François Vallejo, Ouest, coup de cœur de l’une des sélections Goncourt. Le roman évoque la figure inquiétante du baron de l’Aubépine. Cet aristocrate qui, tel l’ogre des contes de Perrault, vit dans son domaine au fond des landes bretonnes. Les temps sont agités politiquement (on est sous le Second Empire) et le baron a tendance à se prendre pour Victor Hugo dont il épouse les idées républicaines.
Terrible frustration pour ce fils de chouan qui ne parvient pas à imposer son autorité de maître et qui laisse libre cours à ses instincts sadiques. La véritable confrontation du masculin et du féminin se joue là, dans ce roman, au fond du château de l’ogre (dont le cadre rappelle celui des Diaboliques de Barbey d’Aurevilly, mais des « Diaboliques » qui seraient au masculin). Pour tromper l’ennui et donner le change à ses pulsions, le baron s’amuse avec ses conquêtes et leur fait accomplir la nuit de curieux rituels. Et les malheureuses victimes se livrent à ses appétits et jouent la farce qu’il a minutieusement mise en scène... Poursuites de femmes échevelées et en jupons dans les couloirs du château.
Jusqu’au moment où le baron rencontre une femme un peu moins soumise... Et cette Parisienne émancipée « fait école » dans le château du maître puisqu’elle fascine aussitôt par ses discours et sa désinvolture la jeune fille de Lambert, le garde-chasse. Cette dernière passe des heures entières avec la rebelle et sent un « Bouillonnement de femme en elle ». Une telle ligue des femmes sous son toit exaspère le tempérament dominateur du baron qui finit par modifier et ensanglanter ses activités nocturnes : il va donc châtier la dissidente et, selon son expression, « faire de la chair », c'est-à-dire cette fois-ci lacérer sa peau comme il se divertissait à lacérer les dentelles de ses anciennes maitresses.
A ce stade du récit, le baron est devenu l’homme prédateur et la femme sa victime : affolé par le charme juvénile et dévastateur de l’héritière de la maîtresse assassinée, il jette son dévolu sur la « biche en émoi ». Malgré sa réputation vérifiée d’ogre mangeur de chair fraiche, de « Barbe Bleue », le baron peut encore sévir à son aise car il « tient la famille » du garde-chasse. Dès lors, le chantage est facile pour ce noble qui est aussi beau-parleur et qui demande à la jeune fille de réaliser ses fantasmes (enfiler une belle robe, la déchirer, dévoiler une poitrine, bouger le bas des reins, être regardée, scrutée, désirée) mais qui lui fait découvrir en même temps son corps et sa chair de femme.