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J’ai lu pour vous … l’ensorcellement du monde de Boris Cyrulnik

Par Grégory Gossellin De Bénicourt @benicourt81

J’ai lu pour vous … l’ensorcellement du monde de Boris Cyrulnik

Comprendre quelle est notre place dans le vivant, comment nous en procédons et comment nous en émergeons : tel est l’enjeu de ce livre qui retrace la généalogie du monde humain où, contrairement à une certaine idéologie libérale, la notion même d’individu n’a pas de sens, car chacun est d’emblée saisi par un réseau de relations. Boris Cyrulnik anime un groupe de recherche en éthologie clinique à l’hôpital de Toulon-La Seyne et dirige un enseignement d’éthologie humaine à la faculté de médecine de Marseille et à la faculté des lettres et sciences humaines de Toulon. Il est l’auteur des Nourritures affectives, d’Un merveilleux malheur et des Vilains Petits Canards. Voici quelques notes thématiques sur ce livre (en italique, ce qui n’est pas extrait du livre tel quel)

Sur l’ensorcellement en général :

  • L’homme, du fait de son aptitude biologique à l’empathie et à la parole, appartient certainement à l’espèce la plus influençable, non seulement parce qu’il perçoit la sensorialité du contexte qui peut le captiver, mais aussi, parce que sous l’effet des mots des autres, il peut se mettre à leur place et éprouver un sentiment provoqué par leurs récits [P101]
  • Les expériences de privation sensorielle révèlent à quel point tout être vivant isolé cherche désespérément à se stimuler [P109] – C‘est un phénomène de dépendance analogue aux drogues. En remplissant leur monde, la sensation d’être possédé engendre un sentiment d’existence [P110].
  • Ce qui nous trompe le mieux révèle ce qu’on désire le plus. Mais dans notre vie, le plaisir le plus pur est le vain plaisir des illusions [...] les illusions sont donc nécessaires et font partie intégrante de l’ordre des choses [179]

Sur notre comportement grégaire :

  • Le monde vivant connait la maxime : « pour vivre heureux, vivons cachés ». Toute forme qui émerge du magma terrestre attire la foudre. Tout individu qui sort de la masse vivante attire les prédateurs [Or, ] Tout créateur sort de la norme [donc] toute innovation est anormale [P112-113]
  • La non-intégration des individus désorganise le fonctionnement du groupe. Mais une trop bonne intégration charpente un groupe stéréotypé. Peut-être une intégration imparfaite serait-elle parfaite ? En donnant place aux individus mal adaptés, insoumis, donc apte à provoquer des changements, elle constitue une réserve de potentiels évolutifs [P113].

Sur les enfants et les adolescents:

  • Les adolescents n’ont qu’un désir en tête, l’amour de l’amour qui leur donne l’illusion de posséder, autant que d’être possédés, dans un ravissement qui enchante leur vie. A moins que cet ensorcellement ne constitue justement la condition humaine, que le sort qui nous a été jeté nous contraigne à être-avec et que, sans possession et sans ravissement, nous ne soyons plus rien [P9]
  • L’enfant exprime des signaux d’alternance, mais c’est la mère qui garde l’antériorité de l’interprétation. On retrouve ainsi l’idée que la mère injecte son histoire dans le traitement des signaux sensoriels, posturaux, sonores ou visuels du petit. Ce qui veut dire que l’empathie de la mère structure le champ sensoriel qui impressionne l’enfant et le façonne en partie [P39]
  • Les mères trop dévouées le sont presque toujours à cause de leur propre histoire : ‘je veux être une mère parfaite, tant j’ai peur de répéter ma mère qui m’a fait tant souffrir’, ou ‘je me sens coupable d’avoir envie de réussir socialement alors que je suis responsable d’un bébé’, ou encore ‘seule la maternité peut me revaloriser tant j’ai honte d’avoir échoué socialement’. Le sens que la femme attribue à sa maternité la pousse à réaliser autour de son enfant un champ sensoriel trop fourni, qui, en supprimant l’angoisse du vide et la souffrance du manque, engourdit le démarrage de la vie psychique [P42-43]
  • [...] L’aptitude des enfants à créer un monde mental et à y entrer tous ensemble pour le partager [P45]
  • Quand un enfant pré-verbal tend un morceau de chocolat sucé ou de gâteau mâchouillé, il exprime par ce comportement son intention de partager son émotion, comme s’il disait ‘j’éprouve du plaisir à sucer ce chocolat, et, en te le donnant, je vais provoquer en toi un plaisir analogue.’ [P46]
  • L’enfant sacré est invention récente de l’occident qui gagne lentement d’autres continents […] Quand Néron a tué sa mère, mille nouveaux nés furent exposés le lendemain en signe de protestation politique, pour affirmer qu’il était plus moral d’adopter un esclave affranchi qui lui, au moins, avait fourni les preuves de son affection, plutôt qu’élever un enfant biologique qui un jour, comme Néron, pourrait tuer sa mère. La notion d’infanticide […] ne pouvait pas être pensée : on ne tue pas un excrément sexuel […] Si le XIXème siècle industriel a connu tant de procès pour infanticide, ce n’est pas parce qu’on tuait plus d’enfants, mais parce que notre culture commençait à criminaliser cet acte […] Napoléon a envoyé au massacre des régiments entiers de ‘Marie-Louise’ âgés de douze à quatorze ans. Les Nazis, quand ils battaient en retraite, interposaient des enfants pour freiner la progression des alliés […] Le palmarès du carnage des enfants dans le monde, aujourd’hui, revient encore à la défense des valeurs traditionnelles. C’est pour défendre une nation, une religion, un chef, ou une conception de l’économie, que, ces dix dernières années, deux millions d’enfants de moins de dix ans ont été tués, cinq millions sont infirmes, un million cessent de vivre à l’intérieur de murs appelés ‘orphelinats’, six à dix millions d’enfants soldats participent aux combats récents dans vingt cinq pays, et douze millions de réfugiés sans famille, sans pays, sans école et sans métier, se préparent une vie sans racine et sans espoir. Sans compter les moins de quinze ans qui travaillent à mort pour une industrie traditionnelle ou pour le tourisme sexuel, plus difficile à chiffrer [P59-61]
  • Il faut quinze à vingt mois pour que le développement de son cerveau [un enfant] lui permette de rencontrer un alentour structuré par le langage [P79]
  • L’enfant est couché à plat ventre sur les genoux de la congaï familière qui dispose sa main en creux pour ne pas faire mal à l’enfant. Elle tape au niveau des fossettes sus-fessières, assez fort pour que l’enfant ne puisse s’intéresser à rien d’autre, avec un rythme parfait, pour que le petit, captivé par ce métronome, attende le coup suivant. En moins d’une minute, il s’endort. Mais l’acculturation des gestes est si précoce que, lorsqu’une mère Européenne veut utiliser ce procédé, l’enfant se retourne, indigné et proteste parce que, pour lui, les coups d’une mère occidentale signifient une fessée, alors que de la part d’une congaï, ils annoncent un rituel d’endormissement [P94]
  • [Suite à un jeu] Il [L’enfant] pré-pense : ‘le visage que je perçois correspond à l’image que je prévoyais. Le réel confirme ce que j’espérais. Le plaisir vient de la satisfaction de ma représentation’ [P96]
  • Hypothèse [...] : Nous sommes tous nés d’une autre et c’est dans son monde que nous avons du apprendre à vivre. Notre mémoire est gravée par une empreinte fondamentale : quelqu’un d’autre sait mieux que nous ! Ce qui conduit à l’idée :  plus nous sommes doués pour l’altérité, plus nous désirons la soumission [P104]
  • Il n’y a pas longtemps, en France, de nombreux médecins affirmaient qu’il fallait laisser pleurer les bébés pour ne pas les rendre capricieux. Cette prescription comportementale s’enracinait dans un préjugé et non pas dans une réflexion clinique ou expérimentale [...] on sait aujourd’hui qu’une absence de rescousse crée un manque sensoriel qui provoque une agitation anxieuse. Mais on comprend aussi qu’une rescousse trop systématiquement rapide empêche le nourrisson d’inventer l’objet transitionnel, le nounours ou le chiffon symbolique (le doudou)qui lui permet de devenir acteur de son développement [P122]
  • C’est probablement la synchronisation des sexes parentaux qui crée le champ sensoriel qui façonne l’enfant : une mère sous le regard de son mari vocalise moins en direction de son bébé. Et un père sous le regard de sa femme chahute moins son nourrisson [P167]

Sur les hommes et les animaux :

  • Il semble que cette classification [la classification animale] a pour enjeu psychologique de réparer la honte de nos origines, comme s’il fallait à tous prix que nous appartenions à l’espèce élue et que nous n’ayons rien à partager avec ces êtres à poils, à pattes et sans langage [...] Nous devons certainement renoncer à la métaphore de la coupure, du fossé entre l’homme et l’animal qui nous oblige à choisir entre celui qui parle et celui qui ne parle pas, celui qui a une âme et celui qui n’en possède pas, celui qu’on peut baptiser et celui qu’on peut cuisiner. A cette métaphore tragique, qui a permis l’esclavage et l’extermination de peuples entiers, a succédé l’avatar de la hiérarchie, où l’homme au sommet de l’échelle du vivant se permet de détruire, de manger ou d’exclure de la planète les autres terriens, animaux et humains, dont la présence l’indispose [P19-20]
  • Son cerveau [L’homme], en devenant moins olfactif et plus visuel, a pu traiter des informations de plus en plus éloignées [P64]
  • Alors on apprend que les lamproies, qui ressemblent à des anguilles, sont déjà capables d’associer des cellules néocorticales avec des cellules archaïques et parviennent à traiter des informations absentes pour résoudre les problèmes… de Lamproie. A l’inverse, les espèces évoluées gardent en elle de nombreux fonctionnements archaïques, comme l’homme qui peut à la fois lire Proust et se laisser influencer par une substance qui modifie son humeur [P77]
  • Les singes agressifs lobotomisés se calmaient dans l’instant même où le scalpel coupait la substance blanche sous le scalpel […] Tous les praticiens ont eu l’occasion d’observer des lobotomisés qui, après un accident de la route ou du travail, se sont transformés en légumes […] Mais les praticiens racontent aussi leur stupéfaction en découvrant parfois, au décours d’un scanner, un énorme trou à la place des lobes frontaux, alors que le sujet effectue les mêmes performances qu’avant. Il est même arrivé qu’on observe une amélioration apparente [P79-80] L’homme lobotomisé demeure immobile, alors qu’il a tout pour marcher. Il n’enchaine pas deux mots, alors qu’il a tout pour parler. Il vit assis, immuable, sans passé, sans projet, sans angoisse, sans ennui, et pourtant personne ne parle de bonheur. La clinique des lobotomies nous conduit à un douloureux paradoxe de la condition humaine : sans angoisse et sans souffrance, l’existence perdrait son goût […] L’angoisse nous contraint à la créativité, et la culpabilité nous invite au respect. Sans angoisse, nous passerions notre vie couchés. Et sans culpabilité, nous resterions soumis à nos pulsions [P81-83]
  • Les animaux produisent certainement de la pensée perceptuelle puisqu’ils savent faire un détour pour s’approcher d’un objet convoité […] ‘penser est une attitude mentale suspensive, prospective ou rétroprospective adoptée par un sujet, pouvant varier de la conscience la plus aigüe au rêve’ [P84-85]
  • Les chats miaulent peu entre-eux et ne ronronnent pas. En revanche, c’est ainsi qu’ils s’adressent aux hommes car ils ont compris que l’articulation sonore est, entre nous, un canal de communication privilégié [P110].

Sur la notion de plaisir :

  • Tant qu’un plaisir n’est pas satisfait, le manque les exaspère. Seul l’aboutissement pourra créer un apaisement, qui n’est pas une euphorie. Cela explique que tant de personnes qui ont poursuivi un rêve pendant des années s’étonnent d’éprouver, le jour où il se réalise, un sentiment de calme alors qu’elles attendaient une explosion de joie [P192]
  • Les médiateurs chimiques du plaisir sont nombreux : noradrénaline, cocaïne, amphétamines et dopamine, substances extérieures ingérées qui leurrent l’hypothalamus et déclenchent un plaisir artificiel, authentiquement éprouvé. Aujourd’hui, les peptides opiacés, les endorphines sont considérés comme les molécules de la jouissance [...] La phylogenèse des cerveaux nous laisse penser que l’évolution a mis en place des structures nerveuses capables de faire vivre l’organisme dans un monde de moins en moins perçu [P197]
  • L’évolution [...] a mis en place dans tout organisme une étonnante proximité entre le plaisir et la douleur. Les lieux du système nerveux où sont traitées les sensations du plaisir sont les structures mêmes qui contrôlent les voies de la douleur : la substance grise périaqueducale au centre de la moelle et les lames superficielles des cornes postérieures en périphérie; dans le cerveau, le thalamus, gare de triage des informations, et le système limbique, cerveau des émotions et des évènements passés [P201]
  • L’activation du système du plaisir entraine une sécrétion de phénylalanine qui augmente la synthèse de noradrénaline (neuromédiateur de l’éveil cérébral) et d’endorphines (morphines sécrétées par le cerveau). Mais, au dessus d’un certain seuil, ces substances stimulent le locus coeruleus qui en réponse, sécrète une substance facilitant la douleur physique et même morale  [P202]
  • Les circuits neurologiques traite le problème de la même façon : Les molécules du malheur les plus connues actuellement sont le lactate de soude dont l’injection déclenche une panique anxieuse, éprouvée jusque dans la douleur physique; certaines cortisones qui provoquent des rages incontrôlables; les bêta-bloquants centraux et certains antihypertenseurs qui provoquent parfois de belles dépressions [...] la stimulation excessive de la bandelette longitudinale inférieure stimule le faisceau latéral du thalamus, ce qui freine la sensation agréable. Et quand elle n’est pas bloquée, le plaisir mène à la souffrance ! L’orgasme douloureux en est l’illustration la plus claire. Mais le rire qui provoque une crise d’asthme ou le supporter de football qui éprouve une bouffée d’angoisse chaque fois que son équipe marque un but en sont d’autres illustrations [P203]
  • La passion est un leurre sentimental, une exaltation induite par une représentation, alors que l’orgasme est un leurre de sensation, un plaisir totalitaire provoqué par un super-signal, proche de la drogue [P207]

Sur les rêves :

  • Le sommeil paradoxal, récipient biologique à rêves, amorce un début de monde interne. L’organisme qui sécrète ce sommeil rapide garde en lui la mémoire de l’espèce et y ajoute celle de l’individu [P218]
  • Les poissons, les batraciens et les reptiles ne rêvent pas [...] Le sommeil à rêves apparait chez les oiseaux dont la température reste stable, et chez qui le néocortex commence à associer des informations éparses dans le temps et dans l’espace [...] Un chat fabrique 200 minutes par 24H de sommeil paradoxal, par fragments peu associateurs de 6 minutes. Alors que l’homme ne sécrète que 100 minutes mais par séquences de 20 minutes beaucoup plus associatives. Or les espèces à fort taux de sommeil paradoxal sont aussi les plus joueuses [P219]
  • Plus on vieillit, et moins on rêve (= la part du sommeil paradoxal décroit) : mais c’est peut-être tout simplement lié à l’apprentissage – on parle bien de jeu et le jeu est un mécanisme d’apprentissage par excellence. Cela est donc peut-être vrai statistiquement, mais ce n’est peut-être qu’une conséquence indirecte liée au fait que de nombreuses personnes âgées apprennent de moins en moins de choses en vieillissant, préférant le confort et la sécurité d’un environnement stable.
  • Ce qui se met en images et en émotions dans le monde interne de l’homme endormi, ce sont les grands thèmes permis par son programme génétique, et l’accomplissement de souhaits non conscients [P122]Encore une fois nous touchons à la notion de libre arbitre – ceci est bien mis en évidence par le travail de Jung sur le processus d’individuation.

En vrac :

  • [En parlant de la conscience et de l'impossibilité de l'existence d'une âme hors du corps :] Chaque niveau du vivant ne peut se construire qu’à partir du précurseur, où chaque étage de la construction diffère du précédent et s’appuie pourtant sur lui [P10]
  • L’analyse du monde l’analyse. Nous croyons le maîtriser, alors que nous donnons forme, simplement, à la représentation qu’on s’en fait [P19]
  • L’aliment nous offre une activité de prédilection pour fabriquer du social et de l’humanisation […] Tout se passe comme si les premiers chasseurs disaient : ‘la mort des autres nous donne vie’. Tuer devient alors un évènement, peut-être fondateur, de l’humanité […] Quand la mort a été donnée, j’imagine que les hommes préhistoriques ont éprouvé un intense sentiment de puissance, car l’animal tué témoignait de leur domination sur la nature et de la maitrise de la vie […] Dès le début de l’aventure humaine, la signification de la viande devenait fondamentale et même fondatrice, puisque pour chasser, il fallait organiser le social et inventer les artifices linguistiques et techniques […] La mise à mort est ritualisée, au sens animal du terme, car les gestes sont ordonnées, mais non historisés. Le groupe se coordonne et ne tue pas le gibier n’importe comment. Il l’éventre d’abord et finit par la tête en se répartissant les quartiers de viande […] Lorsqu’un animal souffre d’un trouble de conduite alimentaire, il faut chercher la cause dans son développement ou son contexte émotionnel. Mais, quand les comportements alimentaires d’un homme sont altérés, c’est dans la représentation qu’il se fait de l’aliment qu’il faut chercher la source [P52-55]
  • Les personnalités frontales nous font comprendre qu’un homme ne peut vivre sa condition humaine que lorsqu’il parvient à se libérer du présent [P81]
  • De tous les organismes, l’être humain est probablement le plus doué pour la communication poreuse (physique, sensorielle et verbale), qui structure le vide entre deux partenaires et constitue la biologie du liant [P90]
  • Le toucher est facile à utiliser. Il provoque une émotion si forte que le code du toucher est rigoureux : on ne peut pas toucher l’autre en n’importe quel endroit de son corps. La moindre déviation est intensément perçue et aussitôt décodée selon les normes culturelles [P94]
  • L‘odeur d’œuf pourri (Sulfure d’hydrogène, SH²) n’est pas une odeur que nous trouvons mauvaise de façon innée : c’est culturellement que nous apprenons qu’elle est mauvaise.
  • C’est la pensée collective qui crée ce qu’elle observe [P125]
  • Ce qui crée le sentiment de soi, c’est essentiellement la manière dont nos souvenirs construisent notre identité [P211]
  • Le mensonge est un triomphe de l’esprit [P231]. Il faut entendre ici, contextuellement, le mensonge comme notre capacité à nous mentir et à nous bercer d’illusions.
  • Jean Piat apprend à ses élèves que, si l’on dit « sortez, Monsieur » en désignant ensuite la porte, l’interprète se contente de fournir une succession d’informations. Mais s’il désigne silencieusement la porte, puis prononce la sentence, ses gestes soulignent les mots et augmentent leur puissance évocatrice [P235].
  • Les intellectuels ignorent à quel point un savoir non partagé se transforme en humiliation pour ceux qui n’y ont pas accès [... ce qui explique que] tant d’individus et de groupes culturels haïssent l’intelligence. [P255]

Thèmes connexes (non extraits du livre, mais abordés cependant):

  • Experimentum mirabile de imaginatione gallinae : 1646. Kircher lie ensemble les pattes d’une poule et la dépose sur le sol, couchée sur le flanc. L’oiseau fait quelques efforts pour se libérer, puis se calme. Un long trait rectiligne est alors dessiné à la craie sur le sol, en partant du bec de l’oiseau et on défait ensuite le lien qui enserrait les pattes. Quoique potentiellement libre, la poule ne fait aucun geste et conserve l’immobilité pendant de longues minutes. Kircher interprétait le phénomène en donnant au trait de craie une importance majeure. Selon lui, l’imagination de l’oiseau lui faisait confondre le trait de craie avec le lien qui l’entravait : il ne réagissait donc plus à l’enlèvement de celui-ci.  En fait, cette expérience doit avoir frappé plus encore l’imagination humaine que celle des gallinacés car le trait de craie, qui lui a valu sa renommée, n’est en rien nécessaire. Et cependant, nombreuses sont les personnes qui pensent encore de nos jours que les poules peuvent être immobilisées par le seul effet de la fascination exercée par un trait de craie tiré sous leurs yeux. En réalité, il suffit de retourner l’animal sur le dos et de le maintenir de force dans cette position jusqu’à ce qu’il se calme, pour qu’il conserve cette attitude imposée après que l’on aura plus ou moins progressivement relâché la contrainte exercée. Il n’est besoin ni de lien, ni de trait de craie. Celui-ci a peut-être le pouvoir de prolonger l’immobilisation mais il est mieux établi que c’est le regard de l’expérimentateur qui possède surtout ce pouvoir.

En conclusion

J’ai trouvé la lecture de ce livre très intéressante : elle met des mots sur des observations que nous réalisons au quotidien mais dont nous n’analysons pas forcément les tenants, ni les aboutissants. Je ne suis pas toujours d’accord avec ce qui est présenté comme des vérités. Ce ne sont que des supports de réflexions et l’auteur a souvent tendance à les présenter comme « allant de soi ». Il y a des raisonnements trop rapides et simplistes (l’histoire des chiens de race et des ouvriers par exemple), mais ils ne sont pas majoritaires. Si vous vous intéressez à la psychologie ou à la sociologie, ou si vous êtes tout simplement curieux sur l’idée du libre arbitre, je vous conseille fortement la lecture de cet ouvrage – dans tous les cas, Cyrulnik est un brillant analyste qui passe des thèmes, souvent complexes, à la moulinette de la vulgarisation avec un talent qui lui est propre. Je finirai par une citation de l’auteur [P279] : « L’homme est le seul animal capable d’échapper à la condition animale » que je rapprocherais de celle de R. Ettinger : « Il est dans la nature de l’homme d’aller à l’encontre de la nature ».


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