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10 paradoxes du libéralisme en France

Publié le 02 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

10 paradoxes du libéralisme en France

(Dessin de presse : René Le Honzec)

1 – Tout le monde sait bien que l’idéologie dominante, c’est le libéralisme, qu’il soit « néo », « ultra », ou affublé de n’importe quel autre préfixe ou superlatif… Les injustices, le chômage, la pauvreté, toute la misère du monde : c’est à cause du libéralisme ! N’est-ce pas ce que l’on entend partout, à la radio, à la télé, dans la bouche des étudiants, des universitaires et des politiciens ? Il n’y a pas un mouvement dit « contestataire » qui ne s’affirme anti-libéral (D’ailleurs, on a l’impression qu’en France il n’y a que des mouvements contestataires, à tel point que l’on pourrait se demander si la véritable contestation ne serait pas de se mettre à contester la « contestation »…) « A bas le libéralisme ! », « Résistons à la mondialisation libérale ! », « Halte au libre marché ! »… Mais si tout le monde critique le libéralisme, l’idéologie dominante est-elle vraiment le libéralisme, ou n’est-elle pas plutôt la critique du libéralisme ?

2 – Faites le test : Demandez à une personne de citer cinq noms de communistes célèbres ; elle vous répondra en général assez facilement (Marx, Lénine, Trotsky, Che Guevara, Mao, etc.). Les grandes figures du communisme sont en effet partout (les portraits du Che s’affichent jusque sur les T-shirts), et qu’on les apprécie ou non, elles sont étudiées à l’école par tous et deviennent des références culturelles élémentaires. Demandez maintenant à la même personne de vous citer cinq auteurs libéraux : là, par contre, dans la plupart des cas, c’est le trou noir. Tout le monde se fait une petite idée du libéralisme, et pourtant très peu en connaissent ne serait-ce que les grands noms. Étrange pour le courant de pensée qui est supposé dominer tous les esprits.

3 – En France, tout le monde pointe du doigt l’ultra-libéralisme de nos dirigeants. Notre Président Sarkozy se voit parfois désigné comme un « ultra-libéral », alors que lui-même s’en défend ; même Chirac le fut en son temps ! Pourtant, l’un des rares hommes politiques français qui s’en réclament vraiment, Alain Madelin, n’a pas atteint le seuil fatidique des 5% lors des seules élections présidentielles où il se porta candidat, en 2002.

4 – Dans la même veine, le MEDEF est accusé de tous les maux. A en croire tous les « contestataires », c’est ce syndicat qui dirige la France. Dans les faits, cependant, à l’annonce de chaque réforme, c’est la CGT qui mobilise ses troupes et oblige un « dialogue social » avec le gouvernement – « dialogue » qui aboutit dans les trois quarts des cas à une remise en cause de la réforme (ce qui, du point de vue des conséquences, invalide également le paradoxe précédent, soit dit en passant). Par ailleurs, le MEDEF n’est pas à proprement parler « libéral », si ce n’est dans son discours en défense de l’entreprise et des patrons : à la manière des syndicats qui s’opposent à lui, le MEDEF cherche à utiliser l’État à son avantage, à lui soutirer subventions et autres aides indirectes. Les libéraux sont pour une économie libre, au service de l’humain et non d’un groupe en particulier, même celui des patrons prétendant constituer le moteur de cette économie.

5 – On peut également observer qu’il n’y a pas l’équivalent libéral d’associations comme ATTAC ou Ras l’front, qui dominent pour une immense part les débats de sociétés et qui s’imposent dans les médias. Il existe bien quelques associations ouvertement libérales, telles que Liberté Chérie et Liberaux.org notamment, mais celles-ci ne profitent pas du même rayonnement médiatique, n’ayant pas les mêmes moyens de porter leur message sur la place publique, et leur audience demeure donc plutôt confidentielle (Le phénomène s’explique d’ailleurs facilement : dans la mesure où le libéralisme vise l’indépendance des individus face à l’autorité de l’État, les associations qui s’en réclament refusent par principe les subventions publiques, pour ne pas obliger les citoyens à les financer malgré eux par le biais de l’impôt ; c’est donc tout autant de ressources en moins pour leur bon fonctionnement et leurs activités, limitant de fait leur portée).

6 – En France, les plus à gauche étaient contre la Constitution européenne, parce qu’elle était selon eux « trop libérale ». Lors du référendum de 2005, les militants d’ATTAC et d’autres groupes altermondialistes sont allés jusqu’à s’attribuer la victoire du NON. Alors qu’en Angleterre ou en Allemagne, c’étaient les libéraux qui faisaient campagne contre cette Constitution, qu’ils jugeaient « bien trop socialiste » : les libéraux sont en effet contre une Europe trop politique – entendue comme tendance à l’étatisation, à la centralisation, et à une avalanche de réglementations -, de la même façon qu’ils critiquent les excès de l’État national.

7 – Les États-Unis sont désignés comme l’incarnation de l’ultra-libéralisme, la critique semblant avoir atteint son paroxysme lorsque que Bush était à leur tête. Pourtant, Bush n’agissait pas en libéral. Il ne se présentait même pas en tant que tel : il représentait le parti Républicain et s’affichait comme un néo-conservateur. C’est à ce titre qu’il s’engagea dans le projet le plus illibéral qui soit, à savoir l’attaque d’un pays qui ne les a pas directement menacé (la plupart des libéraux français étaient contre la guerre en Irak, même si cette question fait encore débat). Les « contestataires », dans leur obsession anti-américaine, ont d’ailleurs quelques difficultés à se positionner par rapport à l’actuel Président Obama : faut-il le rejeter en tant que représentant de la plus grande puissance mondiale, ou l’acclamer comme premier Président « noir » à la tête de cette puissance, « démocrate » de surcroit ? Il existe par ailleurs un parti ouvertement libéral aux USA, le Libertarian Party, qui récolte peu de voix à chaque élection et qui est plutôt marginalisé. Mais quel que soit l’étiquette du gouvernement en place, « républicain », « démocrate » ou peut-être un jour « libertarien », ce ne sera jamais dans ce que fait ce gouvernement qu’il faudra rechercher l’expression du libéralisme en Amérique, mais dans ce qu’il ne fait pas : par bien des aspects, les États-Unis sont un pays plus libre que beaucoup d’autres du fait des limites et balances du pouvoir imposées à son gouvernement – qu’elles soient d’ordre culturel, traditionnel, institutionnel et constitutionnel. L’essence du libéralisme américain réside notamment dans le « Bill of Rights » garantissant la liberté d’expression ainsi que celle de se défendre.

8 – En France, qui se dit libéral est aussitôt rangé à droite. Outre-Atlantique, le liberal est de gauche… L’éloignement géographique ne suffit pas à expliquer cette opposition sémantique. En réalité, celle-ci traduit surtout la déformation du terme dans notre propre langage. Le libéralisme n’est pas l’antithèse des exigences de « justice sociale » communément admises : il prône la liberté sur la base de l’égalité des chances, point décisif qui le ferait classer à gauche s’il n’était pas aussi mal compris ou ignoré. Loin de rejeter l’idée de partage des richesses ou de solidarité, les libéraux revendiquent le droit de l’exercer directement par la charité, le mécénat, et toute autre forme de dons sans passer par le système redistributif obligé de l’État. Au sens étymologique du terme, « libéral » était d’ailleurs le nom donné à une personne généreuse ; les « libéralités » désignent encore dans le vocabulaire juridique les dons, actes de générosités et largesses accordées par un individu à un autre. Par quel tour de passe-passe langagier, au profit d’une certaine rhétorique socialiste, le mot « libéral » a-t-il fini par être tenu pour synonyme d’égoïste ?

9 – Les Français accusent le libéralisme… La France, pays de la révolution libérale des Lumières… Le libéralisme désigne initialement la liberté de conscience face à toute religion d’État. C’était l’une des premières revendications de 1789, une valeur fondamentale du courant révolutionnaire qui figure noir sur blanc dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (cf. l’article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses… »). De cette liberté de conscience découlent d’autres libertés individuelles qui participent toutes de la définition du libéralisme contemporain. Puisqu’il n’y a plus de religion officielle imposée, le libéralisme combat les autres formes d’immixtion du pouvoir dans ce qui devrait également relever de la vie privée, et prône à ce titre un retrait toujours plus grand de l’État au bénéfice de l’indépendance de chaque individu.

10 – Nombre de revendications généralement placées à gauche sont en réalité libérales : Liberté d’expression, liberté de mœurs, légalisation des drogues, union civile homosexuelle, droit de vote aux étrangers travaillant et résidant depuis plusieurs années sur le sol français, abolition de la TVA, mise en place d’un Revenu Minimum Universel, instauration du Référendum d’Initiative Populaire… Monique Canto-Sperber rappelle à ce titre, dans son ouvrage Les règles de la liberté, que beaucoup d’idées défendues par les partis démocratiques et progressistes sont d’abord des idées libérales : « …Défense de la liberté, reconnaissance de la diversité intrinsèque de la société des hommes, acceptation du rôle du marché, promotion de la réforme et confiance accordée aux règles et aux procédures, sont reprises à leur compte, au moins dans les propos, par tous les mouvements politiques démocratiques, y compris les mouvements républicains et socialistes. Le fait qu’elles soient aujourd’hui très largement reçues ne doit pas faire oublier leur origine libérale. » On ne compte pas, à l’inverse, le nombre de projets de la droite gouvernementale combattus par les libéraux, autant ses dérives sécuritaires que sa tendance à stigmatiser les groupes affichant de façon trop voyante les signes de leur religiosité… Le libéralisme n’est pas aussi éloigné de la gauche qu’on le croit, et moins proche de la droite qu’on ne le pense. En réalité, les libéraux se classent difficilement dans les catégories politiques françaises, et ouvrent celles-ci à une nouvelle dimension : celle de la liberté, par-delà l’étatisme de gauche et l’étatisme de droite.

Nous pourrions encore relever des dizaines et des dizaines de paradoxes à propos du libéralisme en France. Mais au fondement de tous ces paradoxes, c’est toujours la même chose : l’ignorance. C’est pour cette même raison que le libéralisme est impopulaire. Qui a pris ne serait-ce que deux minutes de son temps pour consulter la simple définition du mot « libéralisme » dans le dictionnaire ? Le plus grand mal dont souffre le libéralisme en France est bien l’ignorance. Et cette ignorance est soigneusement entretenue par les anti-libéraux de tout bord, trop heureux d’avoir un bouc émissaire fantôme afin de l’accuser de tous les maux de la terre, et justifier par la même occasion leur désir d’utiliser l’État pour tout contrôler.

C’est pourtant dans ce courant de pensée immensément riche et trop méconnu qu’est le libéralisme que l’on peut aujourd’hui trouver les véritables alternatives à nos politiques périmées. Monique Canto-Sperber, déjà citée plus haut, explique encore : « Le combat pour le développement des libertés modernes est loin d’être achevé. Il s’exerce contre l’uniformisation économique. Il se joue contre la domination du monde par une seule valeur marchande à laquelle tout serait rendu commensurable. Il s’impose contre les excès et les radicalisations populistes de la démocratie. Il est plus que jamais nécessaire pour rendre la société consciente de soi et critique, et pour amener l’individu à se penser dans une réalité sociale. Il est devenu vital pour combattre l’homogénéisation culturelle et les conformismes modernes. »

Ne vous contentez pas du discours des hommes politiques de droite comme de gauche pour vous faire une idée sur le libéralisme. Évitez les lieux communs et l’opinion manipulée par les médias. Les récentes crises économiques et financières furent l’occasion d’un rejet massif des idées supposées libérales : essayez de ne pas vous faire emporter par la foule, arrêtez-vous au moins un instant le temps de vérifier si vous allez dans le bon sens ; appliquez-vous à l’exercice critique de la raison et interrogez les reproches incessants et excessifs adressés au libéralisme. Essayez de découvrir par vous-même ce que désigne vraiment ce mot, tentez de comprendre qui a réellement intérêt à ce qu’il soit dépeint comme un système diabolique. Dites-vous que tous les paradoxes dont il souffre devraient vous mettre la puce à l’oreille… Gardez en tête qu’à l’origine, « libéralisme » vient du latin liberalis qui veut dire avant tout « liberté », et que le combat pour la liberté est loin d’être achevé…


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