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Musiques de ma vie (4) : portrait du jeune homme en artiste

Publié le 26 mai 2011 par Mackie

afdportait.jpg Je vous dois un aveu : je n'aime pas la chanson française. J'ai toujours eu du mal avec la qualité française. Non, pas le label qui nous a valu les quotas sur les chaînes de radio, ça fait longtemps que je nes écoute plus. Je parle de cette tendance à privilégier le texte par rapport à la musique, le fond à la forme, le message à la mélodie. Ce qui fait que n'importe quel grattouilleur de guitare peut s'improviser artiste, du moment qu'il pense avoir des trucs à dire. Oui, il y a bien eu des Brassens ou des Ferré, chez qui le poète prend le pas avec génie sur le musicien, mais ils sont l'exception. Le problème de la "Chansâon Françâèse" est sa prétention à dire des choses intelligentes l'air inspiré, vachement concerné, et à délivrer des messages universels au monde entier, "pass'que tu'ois, la musique est un cri qui vient de l'intérieur". Surtout si tu as abusé du chili con carne.

Face à tant de lourdeur, je me suis très tôt intéressé à la pop anglo-saxonne, au jazz et à la musique classique. Au moins, chez les Beatles, Miles Davis ou Beethoven, je trouve ma dose quotidienne nécessaire de musique. Je sais, je suis de mauvaise foi. Nous avons quand même eu Nougaro, Gainsbourg, Bashung, Polnareff, pour qui ciseler les mots n'avait de sens qu'en leur accordant un bel écrin mélodique. Et justement, lorsqu'en 2003 un parfait inconnu, Arnaud Fleurent-Didier, sort ce disque intriguant, Portrait du jeune homme en artiste (clin d'oeil au Portrait de l'artiste en jeune homme, de Joyce), la critique ne sait quoi dire, et se retrouve justement à invoquer Gainsbourg et Polnareff, parce qu'il faut bien situer l'ovni entre des références connues.

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Et heureusement, le jeune homme est malin, il prévoit l'incompréhension et même l'insuccès, lui qui dans ses chansons se rêve "en couverture des inrocks", haha, et dont le "disque dort sur l'étagère et ne se vend pas", "malgré les prix verts". Ne lisant plus les Inrocks depuis belle lurette, je ne me souviens plus comment l'objet a atterri dans ma platine, mais depuis, il ne s'en est jamais beaucoup éloigné. Parce que Portrait du jeune homme en artiste est un de ces rares disques dont la qualité tient autant dans les arrangements, somptueux, et dans les mélodies, inventives, que dans la qualité d'écriture, rare, et dans la sincérité et la lucidité de l'autoportrait.

Nombriliste, car entièrement écrit à la première personne, mais universel, car abordant des thèmes rarement aussi bien énoncés, et même rarement énoncés tout court : l'incompréhension, la frustration, la honte de ne pas réussir, la pression familiale (cf. "Vivre autrement"), le désoeuvrement (cf. "L'emploi du temps", déchirant), la vanité ("Rock critique"), l'échec ("Mon disque dort"). Lu comme ça on s'attend à un disque cafardeux et chiant comme la mort, or au contraire, c'est un miracle : c'est drôle, ça fait mouche, et ça défoule même, tant (pour ma part) je me suis identifié avec quelques-unesde ces sentences assassines ("Si ça m'intéressait? j'avoue qu'j'faisais un peu semblant") , y compris avec l'ironie et le détachement dont il fait preuve d'emblée ("et à tant y penser, j'avoue que j'n'y pense plus maintenant", façon de dire "au fond, aujourd'hui je m'en fous"). Arnaud Fleurent-Didier ose gratter là où ça fait mal, et sans faux altruisme : on se construit tout seul, et l'échec est avant tout un drame intime.

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Mais ce qui fait aussi de  Portrait du jeune homme en artiste un grand disque, c'est la qualité de ses arrangements et de son orchestration. Arnaud Fleurent-Didier est un perfectionniste (il joue de presque tous les instruments), qui fait preuve d'une vraie vision d'ensemble sur la totalité du disque. Aucun titre n'est faible ni moyen, la succession des chansons constitue un tout cohérent, qui raconte une histoire, à la façon des meilleurs albums de Gainsbourg (L'Histoire de Melody Nelson, L'Homme à la tête de chou), donnant même par instants l'impression de composer une musique de film (ça ressemble parfois à du François De Roubaix). Il y a d'ailleurs quelque chosede cinématographique dans la façon de décrire les situations vécues, une mélancolie d'un Paris fantasmé ("L'emploi du Temps", "Le XXIème arrondissement de Paris"), et ce garçon a certainement dû écouter les bandes originales de "Dernier domicile connu" ou du "Samouraï", c'est certain. 

Arnaud Fleurent-Didier  a mis 7 années avant de rebondir avec son album suivant : La reproduction, sorti en 2010. Egalement intéressant et remarquablement écrit, j'ai particulièrement apprécié sa chanson phare, "France culture", dont le clip intriguanta fait le buzz sur youtube avant d'offrir à l'artiste une reconnaissance médiatique dont il n'avait pas bénéficié avec Portrait du jeune homme en artiste. Mais c'est bien à ce premier disque, hors des modes, que je voue une tendresse particulière, et je sais que dans bien des années, j'y reviendrai encore et encore, comme on revoit certains films que l'on connaît par coeur, depuis que l'on est un jeune homme.


Arnaud Fleurent-Didier - Portrait du Jeune Homme en Artiste - (2003)

1. Vivre autrement
2. Les poètes ont quitté Paris 

3. Rock critique
4. Ce que les gens disent de moi
5. Je voterai pour toi
6. Le XXIème arrondissement de Paris

7. Emploi du temps
8. Mon disque dort
9. A l'ombre des jeunes filles en pleurs
10. Retrouvailles sans rendez-vous
11. En vieillissant peut-être ...
12. Portrait du jeune homme en artiste

site web : http://www.arnaudfleurentdidier.com/lareproduction/

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