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Pour en finir avec le concept de sevrage

Publié le 09 mai 2011 par Sibellia @Sibellia

Allaitement et sevrage

Par Dali, sur le Blog des Editions du Hêtre.

Il est des notions assassines et empoisonnées qui n’ont aucune base autre que celle, arbitraire et impérative, de la norme sociale et culturelle et qui peuvent pour longtemps – si ce n’est pour toujours – compromettre le développement optimal, physique et psychique du petit d’homme.

Le concept de sevrage est un de ces concepts dont une analyse rapide nous permettra de saisir la nature fondamentalement anti-hédoniste et mutilante, et le projet global de violence envers les êtres vivants de nos sociétés guerrières qui réglementent par oukases et décrets les comportements de ses membres.

Si, dans un premier sens tiré du latin populaire separare (séparer), sevrer signifie « cesser progressivement d’allaiter pour donner une nourriture plus solide » (Le Petit Robert, 2001), le verbe désigne en horticulture le fait de séparer une marcotte du pied mère, en médecine, de priver un toxicomane d’une drogue ou encore en langue profane, de priver quelqu’un de quelque chose d’agréable.

Ainsi, le lait de mère humaine, cet élixir dont se délectent les bébés, mais aussi le sein qui le produit, sont vus soit comme une drogue qui induit une dépendance nuisible, soit comme un plaisir indécent dont il convient, pour le bien psychique de l’enfant, d’être éloigné. Et le plus tôt serait le mieux. En filigrane, il s’agit bien sûr d’être séparé du « pied mère », de sa base, de sa « terre natale ». Car il est là, l’enjeu majeur de la pratique du sevrage : la séparation.

Pour convaincre les mères, toujours trop enclines à répondre aux besoins capricieux de leur progéniture, de la nécessité d’une telle séparation, les différentes figures successives de l’autorité au cours de l’histoire (philosophes, moralistes, hommes d’Église, médecins, et plus récemment, se parant des atours séduisants de la scientificité, psychologues) ont développé toutes sortes d’arguments plus fallacieux les uns que les autres. Le cheval de bataille de ces prescripteurs abusifs (et leur « cheval de Troie ») est le concept d’indépendance ou, plus en vogue, moins politique, plus psychologisant, celui d’autonomie. Comment pourrait-on soupçonner de mauvaises intentions quelqu’un qui prétend œuvrer pour l’autonomie des enfants ? N’est-ce pas ce que tout parent désire : que son enfant soit le mieux équipé pour survivre par lui-même ?

Soit dit en passant, la notion d’autonomie me laisse tout aussi rêveuse : encore une autre illusion spéculative qui fait abstraction de la nature essentiellement grégaire d’homo sapiens. Au fond, les sociétés non traditionnelles n’ont de société que le nom. Structurellement, ce n’en sont pas. Leur projet collectif n’est pas un projet pour les individus. Mais ceci est une autre histoire sur laquelle nous reviendrons sûrement sur ce blog.

L’autonomie, donc, c’est la cause noble de la séparation, dût-elle se faire dans la violence et à son corps défendant. Car le sevrage est toujours un rituel qui se fait à l’initiative plus ou moins assumée de la mère ou pire, de celle de la communauté. On sèvre ainsi plus ou moins joyeusement, selon que l’on se réfère à telle ou telle autorité, à dix semaines (durée du congé maternité légal en France), à six mois (nouvelle durée révisée de M. Marcel Rufo, expert ès « choses qui sont bonnes pour les bébés – et les mamans »), à un an (« Ordre » des pédiatres) ou à deux ans ou plus (recommandations de l’OMS). Je constate tristement qu’à aucun moment on ne se demande ce qu’en pensent les mères et surtout, « ce que veulent les bébés et les enfants », habitués que nous sommes à recevoir les conseils avisés et expertises en tous genres des spécialistes (et il y en a pléthore, en fonction de la partie de notre personne disséquée, morcelée qu’on considère !). Pourtant qui plus que la mère (ou le père) est expert de « Vivien M., trois mois, tétouilleur en bonne santé et heureux de vivre » ? Elle est belle, l’autonomie qu’on nous vend quand on ne nous laisse même pas décider par nous-mêmes de ce qui est bon pour nous ! Et quand je dis « nous », je parle de la mère ET de l’enfant, l’arrêt de l’allaitement étant de toute façon un ajustement fin à deux voix.

Le concept de sevrage est également inséparable de la notion de frustration chère à nos pédopsys enthousiastes et partant, de celle de plaisir interdit. Le plaisir (l’ocytocine et les endorphines en somme) est une drogue, par conséquent forcément destructrice (de qui ? de l’individu ? de l’ordre apollinien de la société ?), un objet absolu du désir (pas bien le vilain désir !) que notre culture judéo-chrétienne de suspicion envers le corps et ses joies a méthodiquement œuvré à diaboliser. La négation du plaisir, la frustration seraient « formatrices » ; je veux bien l’admettre en un certain sens, celui d’auxiliaires à la société guerrière, mais sûrement pas au sens de l’épanouissement de l’individu et du groupe social dont il est l’élément de construction.

Mais revenons donc au sevrage, notion culturellement construite, mythe fondateur de notre projet social, et à l’élément d’intervention extérieure nécessaire qu’il sous-tend. Car, en effet, il s’agit d’une construction intellectuelle qui ne repose sur aucune base biologique. Il n’est pas nécessaire d’intervenir dans la relation d’allaitement. Rien ne justifie une telle ingérence, et sûrement pas les pseudo-lois édictées (pour beaucoup, inventées voire fantasmées) par les psychologues. Mesdames, si vous voulez garder vos enfants au sein (je ne m’adresse pas aux enfants car je connais leur point de vue sur la question), ne vous gênez pas ! Non seulement, vos enfants en ont besoin et ce jusqu’à un âge avancé (qui se compte en années et pas en mois) car le lait de mère humaine est un trésor nutritionnel, immunitaire, affectif, mais de plus, et c’est un scoop, cela ne fera pas d’eux des névrosés à la sexualité tourmentée ni des bras-cassés sociaux !

Pour s’en convaincre, les indécis pourront lire l’excellente étude d’Ann Sinnott : Allaités… des années ! qui paraîtra bientôt aux Éditions du Hêtre, passionnant voyage dans les terres inconnues de l’allaitement au (très) long cours.

Allaiter, c’est tellement plus qu’un geste « technique » ou « orienté » ; c’est un tout fonctionnel qui répond à un complexe de besoins du petit d’homme, c’est la façon la plus facile, la plus immédiate, la plus efficace de donner de l’amour à son enfant et c’est précisément pour cela qu’il se fait au long cours. Il n’y a rien d’autre à faire, et sûrement pas à sevrer, pour assurer à son enfant bien-être et équilibre. Pour prendre le contre-pied d’une formule d’une « suspicieuse » (voir bientôt le billet « Les suspicieux » sur ce blog), « l’amour suffit » et il suffit à tout.

Lu sur le site Des Editions du Hêtre.

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