Merci « Mister » B. et Madame G.
Défi, réquisitoire, utopie, ce livre mondialement célèbre, chef-d'œuvre de la littérature d'anticipation, a fait d'Aldous Huxley l'un des témoins les plus lucides de notre temps.
« Aujourd'hui, devait écrire l'auteur près de vingt ans après la parution de son livre, il semble pratiquement possible que cette horreur s'abatte sur nous dans le délai d'un siècle. Du moins, si nous nous abstenons d'ici là de nous faire sauter en miettes... Nous n'avons le choix qu'entre deux solutions : ou bien un certain nombre de totalitarismes nationaux, militarisés, ayant comme racine la terreur de la bombe atomique, et comme conséquence la destruction de la civilisation (ou, si la guerre est limitée, la perpétuation du militarisme) ; ou bien un seul totalitarisme supranational, suscité par le chaos social résultant du progrès technologique. »
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(c’était il y a quelques mois... clic)
Un monde que l’on adore détestait. Mais est-il si différent du nôtre... ?
« Chacun appartient à tout le monde »
Ce Brave New World décrit par Aldous Huxley est effrayant : bâti autour d’une société dénuée de tout sentiment, de toute sorte d’amour, où le profit et la surconsommation sont de mises. Il n’est ni question d’humanité, de sincérité ; chaque être est conditionné pour coller au moule, dans une hiérarchie établie : les Alpha, Bêta, Gamma, Delta et Epsilon sont les groupes qui nivellent ce monde (chacun est à sa place, chacun a sa tâche précise, les Alpha étant les dirigeants, les Epsilon les subalternes).
Le simple fait d’avoir une famille est risible, écoeurant, voire interdit. Les gens ne savent même pas ce que les mots « famille » et « parents » signifient réellement : ils sont conditionnés à ne pas comprendre, ne pas aimer cette idée, et pire que tout, ils le sont à ne pas vouloir en fonder une. Le mot « mère » est même une obscénité !
L’amour n’a donc pas sa place, mais le sexe par contre, c’est une autre affaire. La polygamie est conseillée (le fait d’être monogame est d’ailleurs considéré comme n’étant pas en accord avec la « morale »...). C’est ainsi que les plus jeunes enfants jouent à des « jeux érotiques » et que les femmes sont jugées plus ou moins « pneumatiques ».
Cependant les gens sont heureux. Réellement heureux. Là encore, ils sont conditionnés à l’être. Dès le berceau, des sortes de maximes sont répétées en boucle, et deviennent ainsi de véritables règles de vie. Et si le moral retombe un peu, il suffit de prendre du soma. De quoi s’agit-il ? Une sorte de drogue qui est comme « le christianisme et l’alcool mais sans les effets négatifs ». Il permet de tout oublier, et de se retrouver dans un état second, heureux.
Un roman... des personnages
Ce roman s’articule autour de divers personnages. Chacun évolue en parallèle et on découvre chaque histoire petit à petit, alternativement, au fil des chapitres. Le début du roman est assez descriptif ; la deuxième moitié – véritable descente aux enfers – s’accélère progressivement, pour finir en apothéose.
Voici un petit tour d’horizon des personnages récurrents :
- Lenina Crowne est une femme très appréciée de la gente masculine (notamment parce qu’elle est pneumatique – ni trop, ni pas assez) appartenant à la classe Alpha. Elle prend grand soin de son apparence et peut paraître quelque peu superficielle (mais n’est-ce pas le lot de toutes les femmes de cette société ?). Son conditionnement est des plus réussi, puisque peu importe les situations, elle ne s’écartera jamais des doctrines enseignées dès l’enfance.
- Bernard Marx, Alpha +, est un homme à part. Il est différend des autres Alpha, et donc rejeté pour cette raison. Quand il a l’occasion de se faire bien voir des autres, il n’hésitera pas une seconde, cependant la modestie lui fait cruellement défaut. Il est malheureusement trop peureux pour aller jusqu’au bout de ses idées.
- Mustapha Menier, dit Le Ford,(substitut d’une divinité en qui croire ? peut-être bien) règne en grand manitou sur tout le monde. On ne sait pas grand-chose de lui, mais toutes les grandes décisions semblent émanées de lui.
- Et enfin, Le Sauvage. Il n’apparaît pas tout de suite dans le roman, mais il se trouve être le personnage – je dirais presque – le plus important. Déraciné de sa réserve de « sauvages » par Bernard Marx, il va bientôt se voir expliquer le fonctionnement de la société « civilisée ». Il ne comprend pas le système de groupe, de bébé-éprouvette, ni l’absence de parents.
Today’s society...
Nous sommes conditionnés à être meilleur que les autres : une sorte de compétition existe bel et bien entre chacun d’entre nous. Une étiquette est attribuée à chacun, selon divers critères : l’argent, l’apparence physique, l’intelligence, etc. La technologie, tout comme dans Le meilleur des Mondes, occupe une grande place dans le développement de notre société : toujours plus vite, toujours plus loin...
Cependant, est-ce comparable au monde créé par Aldous Huxley ? Peut-on dire que nos personnalités soient formatées et toutes semblables ? Evidemment que non. Cela n’est pas à mettre sur la même mesure : Huxley a créé une société où rien n’est possible, où la liberté de pensée n’est qu’un ancien mythe... Les gens ne peuvent croire en rien : ni magie, ni Dieu, di humanité, ni amour,... ni aucune autre croyances, mises à part les préceptes et morales dictés inlassablement par le gouvernement.
J’espère donc sincèrement que jamais, jamais, Aldous Huxley n’aura vu juste ! Il disait lui-même qu’il avait peint la société future (la nôtre, présente). Heureusement, il n’a pas visé dans le mile... Qu’en sera-t-il pour les générations à venir ?
Une excellente lecture, que je recommande à tous les mordus de SF !
- Une fois, il m’a fallu attendre près de quatre semaines qu’une fille que je désirais me permît de la prendre.
- Et vous avez ressenti, en conséquence, une forte émotion ?
- C’était horrible ! (p.64)
On gouverne avec le cerveau et avec les fesses, jamais avec les poings. (p.68)
Il faut choisir entre le bonheur et ce qu’on appelait autrefois le grand art. Nous avons sacrifié le grand art. (p.244)
Tout l’ordre social serait bouleversé si les hommes se mettaient à faire les choses de leur propre initiative. (p.261)