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Où sont les femmes ? (”De la maison des morts”, opéra de Janacek, créé en 1930)

Par Jazzthierry

Patrice Chéreau rappelle ici en anglais, cette citation de Dostoïevski que Janacek avait recopié sur la page-titre de sa partition: “Dans chaque créature, une étincelle divine”. Autrement dit, il ne faut jamais oublié que tous ces criminels que nous voyons ici, sont encore des êtres humains en dépit des actes atroces ou non qu’ils ont pu commettre. C’est évidemment un message de pardon et de compassion à leur égard qui devrait suffire à condamner la peine de mort. Au vrai, Chéreau va plus loin car pour lui, l’Opéra de Janacek - merveilleuse adaptation du roman de Dostoïevski , “Souvenirs de la maison des mort” publié sous forme de feuilleton entre 1860 et 1862 - n’est pas seulement le récit de la vie quotidienne de prisonniers en Sibérie (vie que l’écrivain russe connaissait bien puisqu’il fit un séjour de quatre ans au bagne d’Omsk à partir de 1850 pour avoir fréquenté de trop près un cercle révolutionnaire) mais en réalité un portrait saisissant du genre humain, de toute la société humaine avec ses mensonges, ses désirs, ses aspirations à la liberté, ses mesquineries, ses envies de jeu, de théâtre, etc. D’où peut-être la présence importante des choeurs, symbole de cette collectivité. Reste que cette humanité qui chante d’une même voix, est partiellement représentée sur scène puisque les femmes y sont tout de même largement exclues…

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Alors on m’objectera évidemment que cet opéra très masculin trouve sa justification dans le lieu même de l’action - une prison - et qu’en outre, une femme apparaît au deuxième acte. Cela est vrai, même s’il s’agit d’une prostituée qui dans la mise-en-scène de Patrice Chéreau ouvre à peine la bouche… C’est curieux quand on sait la place habituelle des femmes dans les opéras de Janacek (goût qu’il partageait avec le Richard Strauss de Salome ou d’Electre). Qu’on se souvienne par exemple, du destin tragique de “Jenufa”, ou bien de “Katya Kabanova”. Ici, point de femmes ? En réalité il serait plus juste de nuancer car on se rend compte, à écouter les monologues des hommes, qu’elles occupent constamment les esprits. C’est Skouratov racontant difficilement - il est sans arrêt interrompu par un homme criant aux mensonges - la manière dont il tua l’homme que sa fiancée Louise avait été forcée d’épouser (passage non dépourvu d’antisémitisme puisqu’il insiste sur son nez crochu…). C’est Chichkov narrant lui aussi péniblement (non seulement parce que cette histoire l’afflige mais aussi à cause de la présence d’un homme qui cette fois souhaiterait qu’il aille plus vite !) l’histoire d’Akoulka, femme qu’il épousa lorsque son père crut indument qu’elle avait été déshonnorée par Filka Morosov. Chichkov tua son épouse quand il découvrit qu’elle aimait toujours Morosov… Au surplus, non seulement les femmes occupent les esprits des personnages, mais on peut dire également celui de Janacek lui-même. On sait en effet, que le célèbre compositeur fut dans les dix dernières années de sa vie véritablement amoureux d’une femme qui lui inspira d’ailleurs la totalité de ses chefs-d’oeuvre. Elle s’appelait Kamila Stösslova (voir photo). John Tyrrell dans la présentation qu’il rédige en 1991 pour DECCA, explique que celle-ci est doublement incarnée sur scène à la fois par une femme et, plus surprenant, par un homme: “dans les lettres qu’il lui écrivit, (Janacek) laissa entendre qu’elle était à la fois l’Akoulka du récit de Chichkov (…), et Alieia, le jeune prisonnier tartare.” Et John Tyrrell de conclure: “la présence de Kamila en Alieia explique la chaleur lyrique des conversations entre Alieia et Goriantchikov.” On comprend mieux dès lors, la grande fragilité et la douceur du personnage “masculin” d’Alieia…


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