance générale, le photographe a connu des moments tendus. Il a failli se faire voler son appareil et a totalement renoncé à photographier dans la rue. "Je suis assez frustré, reconnaît-il. J'ai fait surtout des portraits de gens chez eux. Alors que j'aurais aimé montrer la vie incroyable près du métro Château-Rouge."

Paradoxalement, le plus facile a été de photographier la pratique de l'islam. Les différentes mosquées ont largement ouvert leurs portes, que ce soit pendant la prière du vendredi, lorsque des centaines de fidèles installent les tapis sur la chaussée, ou dans les endroits réservés aux femmes. L'imam Mustapha Hamdaoui, de la mosquée Al Fath, avait briefé ses fidèles à l'avance : "Du moment que les photographes demandent la permission, qu'ils ne le font pas en cachette, il n'y a aucun problème." Moussa Niambélé, président de l'Association des musulmans de l'ouverture, renchérit : "L'islam ne doit pas être caché. Il faut montrer que, si on prie dans la rue, c'est qu'il n'y a pas de place ailleurs."

Martin Parr a jeté sur les musulmans son habituel regard malicieux : sur ses images s'alignent les paires de fesses et les tas de chaussures. Des fidèles prient en face d'une boutique qui annonce : "Produits exotiques". Mais sous l'humour pointe toujours le documentaire. Alors que Martin Parr dépeint une mosquée bondée le vendredi, au point de déborder dans la rue, à deux pas, l'église Saint-Bernard semble quasiment vide.


"The Goutte-d'Or ! L'Institut des cultures d'islam invite Martin Parr."

Institut des cultures d'islam, 19-23, rue Léon, Paris-18e. M° Château-Rouge ou Barbès- Rochechouart. Tél. : 01-53-09-99-80. Du 6 avril au 2 juillet.


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