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Road To Nowhere

Publié le 07 mai 2011 par Mg

Après 20 ans d’absence, Road to Nowhere marque le retour à la réalisation de Monte Hellman, réalisateur du film culte Two-Lane Blacktop (Macadam à deux voies) en 1971. Road to Nowhere n’est sans doute pas un film important, mais il a beaucoup de charme pour peu qu’on se laisse séduire, et amène plaisamment à la réflexion, là où, il est vrai, David Lynch a exploré les mêmes thèmes de manière plus complexe, en parvenant à abolir la réflexion. En effet, Road to Nowhere rappelle souvent le sublime Inland Empire. Il est clair dès le début qu’il y a deux Road to Nowhere : celui de Monte Hellman et celui, fictif, à l’intérieur du premier, de Mitchell Haven, protagoniste et alter ego de Hellman. Comme dans Inland Empire, on est parfois dans l’incertitude quant au film dans lequel nous nous trouvons : les personnages sont-ils en train de jouer ou non ? A la différence près que chez Lynch, ce sont les acteurs eux-mêmes qui s’y perdent, alors que Hellman se contente de dérouter ses spectateurs : Lynch avait ajouté à la fiction et à la réalité la représentation du fantasme. Chez Hellman, il n’y a ambiguïté qu’à la première vision. Une scène se révèle a posteriori ne pas faire partie de la vie des personnages, mais être jouée sur un lieu de tournage. On va, on vient, entre réalité et fiction ; les images se dédoublent, se contredisent ou se correspondent. Les acteurs s’avèrent au final liés à leurs personnages plus qu’à travers le film, celui-ci s’inspirant d’une histoire vraie et de personnes réelles: le film sur le cinéma devient alors film policier.

Mitchell Haven et son équipe se rendent dans une petite ville de Caroline du Nord pour tourner l’histoire de Velma Duran et de son amant, histoire criminelle d’argent disparu et de suicide. Là, l’atmosphère rappelle plutôt Twin Peaks, du même Lynch : la petite ville isolée, les morts mystérieuses et la galerie de personnages, le diner à moitié désert et les intérieurs boisés, la jolie blonde et la brune mystérieuse.

Road to Nowhere est un film sur le cinéma, sur les acteurs. Quand Mitchell Haven choisit son casting, des noms sont proposés : Leonardo DiCaprio, Scarlett Johansson, mais ne sont pas retenus, pour aucun des deux Road to Nowhere d’ailleurs. Pied de nez de Hellman, qui n’a pas de star dans son film et semble ne pas s’en porter plus mal. Car un réalisateur peut choisir et fabriquer sa star, comme Haven avec Laurel Graham, interprète de Velma Duran.

Certaines scènes sont vues deux fois : au moment du tournage, les personnages sont filmés à contre-jour par la caméra de Hellman ; plus tard, lorsque l’équipe visionne la scène, on la voit sous l’angle opposé, telle qu’elle est dans le film de Haven. Deux perspectives qui correspondent aux deux films enchâssés. En somme, ce qui est mis en scène, c’est la valeur de syllepse inhérente à tout jeu d’acteur : les gestes de l’acteur sont à la fois littéraux et figurés. Littéraux lorsque l’on nous montre les acteurs en tant qu’acteurs, personnes qui réalisent effectivement les gestes de leurs personnages ; figurés, lorsque l’on voit le produit final, perçu en tant que fiction. Le film dans le film nous laisse deviner sans cesse que ce qui nous est offert comme une évidence et à quoi nous nous laissons prendre, à savoir le Road to Nowhere de Hellman, est tout aussi fictif et construit, a suscité autant d’interrogations, de doutes, de travaux, de revirements, avant de devenir le produit fini que nous avons devant les yeux. Par la suite, la dimension fondamentalement trompeuse de l’acteur se transforme dangereusement, lorsque celui-ci se révèle usurpateur. Les protagonistes du tournage sont rattrapés, dans la réalité, par une affaire d’imposture, et c’est par là que la frontière fiction/réalité se brouille. Tout au moins en partie : l’obsession du cinéaste pour son actrice y avait contribué auparavant. L’attraction sexuelle va de paire avec la fascination, et pour l’actrice, et pour le personnage qu’elle incarne. Dans son film, on ne voit plus qu’elle, ce qui provoque d’ailleurs le mécontentement des autres acteurs : il n’y a plus de contrechamps, remarque le scénariste.

Pourtant, une autre sorte de contrechamp viendra révéler brutalement à Haven que son actrice n’est pas tout à fait celle qu’il croyait, et marquera l’irruption de la réalité, des faits, dans la construction de son « rêve » (puisque c’est ainsi qu’il voit les films, rêves de leurs réalisateurs). La réalité entre alors dans son Road to Nowhere, fixée par la caméra en lieu et place de la fiction prévue. Faire un film sur une histoire vraie, est-ce toujours la continuer ? Après tout, la représentation fait partie de l’histoire, car la réalité n’est toujours que la perception qu’on en a. Sans le savoir, en faisant le film, les personnages jouent la suite de l’histoire vraie qu’ils mettaient en fiction.

Hellman prend des libertés avec la chronologie, laissant pressentir dès le début que fiction et réalité vont se rencontrer plus qu’elles ne le devraient, à travers une trame aux allures policières. Pourtant, l’absence de crescendo dans l’intensité dramatique est peut-être une des défaillances du film. Pas de moment d’élucidation dramatique ; les faits se dévoilent peu à peu, la vision est parcellaire. Une ombre de mystère subsiste pour le spectateur -comme pour le réalisateur qui choisit un sujet parce qu’il ne peut le saisir tout à fait.


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