Ce qui va très bien à un asile, d’ailleurs : magie, après tout, rime bien avec folie…
Le milieu des années 80 vit un succès inattendu du personnage de
Batman. Presque cinquantenaire à l’époque, il ne brillait pas particulièrement parmi ses pairs hormis par son ancienneté qui lui garantissait une certaine popularité, mais le travail de
Frank Miller sur
Batman: The Dark Knight Returns (1986) lui donna une stature aussi unique qu’innovante : avec son protagoniste principal sombre, tourmenté et violent dans un futur proche à l’agonie, cette œuvre démontait surtout le genre super héros à travers une critique acerbe de l’Amérique de
Reagan (1911-2004) ; depuis, cette représentation du personnage de
Batman est devenue le standard dont s’inspirent les principaux auteurs qui reprennent le personnage.
Mais aussi, en tant que succès à la fois public et critique,
Dark Knight devint la principale raison derrière l’intérêt de
Hollywood pour la licence : voilà comment le
Batman (1989) de
Tim Burton vit le jour et engendra la série de films qui se poursuit encore de nos jours, avec plus ou moins de bonheur. Mais
DC Comics se montrant bien sûr désireux de rentabiliser sa propre licence du personnage, cette réalisation s’accompagna aussi de plusieurs autres créations sur le média original de
Batman, soit la narration graphique. Voilà comment on vit arriver en assez peu de temps un nombre conséquent de titres à l’intérêt pour le moins variable…
L’Asile d’Arkham, aussi connu en France sous le titre
Les Fous d’Arkham, compte parmi ceux-là.
Cette œuvre nous intéresse surtout pour ses graphismes hors norme car, en dépit de ses qualités narratives certaines, son scénario ne parvient hélas pas à se détacher vraiment de l’influence de
Dark Knight – pour la relation malsaine qui unit
Batman au
Joker – ou, peut-être plus inattendue, de
Watchmen (
Alan Moore &
Dave Gibbons ; 1986) – pour des éléments tels que le
test de Rorschach – ; quant à la folie de
Batman, qui sert de thème sous-jacent à ce récit, elle avait à l’époque déjà été démontrée dans le récit court
The Killing Joke (
Alan Moore &
Brian Bolland ; 1988) et ne présentait donc rien de nouveau – sans oublier que se déguiser d’un costume de collants pour partir tabasser les criminels est le signe évident d’un trouble mental…
Pourtant, cette partie graphique ne présente pas autant d’innovations que ce que l’avancent certains commentateurs. Ceux-là, en effet, donnent l’assez nette impression d’oublier le remarquable travail de
Bill Sienkiewicz, et notamment sur le récit court
Elektra (1986) dont il illustra le scénario écrit par
Frank Miller – encore lui. La différence principale tient dans ce que
Sienkiewicz ne recourait presque pas du tout à la photographie comme élément de départ, au contraire de
Dave McKean dans
L’Asile d’Arkham d’abord puis dans l’ensemble de son travail. Pour le reste, on trouve chez l’un comme chez l’autre des techniques plus liées aux
arts plastiques qu’au dessin proprement dit : c’est en fait l’expérimentation qui caractérise leur œuvre.
Pour cette raison, ne vous attendez pas à trouver ici quel que réalisme que ce soit, car tout y est une question de ressenti induit par des images ; or, les limites du réalisme à cet effet restent bien connues. Voilà comment de pures émotions exsudent de toutes ces photos, ces collages, ces crayonnés, ces peintures,… Mais aussi de leurs découpages, leurs juxtapositions, leurs chevauchements,…
McKean joue avec les techniques et les styles pour illustrer la dégénérescence de la folie et la démesure toute gothique de l’asile d’Arkham, à travers des clairs-obscurs et des perspectives accentuées, des proportions faussées et des poses exagérées, des cadrages serrés et des effets de flou…
Et de cet attachement affectif que déclenchent ces images chez le lecteur se dégagent des impressions, des interprétations, des idées parfois : voilà pourquoi on trouve aisément dans L’Asile d’Arkham ce qui ne s’y trouve pas. C’est la force des images et de ce qu’elles peuvent suggérer – ou alors, on veut simplement donner du sens à ce qu’on aime…
Ce qui, dans ce cas précis, s’avère assez improductif : cette œuvre, en réalité, reste plutôt vide. Du moins sur le plan des idées, car sur celui du graphisme, par contre, c’est une expérience inoubliable.
Adaptations :
L’épisode « Procès » de la série TV animée Batman (Bruce Timm & Eric Radomski ; 1992) reprend des éléments de L’Asile d’Arkham.
Le jeu vidéo Batman: Arkham Asylum (Rocksteady Studios ; 2009) présente une trame comparable.
L’Asile d’Arkham (Batman – Arkham Asylum), G. Morrison & D. McKean, 1989
Panini Comics, collection Dc Icons, juin 2010
144 pages, env. 18 €, ISBN : 978-2-8094-1344-1
- la fiche de l’album sur le site de Panini Comics
- d’autres avis : Scifi-Universe, Silence je blog, Science-Fiction Magazine