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Anthologie permanente : Jean-Christophe Bailly

Par Florence Trocmé

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donc une ligne droite 
sculptée dans du bois d’angles 
me plaisait davantage qu’une 
volute creusée dans une arête 
ce qui revient à dire :  
un poème one poem 
 

qui s’écrirait tout le temps 
y compris, c’est connu, dans les nœuds du sommeil 
ce rêve-là 
d’une suite sans fin, fugue 
le O de la surprise ouvert et aplati, devenant ligne 
errante – ou orbite 
station à n dimensions 
toile d’araignée constructiviste dans la tour 
je n’ai pas vu la maison de Dylan Thomas 
au bord de la mer 
l’appentis qu’il avait à Laugharne 
– pourquoi ce bois lacté de poètes de langue anglaise ? 
moi qui viens d’Allemagne en Saône 
– à cause de la mer je te dis 
oui – ils l’ont tous au cœur, leur langue a toujours 
assez près d’elle un goût d’écume, celui 
que Conrad buvait avec une paille – 
peut-être, mais me tient la coulée, l’en allé 
de fleuves doux, pleins de saules 
et la Loire que je vois chaque semaine 
sous le nouveau pont de Blois 
roulant une lumière qui se creuse 
Goethe a écrit dans un poème singulier 
« Amérique ton sort est meilleur 
(...)tu n’es pas troublé(…) par d’inutiles souvenirs » 
et ce qu’il visait là, lui, si ancien, si porté au drapé 
chacun le sait maintenant 
dans la vieille Europe 
mais ce sort, nous ne pouvons pas l’envier 
plongés comme nous le sommes 
dans ce qui nous sauve 
soit cette pente où l’évasion 
(le coup de dés) 
inscrit sa loterie – et telle est ma tour 
que je reprends, mais pour produire un écart 
en la plantant ici 
au droit de la feuille blanche 
telle celle, dorée, d’une célèbre bouteille de vin 
trop chère pour pouvoir être bue 
et surmontée d’un lion mal fichu, à tête humaine 
Château !  
 
 
revenait donc de l’ancien temps 
la nouveauté 
assise sur un char fleuri de comice agricole 
tiré par un tracteur sous les tilleuls 
dans quelque coin d’enfance 
- vomi rose de ma sœur qui m’effraya 
ayant bu trop de limonade 
- mon cher Goethe les inutiles souvenirs 
en Amérique aussi ils les ont maintenant 
tout revient l’appui de la montagne s’évapore 
la traîne du ciel est identique 
sur le maïs où elle se pose 
 
Jean-Christophe Bailly, Basse continue, Seuil, 2000, p. 40 à 42 (Voir cette photo, mise en page de la dernière page du poème, avec reproduction de la tour) 
Jean-Christophe Bailly dans Poezibao : 
Bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, notes sur la création 
 
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