Voici une liste non exhaustive d'idées reçues sur l'innovation. Si l'une d'elles vous paraissait évidente, il est peut-être temps d'y réfléchir
1. L'innovation est forcément technologique
Lorsqu'une étude s'intéresse à l'innovation des entreprises, les principaux indicateurs de l'innovation retenus sont le nombre de brevets déposés, les dépenses de R&D, l'investissement provenant du capital-risque ou encore le nombre d'ingénieurs et de scientifiques employés. Du point de vue plus macroscopique, l'innovation des États se jauge souvent à ces indicateurs, consolidés sur l'ensemble des entreprises nationales, ainsi que d'autres plus spécifiques aux pouvoirs publics comme la part du budget consacré à la recherche.
C'est oublier que l'innovation n'est pas que technologique. Elle peut porter sur le design (la Twingo), sur le business model (Easyjet avec l'achat direct de billets), ou encore sur l'usage (la location de vélos en libre-service dans les grandes villes). Et j'en oublie.
2. L'innovation est bénéfique
L'innovation est naturellement associée à l'idée de progrès : pas de progrès sans innovation. Or le progrès a une connotation généralement positive, ce qui laisse entendre que l'innovation est forcément bénéfique. Il n'y a qu'à voir à quel point l'innovation est mise en avant dans la communication des entreprises, et le nombre de services publics dont la vocation est de servir l'innovation (OSEO, les agences régionales de l'innovation, les pôles de compétitivité...).
Pourtant, une innovation peut parfaitement être néfaste. L'une des meilleures illustrations récentes en est ce qu'on appelle le high speed trading, la vente et l'achat automatisé de milliers de titres boursiers en des fractions de seconde et ceci en permanence, afin de tirer un profit purement spéculatif. A part enrichir les banques, cette innovation n'apporte aucun avantage à la société, et peut même être délétère pour l'économie, comme le montre le krash éclair de Wall Street le 6 mai 2010 (le Dow Jones avait perdu 10% en quelques minutes).
Mais ne me faites par dire ce que je n'ai pas dit. L'ensemble des innovations est, en moyenne, bénéfique, et c'est d'ailleurs l'unique manière de créer continûment des richesses avec un nombre limité de ressources, c'est-à-dire d'assurer durablement la croissance économique.
3. L'innovation est nécessaire au succès des entreprises
L'un des arguments les plus courants pour encourager l'innovation des entreprises est qu'elle est nécessaire au succès des entreprises. Cet argument n'est pourtant pas universel.
En effet, s'il est vrai que dans des secteurs en forte évolution technologique, l'avantage est clairement dans les mains des entreprises innovantes, ce n'est absolument pas le cas dans des industries plus matures.
Je recommande à ce sujet la lecture de l'article suivant, certes restreint à l'innovation technologique mais dont les exemples illustrent mon propos : www.estin.com/pdf/publications/Investing-in-RetD-fr%20.pdf
4. L'innovation provient forcément de découvertes ou idées récentes
L'innovation étant par définition l'introduction de quelque chose de nouveau, il semble évident que l'innovation est nécessairement reliée à une découverte scientifique récente, à un développement technologique récemment apparu, ou encore une idée révolutionnaire exprimée il y a peu.
L'une des innovations majeures attendues dans les prochaines années, voire en 2011, est sans doute la voiture électrique. On s'attend effectivement à un changement important dans le marché automobile. Pourtant, la voiture électrique date du XIXe siècle, comme on peut le lire sur cette page : http://inventors.about.com/od/estartinventions/a/History-Of-Electric-Vehicles.htm
Alors, la voiture électrique ne serait pas une innovation ? Pas une innovation technologique, au sens classique, car la technologie n'a effectivement rien de nouveau. La véritable innovation est politique : c'est que ce type de véhicule devienne un concurrent crédible à la voiture à essence, grâce aux préoccupations sur le climat et sur l'émission des gaz à effet de serre.
5. L'innovation se gère comme n'importe quelle activité
Les entreprises cherchent généralement à optimiser leur fonctionnement pour maximiser leurs bénéfices, ce qui les conduit en général à appliquer des méthodes de gestion à l'ensemble des activités de l'entreprise. Y compris les activités liées à l'innovation.
Prenons le cas désormais courant d'une entreprise organisée autour de services (production, vente, administration, R&D...) et de projets. Certains projets peuvent viser à optimiser une activité récurrente (un procédé industriel, la vente d'un produit, une tâche administrative...), et d'autres à innover (changer la manière de produire, lancer un nouveau service, organiser différemment l'entreprise...). Gérer les projets d'optimisation et les projets d'innovation de la même manière est assez courant mais parfaitement déraisonnable.
En effet, un projet d'optimisation peut et doit atteindre son objectif, alors qu'un projet d'innovation présente toujours une part conséquente de risque. Or la gestion rigoureuse d'un projet d'optimisation repose généralement sur l'application de méthodes fiables, éprouvées ailleurs et peu risquées (le Lean Manufacturing en est un exemple) et sur la réduction des coûts, alors que les projets d'innovation doivent sortir des sentiers battus et prendre des risques y compris financier.
La gestion du risque est sans doute l'une des clés de l'innovation. L'approche gestionnaire classique suggère de réduire le risque de chaque projet, de ne proposer que des projets peu risqués, et de détourner en partie le budget de l'innovation officiellement affiché ("1% du CA consacré à la R&D et à l'innovation") à des tâches de support immédiatement rentables. Combien de nos grands groupes français sont aujourd'hui capables de montrer un produit ou un service révolutionnaire ? Je n'en vois pas faire d'ombre à Apple ou à Google.
Au contraire, les entreprises les plus innovantes consacrent une part importante de leur effort d'innovation dans des projets risqués. Ainsi, je me suis laissé dire que 20% du temps des développeurs de Google était consacré à des projets personnels (et quelque chose de similaire mais de plus modeste chez 3M). Prise de risque énorme, car qui sait ce que le développeur lambda va produire ? Mais à la clé, une production régulière de nouveaux services et une croissance incroyable.
Mais prendre des risques ne veut pas dire qu'on ne doit pas les gérer. Il y a des techniques de gestion du risque adapté à l'innovation, ne serait-ce qu'en considérant le risque global d'un portefeuille de projets d'innovation plutôt que le risque individuel de chaque projet. Comme les assureurs le font depuis longtemps, d'une certaine manière.
6. L'innovation est plus risquée que le suivisme
Innover, c'est se lancer dans l'inconnu : une innovation doit être développée avec succès puis lancée commercialement avec succès, et aucune des deux étapes n'est exempte de risques et d'incertitudes.
Mais il est des situations dans lesquelles ne pas innover est encore plus risqué. Ainsi, comme cité plus haut, une entreprise fabricant des microprocesseurs comme AMD ou Intel se doit d'innover en permanence sous peine d'être larguée par ses concurrents. Plus généralement, dès lors qu'un secteur d'activité est régulièrement approvisionné en innovations, et en particulier quand ces innovations rendent obsolètes les produits ou services antérieurs, innover est plutôt moins risqué que de ne pas innover et de se contenter de suivre les innovations des concurrents, car la réactivité du suiveur doit être extrême.
7. L'innovation, ce n'est pas pour moi
Si innover n'est pas justifié stratégiquement sur son marché, effectivement, on peut se passer d'innovation. Mais plaçons-nous dans le cas contraire, qui est loin d'être rare car il y a, au moins à l'échelle d'une carrière professionnelle, des innovations dans tous les secteurs d'activité.
Chacun a vécu cette expérience : une excellente idée vous vient alors que vous faites tout sauf travailler. On appelle cela une épiphanie. Avoir des bonnes idées est à la portée de tout le monde. Il existe en plus des techniques de créativité, individuelles ou collectives, qui permettent de produire rapidement et efficacement des idées originales.
Le manque d'idées n'est donc pas un argument pour ne pas innover. Mais il y a deux choses à faire pour passer de l'idée à l'innovation : concrétiser l'idée sous forme d'un produit ou d'un service, puis lancer commercialement ce produit ou ce service.
Concrétiser une idée peut être difficile au sein d'une entreprise, faute de moyens ou de compétences. Pour cela, il y a deux parades : soit on trouve de l'aide à l'extérieur (c'est la vocation de la médiation technique), soit on vend son idée à une autre entreprise plus adaptée (là, c'est le domaine de la propriété industrielle). Enfin, si le problème est financier, on peut se tourner vers des structures comme les business angels ou le capital-risque.
Enfin, si le produit ou le service est fonctionnel, il faut le vendre. Pour cela aussi, il y a moyen de se faire aider si l'on ne dispose pas des moyens ou des compétences : par les agences de marketing stratégique, en amont de la concrétisation pour identifier les segments de marché pertinents et adapter le produit ou le service à ces cibles, par les agences de marketing opérationnel en aval pour développer les supports de vente, ou encore par des distributeurs.
Personne n'a jamais dit que vous deviez innover tout seul !
8. L'innovation se suffit à elle-même
L'innovation est en soi séduisante, car la nouveauté plaît à une certaine catégorie de personne dans chaque marché. Mais le problème n'est pas de trouver quelques clients, c'est de réussir un lancement commercial. Et même Apple avec l'iPhone ne s'est pas contenté de miser sur le caractère très innovant de son produit phare.
Le cas du système de téléphonie satellite Iridium, extrêmement innovant mais qui s'est traduit par un naufrage financier à cause du développement beaucoup plus rapide du réseau GSM, est une illustration du fait que l'innovation n'est pas une garantie de succès.
9. L'innovation est coûteuse
Tout dépend de la nature de l'innovation. Si celle-ci met en jeu de la technologie de pointe ou nécessite des dépenses de marketing et de communication importantes, c'est évident.
Mais la valise à roulette est une innovation qui n'a pas dû coûter beaucoup à son inventeur, et lancer un site internet avec un concept révolutionnaire peut être à la portée d'une petite structure. Je doute que Twitter ait initialement coûté une fortune à son créateur.
Enfin, sans même entrer dans des considérations de retour sur investissement, l'argument massue des partisans de l'innovation mais qui ne parvient que rarement à convaincre les personnes méfiantes vis-à-vis du risque de l'innovation, il est souvent possible de lancer à peu de frais une activité rémunératrice préliminaire à la commercialisation d'une innovation coûteuse. Je recommande la lecture de l'article suivant de Guy Kawasaki sur ce qu'il appelle le bootstrapping : http://blog.guykawasaki.com/2006/01/the_art_of_boot.html#axzz1MKhbV5iy
10. L'innovation est l'apanage de quelques gourous
Pour beaucoup, les grands génies de l'innovation comme Edison ou plus récemment Steve Jobs ont inventé seuls et de toute pièce leurs produits les plus extraordinaires, alors qu'une analyse plus détaillée de leur œuvre et du contexte technologique de l'époque montre généralement qu'ils ont bénéficié d'un long travail collectif, souvent réalisé en grande partie en dehors de leur entreprise, et qu'ils ont simplement vu plus rapidement que les autres vers quelle conclusion ce travail collectif allait aboutir.
En réalité, de nombreuses entreprises innovent, souvent sans le crier sur tous les toits. Et dans ces entreprises, l'innovation est parfois l’œuvre d'une personne unique, pas forcément charismatique mais passionnée, ou plus fréquemment le résultat d'un travail d'équipe permis par un encadrement favorisant le risque et la créativité.