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The Echo Maker / [Chambre d'échos]

Par Thomz
Avec un an de retard, puisqu'il recevait le National Book Award en 2006, voilà un petit quelque chose sur The Echo Maker de Richard Powers.

noun (pl. echoes) 1 a sound caused by the reflection of sound waves from a surface back to the listener. 2 a reflected radio or radar beam. 3 something suggestive of or parallel to something else.

Le récit est fait d’échos, de réverbérations, de retours….

Karin Schluter est réveillée en pleine nuit par un coup de téléphone qui lui apprend que son frère vient d’avoir un grave accident aux circonstances difficiles à élucider. Pour le rejoindre, elle doit retourner sur les lieux de son enfance, faisant ressurgir un passé qu’elle avait fait œuvre d’oblitérer. Les personnes qu’elle rencontrera à Kearney, Nebraska, sont autant d’échos d’une vie passée dont seul son frère, émergeait. Toutes les personnes re-rencontrées à l’occasion de ce retour ont été changées par le passage du temps, ne sont plus que des réverbérations lointaines des personnes qu’a pu côtoyer Karin. Comme tout son qui revient, il est déformé et d’une certaine manière amplifié, il nous donne à voir notre propre étrangeté ; on ne le reconnaît presque pas, même si de prime abord il est manifestement la répétition de quelque chose que nous avons pensé, puis dit, puis hurlé. Ce son, ce passé pour le cas présent, vient heurter Karin comme quelque chose d’étranger à elle, mais qui pourtant ne peut être autrement que très familier, trop familier.

Son frère Mark, après de nombreuses opérations chirurgicales, peut espérer s’en sortir. Mais à son réveil, il ne reconnaît pas Karin, ne voit pas en elle sa sœur. Il voit en elle un écho de sa sœur, une répétition un duplicata qui pourrait être fidèle, très fidèle à l’originale, mais dont il ressent qu’elle n’est pas la même.

Karin est en effet un écho. Elle l’aurait été sans les troubles de son frère pour la reconnaître. C’est au moment où ils retournent sur les lieux de leur enfance, dans une vieille ferme abandonnée, clôturée d’un « No Trespassing » (oh combien symbolique ! ) que tout commence à se transformer, que l’écho s’atténue pour que l’on commence à reconstituer le fil des évènements passés, débarrassés de tout parasite.

Que penser de Gerald Weber, sûrement le personnage le plus intriguant, à mon goût ? Neurologue de grande renommée, grand écrivain scientifique, heureux en couple, délectant ses divers auditoires d’anecdotes et de récits extraordinaires sur les manifestations étranges du cerveau humain. Pourtant, après sa rencontre avec Mark, après le diagnostic définitif énoncé après quelques entretiens avec son patient (le fameux syndrome de Capgras), on sent le malaise poindre, malaise qui trouvera un premier point d’orgue au moment de son premier retour à New York. On lui découvre de fines fissures.

Par l’intermédiaire de Mark, qui est en quelque sorte le « faiseur d’échos » (les dernières pages du livre me confortent dans cette idée, mais je pourrais avoir tout faux), celui par qui tout transite, et qui renvoie à chacune des personnes qu’il rencontre une image déformée d’elles-mêmes.

Cette déformation apportant,dans une démarche proprement heuristique, la Vérité.

Tous les personnages qu’il a croisés après son accident sont transformés, voire transfigurés (Karin ? Weber ?) d’une manière ou d’une autre par lui, par l’image d’eux-mêmes qu’il leur renvoie. Dans le cas de Weber, Mark lui renvoi l’image d’unmédecin sûr de lui, qui pourra sans aucun doute le « sauver » (mais y a –t-il seulement quelque chose à sauver), lui le grand psychiatre et le grand scientifique. C’est cette image qui fait basculer Weber.

La propriété première de l’Echo, c’est le doute. L’on assiste alors à la lente érosion psychologique du scientifique, qui en vient à douter de sa Raison, des fondements de sa conscience même, qui se rend petit à petit compte qu’il n’a fait que décrire des faits, mais ne les a jamais compris. Embué de ses certitudes, il n’a jamais essayé de véritablement comprendre ce qui arrivait à ses patients, dont il ne reste pour lui que quelques anecdotes à glisser dans ses leçons et dans ses livres. De sa carrière, il ne reste rien à part des noms, des faits, des dates. Ce changement qui s’opère en Weber, sous l’impulsion en filigrane de Mark, se perçoit le plus manifestement dans la remise en cause de son mariage, de l’élément de plus stable de son existence ; le tout suite à une impulsion folle, dans laquelle sa conscience, sa raison, n’ont eu aucune décision à prendre.

Toute la structure du récit transpire de cette idée de retour et d’échos, par la distribution des voix d’une part, et en surimpression le vol des grues. Vol migratoire, un aller et retour. L’action du roman se déroule sur une année entière, le temps d’un cycle complet.

The Echo Maker est une grandiose réflexion sur l’identité, prise comme la correspondance permanente de soi à soi. Sur la conscience de ne jamais savoir ce que l’on est, ce que l’on pourra devenir. La narration alterne les épreuves de soudaineté, comme ce coup de téléphone qui vient réveiller Karin, changeant irrémédiablement le cours de sa vie. En bien. En mal. La question n’est pas là.

Le récit tourne autour de Mark bien entendu, point focal de toutes les attentions, trou noir des consciences, miroir déformant, ou pour être plus juste, miroir « révélateur » (je sais l’expression est horrible). Il agit par ricochet sur tous ceux qu’il croise, les faisant douter d’eux même, se perdre, pour enfin tenter de retrouver ce qui faisait leur essence. Leur vie même. Ce n’est pas tant la « révélation finale » propre à l’intrigue même du roman, intrigue qui voit Mark rechercher les causes de son accident, qui importe dans le roman. Ce n’est pas le résultat de la quête qui importe, mais seulement la quête. Ultime retour sur les lieux de l’accident, où tout se met en place. Où tout retrouve une place. Où l’écho enfin s’atténue pour laisser l’homme seul, face au vide.

(J’ai l’impression d’en avoir beaucoup trop dit et à la fois pas assez sur ce roman. J’espère ne pas avoir trop défloré les tenants et aboutissants, le plus important restant sans conteste le texte lui-même. Mais j’ai l’impression qu’on ne peut par véritablement aborder le roman, si l’on en explore pas ce qui en fait la première richesse. Sans cela, on se contente d’énoncer des banalités. La quatrième de couverture de l’édition paperback américaine s’en chargera à ma place.

J’ai conscience du manque de style total de l’ensemble. Mais ce que je viens d’écrire ne m’a heurté que vers la fin de la lecture du roman, c'est-à-dire dans les trois derniers jours. Afin de ne pas oublier, il me fallait jeter tout cela plutôt que de le faire attendre)

Ca sort en France au printemps, chez Lot49, et c’est surtout à lire.


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