«Moi, Marianne, je voulais la voir morte. Je voulais qu’elle meure, ou que quelqu’un ou quelque chose la tue parce que je n’avais ni le courage ni la force de le faire. Je voulais que disparaisse cette femme qui frappait maman au point de l’étendre par terre, la bouche en sang. C’est ce que je voulais, jusqu’au jour où cela arriva vraiment.»C’est ainsi, en fanfare, que démarre ce roman aux aventures loufoques et au style ébouriffant dont les phrases d’une longueur insolite rappellent celles de Proust pour leur magnificence et leur efficacité poétique. Le lecteur est tout de suite au cœur de l’action. Cette Marianne est en effet le malheur d’une famille espagnole exilée au Mexique pour fuir le régime de Franco. C’est la tante du narrateur, devenue si folle furieuse vers trois ans, après une méningite que, pour se protéger de sa force criminelle, on est obligé de l’attacher par un licol à son fauteuil à bascule, gardée en permanence par un domestique indien qui la protège et la nourrit. La fin est horrible et bien dans la lignée de «Cent ans de solitude» de Gabriel Garcia Marquez, entre tragique et flamboyance. Derrière cette destinée familiale ce sont tous les désirs et les espoirs déçus des immigrés catalans sur une terre mexicaine plus étrangère et impitoyable qu’ils ne l’imaginaient. J’ai trouvé ce récit magnifique. J’imagine que Ys qui lit tellement de romans latino-américains l’aura lu aussi ou s’apprête à le lire. Dommage que je ne puisse le connaître qu’à travers une traduction, peut-être excellente d’ailleurs, mais je suppose qu’un style si luxuriant doit perdre beaucoup à ne pas être lu en VO. Un bon moment de lecture cependant. La dernière heure du dernier jour, Jordi Soler, traduit de l’espagnol (Mexique) par Jean-Marie Saint-Lu, Belfond, 2008, 221 p.