Magazine Culture

Laurent Binet entre l’Histoire et le roman

Par Pmalgachie @pmalgachie
Laurent Binet entre l’Histoire et le romanPrix Goncourt du premier roman, Laurent Binet s’est trouvé malgré lui, et à la marge, impliqué dans la polémique qui a opposé Claude Lanzmann et Yannick Haenel autour de Jan Karski, présent dans un film de l’un et dans un roman de l’autre. Le débat a passionné Laurent Binet. Celui-ci s’interroge en effet sur les rapports entre le réel et la fiction.
Son roman, qu’il appelle «infra roman», est au cœur de la problématique. Il a choisi, pour l’écrire, un parti pris radical: «Je n’aime pas penser à la place des gens. Faire parler les morts, c’est un coup de force de la fiction sur le réel.» Il a donc adopté une approche très différente de celle de Haenel, dont le monologue intérieur ne le convainc pas – pas plus qu’il n’est convaincu par Les Bienveillantes, de Jonathan Littell. Claude Lanzmann a apprécié et le lui a dit par téléphone. «J’ai éprouvé de la fierté de recevoir ce coup de fil», dit-il. Ajoutant dans la foulée: «Et du soulagement…»
Sous un titre énigmatique se cache un ouvrage atypique. HHhH, voilà qui n’évoque rien si on n’en donne pas la signification. Elle vient à son heure: «Himmlers Hirn heißt Heydrich – le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich».
Reinhard Heydrich n’est pourtant pas le personnage principal du roman. Il est la cible de deux parachutistes, Gabčík et Kubiš, envoyés de Londres à Prague pour assassiner celui qui, en 1942, y incarnait le pouvoir nazi. Laurent Binet avait entendu parler de cette histoire il y a longtemps, par son père. Sa fascination pour Prague, dont il écrit qu’elle est la plus belle ville du monde, a fait le reste.
«Prague occupe une place très importante dans mon histoire personnelle. J’ai eu une petite amie slovaque, avec laquelle j’ai habité dans un appartement à Prague. Et, en creusant sur place cet épisode que je connaissais mal, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une histoire extraordinaire.»
Une histoire si extraordinaire que, dit-il, «il n’était pas besoin d’en rajouter. La tentation romanesque était forte, et il m’est arrivé d’y céder, en contradiction avec mon projet. J’ai gardé ces passages, pour en faire un sujet de discussion, en amont ou en aval. En fait, je voulais mettre cette histoire en valeur le mieux possible en utilisant tous les outils du roman, sauf un: la fiction.»
C’est pourquoi il ne cesse, dans le texte, de dire ses doutes, ses errements dans la recherche d’informations sur l’attentat du 27 mai 1942, ce qui l’a précédé et ce qui l’a suivi. Pas un détail qui ne soit pesé sur la balance de l’authenticité – quitte à le rejeter comme insignifiant. Il ne tait aucune des hésitations survenues en cours de rédaction, et notamment celle-ci, qui lui pose encore un léger problème: «Mon but était de rendre hommage à ces deux parachutistes. Or, après 150 pages, ils sont à peine évoqués. C’était perturbant pour moi. Mais la carrière d’Heydrich était un passage obligé, avec d’autres éléments posés dans une succession de chapitres courts apparemment hétérogènes, qui convergent vers l’attentat les reliant tous.»
Les nombreuses interventions de l’auteur auraient pu nuire à l’élan du récit. Le contraire se passe: nous sommes avec Laurent Binet au cœur même de son travail et de sa fascination pour les événements qu’il reconstitue, à la fois à distance et au plus près d’eux. La fascination est partagée jusque pour ce que nous ne connaîtrons jamais.
L’exercice est un grand numéro d’équilibriste. Mais qui se soucie moins du spectacle que de la précision de ses gestes, parfaitement adaptés au terrain glissant sur lequel il se trouve. Entre le roman et l’Histoire, Laurent Binet a trouvé une voie médiane qui emprunte au premier sans affaiblir la seconde. Il a mis presque dix ans pour la parcourir, moitié pour la documentation, moitié pour l’écriture. Le résultat est à la hauteur d’une exigence jamais prise en défaut.
P.S. Je pourrais expliquer mon long silence. Mais les circonstances qui l'ont provoqué demanderaient une longue explication, et je préfère revenir avec des sujets mieux adaptés à l'objet de ce blog.

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pmalgachie 8645 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines