Plutôt réservée, l’actrice-réalisatrice israélienne de 32 ans présente «The Slut», où elle incarne une jeune mère nymphomane.
Elle débarque de l’avion, on la propulse pour sa première interview à la terrasse du Grand Hôtel, un peu suante.
Elle a beaucoup plus de cheveux que sur l’écran, flamboyante, jupe électrique, on ne voit que ses yeux à la Julia Roberts.
On ne lui a pas dit qu’il y avait une séance photo après, repoudrage interdit : c’est qu’on aime l’humanité toute nue à Libé.
Hagar ben Asher, actrice et réalisatrice de The Slut (moins violent que prononcé en français, «la salope»), l’est d’ailleurs beaucoup, toute nue, dans son film, mais ça ne se voit pas car elle a l’air de penser en jouant les scènes d’amour ou, au moins, de jouer une femme qui pense en faisant l’amour, c’est-à-dire une femme qui fait autre chose.
Hagar ben Asher a l’air plutôt réservée, n’ose pas commander à boire pour ne pas interrompre l’entretien. Pas le profil d’une exhibitionniste, mais attentive, joyeuse. «C’est qu’il y a des nudités plus dures quand on joue dans un long métrage que de montrer seulement son corps.»
On ne la connaît pas, et elle se permet de débouler, du haut de ses 32 ans, avec l’histoire d’une jeune mère, Tamar, qui se couche là parce qu’elle aime ça, avec plusieurs hommes du même village, et n’arrive pas à rester fidèle au seul d’entre eux qu’elle aime.
On voit deux membres virils en érection au passage, mais le plus choquant est que tout ça se déroule au milieu des poules et des chevaux, alors que le jeune cinéma israélien nous avait habitué aux intellectuels et go-go dancers de Tel-Aviv. «Je n’aime pas faire la fête, s’amuse-t-elle. Je suis plutôt bouquinage.»
Et, quand le photographe lui demande de s’asseoir sur le sol du bar comme pour un déjeuner sur l’herbe, elle proteste seulement d’un «Renoir». Elle avoue cependant ne pas faire la lettre morte toute la journée. «Je discute avec beaucoup d’artistes, on se fait vraiment confiance.
Je ne peux pas dire que j’appartiens à une école ou un mouvement ni que je suis particulièrement influencée, mais comme Israël a une petite scène artistique, tous les réalisateurs que je connais vivent à cinq blocs de chez moi. Donc il y a une sorte d’influence réciproque, inconsciente.»
On l’imagine facile à vivre, puisqu’au lieu de partir avec des leçons en tête, elle fait du cinéma en chercheuse. «Je voulais parler des relations entre sexe, violence, culpabilité et maternité. Voir comment ces questions allaient se poser. J’ai vite compris que peu importait le côté par lequel on les regardait, c’était toujours l’œuf et la poule.»
On ne l’accusera pas pourtant de psychologisme au nombril étroit, car elle croit que «la tendance à refouler ses sentiments n’est pas un problème individuel, mais plus largement humain».
On peut au moins lui reprocher d’être universaliste, alors ? Que nenni, c’est un cheval qui a le mot de la fin dans The Slut (présenté aujourd’hui à la Semaine de la critique)
Mais enfin, on notera qu’elle casse beaucoup d’œufs en 1 h 30 et que, par ailleurs, elle n’est pas elle-même mère, de quoi faire baver de joie un freudien en herbe.
Née d’une mère institutrice et d’un père officier, Hagar ben Asher étudie un peu la photo puis, très vite, le cinéma.
«J’ai grandi dans une petite ville et, enfant, je me demandais ce qui se passait au-delà du jardin de la maison.» Du coup, elle a montré dans son film l’autre côté du jardin en le cachant, puisqu’on ne voit jamais ceux qui pourraient traiter l’héroïne de «salope».
Ils sont absents du cadre. La communauté n’est pas représentée. «Mais, en endossant le rôle, je me mets dans la position d’être appelée « salope ».»
A la veille de la première mondiale de The Slut, elle ne craint ni ne désire le scandale («je crois à la force du cinéma, qui permet aux spectateurs de transcender ce qui est montré»).
Elle espère en revanche qu’un brin de renommée poussera le public israélien à aller voir son film quand il est plutôt friand de mainstream local.
Et, puisqu’on en est aux histoires de communautés et d’Israël, c’est le moment de poser la question qui tue, du genre «Comment peut-on être Israélienne ?» ou, en version délayée : comment peut-on faire du cinéma non politique dans un pays dont on n’attend rien que de la politique ?
«Je crois que rien n’est innocent.
Je pense que je connais la plupart des implications politiques de mon film et que j’y ai apporté la plus grande attention. Parce que la politique est inévitable et également parce qu’elle n’a pas d’importance.»
C’est vrai qu’une femme qui ne se donne pas à qui elle veut et se prête aux autres, sans jamais exercer le sexe dans sa maison mais toujours au dehors, ça prête quand même un peu à interprétation guerrière.
«Si on prend tout le film comme un vaste symbole, on peut le lire également comme un geste politique.»
De quoi ? «Ça, je ne le dis pas officiellement. Et j’espère que le film va rester libre d’interprétations politiques tout en sachant qu’il a des implications politiques.»
Article d’ERIC LORET paru sur next.liberation.fr
Photo Yann Rabanier