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Présomption d’innocence, vraiment ?

Publié le 18 mai 2011 par Copeau @Contrepoints

Présomption d’innocence, vraiment ?

Magnifique affaire DSK ! D’un côté, les médias, friands de croustillance, ont tendance à jouer la surenchère dans l’ « information » la plus complète possible, et de l’autre, les outrés et les choqués sortent du bois, le museau tout barbouillé du principe de présomption d’innocence. Comment concilier ces deux penchants ?

Avant d’aller plus loin, un peu de rhétorique.

Une solution courante consiste à parler de l’ « infraction présumée. » Voilà bien une expression malheureuse ! Le mot « présumé » peut signifier que cette infraction est supposé, mais aussi, et c’est plus embêtant, que cette supposition est probablement juste.

Zut et zut et bien pire encore, en droit, « présumé » signifie qu’on la tient comme établie jusqu’à preuve du contraire. C’est d’ailleurs en ce sens qu’il faut comprendre que la justice tient le prévenu comme présumé innocent : il est tenu pour innocent jusqu’à ce qu’il soit condamné.

Ainsi, dire que le Directeur Général du FMI est tenu en prison pour une agression présumée, c’est bien involontairement nier la présomption d’innocence puisqu’alors, l’agression devient établie jusqu’à preuve du contraire… Les journaux, jamais en mal d’une pirouette, retiennent heureusement d’autres solutions, la meilleure consistant à attribuer les accusations à ceux qui les émettent. Ce qui donne des formules telles que « le rapport de police est accablant », « la justice met en examen », etc.

Mais à quoi bon ces précautions ?

Pourquoi diable les journaux et nous, bêtes citoyens d’un monde de plus en plus communiquant, devrions-nous respecter la présomption d’innocence ?

Que l’homme s’abstienne de juger sans savoir, connaisse une affaire sans préjuger de sa solution, ceci est fort louable. Mais pourquoi, subitement, devrions-nous suspendre notre jugement pendant quelques années le temps qu’une personne soit effectivement condamnée et épuise ses voies de recours ?

Aussi improbable cela soit-il (surtout quand on voit l’actualité, hein), l’homme a un cerveau et il arrive qu’il sache s’en servir. Si si.

Pour éviter les hordes féministes assoiffées d'égalitarisme sexuel millimétré, il va de soi que j'emploie le terme "homme" ici au sens le plus générique qui soit. Oui, bien sûr, les femmes aussi ont un cerveau et il arrive aussi qu'elles sachent s'en servir. Mais ne digressons pas.

Cet homme normal lit des journaux, discute avec ses collègues, fait des batailles d’attaches trombones, boit du café, réfléchit son avis, et va parfois jusqu’à se former une opinion. C’est foutrement enquiquinant pour certains, mais … c’est comme ça.

Et quand bien même la justice tranche en un sens, est-il privé de la faculté de former une opinion contraire ? Ceux qui pensent que Omar Raddad est innocent ou ceux qui se rappellent des affaires Dreyfus et Outreaux savent que la vérité judiciaire n’est pas forcément la vérité et qu’il peut être juste d’en douter.

La liberté d’opinion devrait permettre au citoyen de quitter la présomption d’innocence pour une position rationnellement fondée, sans avoir à attendre le terme du processus judiciaire. Comment, dès lors, laisser le citoyen se faire son opinion, tout en garantissant que le prévenu bénéficie de la présomption d’innocence ?

DSK menotté : après la Porsche, Cayenne ?

Eh bien, au lieu de partir dans des moulinets oratoires à la BHL qui justifient à eux seuls une nouvelle bordée de tartes à la crème, on pourrait se rappeler que ce sont l’État et la Justice qui sont débiteurs de la présomption d’innocence mais qu’il n’y a pas de raison a priori que cette obligation concerne les observateurs ; après tout, c’est aussi ça, la liberté d’expression : celle de dire, de penser des choses qui peuvent choquer, celle de se tromper, ou a contrario celle d’avoir raison contre le système.

Les grands textes internationaux qui commandent la présomption d’innocence (Déclaration universelle des Droits de l’Homme, Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme) lient d’ailleurs les États et non les citoyens.

A ce propos, la présomption d'innocence n'est pas la seule notion pour laquelle il existe cette confusion puisque c'est également le cas de la laïcité. Pour l'une comme pour l'autre, c'est bel et bien l’État qui en est le véritable débiteur. Pas le citoyen. On ne s'étonnera pas des débats homériques et baveux que l'une et l'autre déclenchent puisqu'à mêmes causes, mêmes conséquences...

A lire les réactions outrées, voire caricaturales des distributeurs automatiques de morale, certains voudraient en fait que ce soient les citoyens qui l’appliquent. Mais non : si le citoyen peut tenir l’accusé pour innocent a priori, ça n’impose pas non plus qu’il suspende son jugement jusqu’à la fin des péripéties judiciaires.

Maintenant, ceci n’empêche pas que la justice doive être épargnée des passions populaires et de la pression de l’opinion publique. D’un côté nous avons donc la liberté d’opinion, d’expression et d’information. De l’autre, la nécessité de protéger l’institution.

Il faut concilier ces exigences contradictoires.

On comprend dans ce cadre pourquoi il n’est pas inopportun de punir l’atteinte à la présomption d’innocence que commettrait une personne comme vous et moi, par exemple en la traînant au pénal pour des sondages de culpabilité. Pour le reste, il faut l’admettre, l’atteinte à la présomption d’innocence est réprouvée par la morale et la société ; du reste, le prévenu lésé peut agir en diffamation même si dans certains cas, la bonne foi permet de s’exonérer (la jurisprudence est toutefois sévère, ne rêvez pas).

Noton aussi l’article 9-1 du code civil qui permet au juge de faire publier rectificatifs et communiqués qui rétablissent la plénitude de la présomption d’innocence. On voit mal, toutefois, un directeur général du FMI attaquer toute la presse française qui aurait révélé ses déboires sans véritablement douter de sa culpabilité…

Reste la conciliation entre le droit légitime du public à être informé (et, de fait, se faire sa propre opinion), et protéger la justice et le prévenu.

Pour le cas qui nous occupe, il semble difficile d’oublier que nous avons un aspirant à la magistrature suprême de la Ve république.

Dans son cas, il est raisonnable de penser que la liberté d’opinion doit être totale et doit pouvoir s’exprimer avec toutes ses conséquences. Après tout, nous sommes en démocratie et il s’agit de bien comprendre pour qui on vote, et, n’en déplaise à certains, oui, le candidat doit être au-dessus du soupçon.

Dominique Strauss-Kahn était un favori à la présidentielle. À ce titre, la liberté d’expression ne saurait être contenue : il est légitime, même si c’est cruel, que dans une démocratie les photos d’un aspirant aux fonctions suprêmes, menottes aux poignets, puissent être diffusées ; il est légitime que le citoyen puisse se faire son opinion sur la culpabilité de celui-ci sans avoir à attendre une décision de justice lointaine (on parle, sans sourciller, de plusieurs mois de procès), et ce d’autant plus quand les preuves avancées sont accablantes.

Car rappelons-le, puisqu’il faut le rappeler, personne ne force les politiciens à se lancer dans la politique, personne ne les force à se placer sous les feux de la rampe, personne n’oblige même ces gens à la plus stricte probité, plus parfait comportement.

Lorsqu’ils font un écart, avec tout le luxe, l’aisance, les facilités dont ils disposent sur un claquement de doigt, et qu’en plus il s’agit de personnes qui visent à la plus haute position politique du pays, oui, ils s’exposent à toute la force de la machine médiatique qu’ils ont eux-mêmes appelée de leur vœux lorsqu’ils ont, sciemment, choisi de faire de la politique leur métier. S’en plaindre, maintenant, la bouche en cœur est une belle hypocrisie.

Si la justice doit appliquer pleinement la présomption d’innocence, le citoyen, lui, a parfaitement et légitimement le droit de bénéficier de toutes les informations et de se faire son opinion sans attendre un jugement formel, surtout quand le prévenu aspirait à la fonction suprême de la démocratie.

(Cet article a été rédigé à deux mains : je tiens à remercier Apollon).
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