Deux ouvrages s’intéressent au métier d’interprète LSF/Français.
Le premier (nous verrons le second une autre fois) que je vous présente aujourd’hui s’intitule : « Entre Sourds et Entendants, un mois avec un interprète en langue des signes » (Janvier 2010, Editions Monica Companys) sous la direction de Pierre Guitteny et illustré par Laurent Verlaine.
Ce livre se découpe en deux parties. Dans la première, l’auteur a regroupé les témoignages de nombreux interprètes qui présentent et racontent la diversité des situations rencontrées. Ainsi, on se rend dans des musées, à l’ANPE, dans des maisons de retraite, dans une usine aéronautique, à la gendarmerie, à un mariage, dans un restaurant…
Dans la seconde partie, différents chapitres détaillent le cadre théorique (historique, législatif, linguistique…) dans lequel se construit ce métier.
En voici un extrait (p57-58) :
Ce matin, je suis appelé pour traduire dans une prison. C’est la première fois que je vais entrer dans le milieu carcéral, et j’avoue que cela m’impressionne un peu.
Arrivé à l’entrée de la prison, je dois bien sur laisser ma carte d’identité ; je dois aussi laisser mon téléphone portable. L’assistante sociale qui m’a appelé vient me chercher et me conduit à son bureau.
Nous traversons les couloirs et croisons de nombreux prisonniers. Je ne suis pas rassuré. Une fois dans son bureau, elle fait appeler le sourd prisonnier et je traduis leur entretien.
La traduction n’est pas facile car manifestement le sourd ne veut pas tout dire, sans doute par peur que certains de ses propos ne se retournent contre lui. Il n’est donc pas facile pour moi de comprendre tous les tenants et les aboutissants des échanges. Je suis obligé de lui faire répéter certaines de ses phrases, car elles sont pour moi ambiguës : je ne sais pas de qui il parle, à qui il fait allusion sans vouloir le nommer, dans quelles circonstances précises se sont déroulés tels ou tels faits… C’est très pénible à traduire, car je ne sais pas exactement quels termes employés : lorsqu’il place un personnage dans l’espace de signation, s’agit-il d’un homme ou d’une femme, d’un sourd ou d’un entendant… ? Tout est flou, incomplet pas clair.
Je suis obligé de faire part à l’assistante sociale de mes difficultés de traduction. Elle me répond qu’elle connaît ce prisonnier et sait qu’il cache beaucoup de choses.
Une fois l’entretien terminé, l’assistante sociale me dit : « bon, vous connaissez le chemin, je vous laisse retourner au poste d’accueil ». Je dois donc retraverser les couloirs et même si je sais que cela ne se passera pas ainsi, j’imagine que je ne vais pas être reconnu par les gardiens et qu’ils me retiendront ici avec les autres prisonniers. Quelques gouttes de sueur. Bien sûr ce n’est pas le cas : je quitte enfin ce milieu oppressant.
Cet après-midi, je suis appelé pour traduire dans un hôpital de jour. Lors de la prise de rendez-vous, la secrétaire du service a noté qu’il s’agissait d’une rencontre entre un docteur, une assistante sociale et une personne sourde. Je ne connais pas le nom de la personne sourde. Et je n’ai pas plus de renseignements.
Hôpital de jour signifie donc que cette personne a quelques difficultés ; mais je ne sais pas de quel ordre ; j’espère qu’elle n’aura pas trop de difficultés d’expression et de compréhension. Il est question d’un médecin mais je ne sais pas s’il s’agit d’un médecin généraliste ou bien d’un médecin psychiatre. La distinction entraîne évidemment une grande différence quant au contenu de l’entretien et donc de la traduction. Mais si le rendez-vous réunit le médecin plus une assistante sociale, il ne doit pas s’agir d’une consultation médicale ou psychiatrique, mais plutôt de question de dossiers administratifs, de suivi de sortie d’hospitalisation, d’insertion, etc. Je peux me retrouver à traduire des propos portant aussi bien sur des questions administratives que sur des questions médicales ou des questions psychologiques, familiales… Bref, beaucoup d’inconnues.
Et voilà, encore un problème qui arrive de temps en temps. Je me rends à l’hôpital de jour, j’arrive à l’accueil, et je vois la secrétaire l’air éberlué qui me dit : « le médecin avec lequel vous avez rendez-vous n’est pas là aujourd’hui ; d’ailleurs, il ne vient jamais ici le mercredi ». Bon, pas de personne sourde, pas de médecin, pas d’assistante sociale. On essaie de tirer les choses au clair. La secrétaire appelle le médecin en question, qui répond qu’il va donner un cours à l’université et donc qu’il n’a pas pris de rendez-vous ce jour là. Bien.
Un autre appel téléphonique permet de comprendre que ce rendez-vous n’était pas à l’hôpital de jour, mais dans un autre hôpital. Nouvel appel téléphonique. L’assistante sociale est bien dans cet autre hôpital, et attend la personne sourde et l’interprète. La secrétaire qui a réservé l’interprète n’a pas bien noté la consigne. Je dois donc me dépêcher pour parcourir une dizaine de kilomètres afin de me rendre dans cet autre hôpital. Arrivé là, je rencontre l’assistante sociale qui m’annonce que la personne sourde n’est pas venue, et donc que le rendez-vous est annulé.
Beaucoup de soucis et de déplacements pour rien !