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Interview exclusive de Fred Cavazza:"le principe de Curation en vogue en ce moment, est un vol de contenu"

Publié le 26 mai 2011 par Darkplanneur @darkplanneur

FredCavazza Darkplanneur a eu l'opportunité de rencontrer mr Frédéric Cavazza l'un des piliers du web français pour une interview sans concession, ne boudez pas votre plaisir: on lit et on prend des notes!

Dans un exercice inédit, Fred Cavazza nous a livrés le fond de sa pensée sur l'état des lieux du web, de la blogosphère française, et de ses perspectives d'avenir, il revient surtout aussi sur la grosse tendance du moment, la CURATION, et c'est peu de dire que son point de vue est plutôt incisif: magnéto serge..

D: Y a t il une guerre entre les consultants et les agences ? 
FC : Non, il n'y a pas plus de guerre entre les consultants et les agences, qu'entre les consultants entre eux ou les agences entres elles. Tout ce que je peux écrire sur médiassociaux.fr c'est pour me valoriser moi et non mes concurrents (qui peuvent etre des consultants ou des agences). Je serais stupide de dire sur mon blog : "j'ai mes idées, mais pour les mettre en oeuvre, mieux vaut s'adosser à un acteur d'une certaine taille, allez voir des agences" C'est completement con, je perdrais mon temps. Pas de Gue-Guerre donc ! A partir du moment où tu as un blog qui te sert à acquérir de la visibilité, de la crédibilité et à recruter des clients, cela m'arrive de m'attaquer à mes concurrents pour mieux vendre mes idées. C'est aussi simple que cela.
D: Est ce que la pratique du Blog vous a rendu cynique ? 
FC : Je suis très cynique sur le statut de blogueur, sur les rapports qu'entretient le blogueur et son lectorat, sur les rapports aux marques, ou aux agences qui le courtisent... Mais le fait de bloguer ne me rend pas plus cynique, non... ça ne me fait pas développer plus de rancœur vis à vis des pratiques de la profession par exemple. Bloguer c'est mon quotidien, 12H par jour, la rancœur se développe d'elle même.  
D: La tarte à la crème des blog ? La pérennité est la ? 
FC : Les interactions sociales ne naissent pas spontanément. C'est impossible, sauf dans votre propre cercle d'amis. Par exemple : "J'ai mon profil Facebook, je suis suivi par ma cousine du Canada, spontanément on va se donner des nouvelles". Cela ne sort pas de la sphère privée. Mais penser que "social"  risque de remplacer le "content", c'est faux.   Les interactions sociales ont un point de départ, une matière première qui est le contenu.  Pas de blogs , pas de conversations. La où Facebook peut faire mal aux blogs, ce serait à cause de cette surconsommation de "trackbacks" (retroliens) et des commentaires mais cela ne tuera pas les blogs. Facebook est en concurrence avec les blogs sur ces deux points, là est la subtile différence. Facebook est une coquille vide, pas de contenu ni d'applications dessus, tout vient de l'extérieur, facebook est un "agrégateur", un "concentrateur" de contenus.
D :Pensez-vous comme mr Lauder que le Blogueur a une réelle influence sur le consommateur ? 
FC : Avant les pigistes exerçaient pour les magazines de mode, maintenant ce sont les blogueurs qui ont une influence relative sur une audience. Cette influence dépend de nombreux critères, comme la fidélité de l'audience par exemple. Comment mesurer cette influence ? c'est compliqué parce que tous les processus cognitifs qui mènent à l'acte d'achat sont difficilement reliables à un blog en particulier. Le pouvoir est partagé ! Il y a 10 ans, les marques se faisaient étranglées par les distributeurs parce qu'il n'y avait aucun moyen de faire autrement. Peut-être que, dans un avenir proche, ce ne sera pas Sephora qui étranglera une marque de Parfum, cela pourrait etre Facebook. Ceci, parce que le site a la part d'attention des internautes et aussi leurs profils ciblables. Les distributeurs, eux, ont perdu le lien à l'internaute et la fiabilité dans leurs outils de ciblage.  Ce n'est pas encore le cas actuellement car il faudrait démontrer la fiabilité des outils de ciblage de Facebook (auxquels je ne crois pas et qui ne fonctionnent pas du tout, quoiqu'on en dise.) Mais oui il est possible de remplacer un intermédiaire par un autre. 
D: Le blogueur n'est donc qu'un nouvel intermédiaire ? 
FC: Oui, il est dans la chaine d'inter-médiation qui relie la marque et les consommateurs, il fait partie des stimulis qui vont pousser un consommateur à acheter. 
D: Que pensez vous de la course des marques pour avoir le plus grand nombre de Fans sur Facebook ? Est ce que Louis Vuitton avec ses 2,5 millions de Fans ne s'inscrit pas dans une forme de non-sens?

 FC: C'est ridicule ! C'est biaisé ! Les marques, Facebook, ou encore les prestataires de jeux-concours (et d'autres) forcent les membres à devenir Fans pour développer des interactions sociales, faire gagner des cadeaux (etc..). 
Le nombre de Fans n'est pas une donnée fiable.  Ce qui doit etre pris en compte c'est la valorisation sociale. "ça me valorise socialement de dire "j'aime Vuitton, BMW, Apple...."  Par contre est ce qu'on aime une marque ? Non, on aime un produit , on l'apprécie, on ne s'estime pas floué après l'avoir acheté. Le consommateur pourrait se dire : "J'estime que je n'ai pas été floué en achetant ma Citroën Picasso parce que je ne l'ai pas payé trop chère et qu'elle me véhicule d'un point A à un point B. Est ce que pour autant je suis Fan ? Non, je l'ai payé après tout ! Et c'est la moindre des choses que pour 15000€  ma voiture me transporte !" 
Un "Like" ne veut rien dire non plus ! L'attachement à un produit ou à une marque évolue dans le temps. Par contre, si le "Like" était directement lié à un mécanisme de vérification qui prouverait que l'internaute possède bien ce produit, alors cela aurait une véritable utilité
D: Y a t il un critère de réussite sur Facebook ? 

FC:Pour qu'il y ait critère de réussite, il faut qu'il y ait des objectifs ! Etre sur Facebook ou sur n'importe quel autre média social, c'est intéressant pour "prendre la température"  ("est ce qu'on a aimé ma marque et mes produits ?").
Cela peut aussi etre intéressant pour avoir un contact direct ("je pose une question, la communauté me répond"), aider des clients stressés ("mon avion est en retard, Air France va m'aider").. Parmi les 3 objectifs que je viens de citer quels peuvent etre les indicateurs de performance ? Je ne sais pas ! Est ce si grave ? Quel est le ROI de la boutique Dior sur la Croisette ? C'est une boutique déficitaire mais, aucune importance puisqu'elle participe à l'image de marque. C'est parce qu'il sont présents sur la Croisette , même s'ils perdent de l'argent, qu'ils en gagnent ailleurs. Peut être qu'au final c'est comme ça qu'on doit aborder les médias sociaux. Investir à perte dans les média sociaux, ajuster son image de marque pour travailler sa relation client qui débouchera sur une vente, ailleurs, sur un autre média. Ce qui est terrible c'est que cette discussion, on l'a eu il y a déjà 10 ans! Lorsque les constructeurs automobiles se demandaient "pourquoi créer un site web puisque les ventes sont faites en concessions ?!" Et bien NON, la decision d'achat est faite sur le site web avec les photos, vidéos, caractéristiques techniques, promotions à concrétiser en concession. Je suis stupéfait parce qu'on "réinvente la roue". Certaines marques se demandent encore "pourquoi investir sur les média sociaux alors que le client achètera sur le site web? " Mais aujourd'hui la décision d'achat se fait en amont,  sur les réseaux sociaux! 
D : Expliquez nous le concept de Gamification..  

FC:Ce qu'on constate aujourd'hui c'est que l'industrie du jeu vidéo est plus forte que celle du cinéma. Les acquis culturels du cinéma ont été exploités par le monde de la communication. Quand on voit Audrey Tautou dans l'Orient Express pour Chanel, on sait que les codes sont hérités du Cinéma. Aujourd'hui on a un média divertissement qui croît :  celui des jeux vidéos. Il est plus intéressant à exploiter que le cinéma parce que les jeux vidéos requièrent plus d'attention et d'engagement. Il est possible de regarder un film et d'écouter de la musique. Par contre c'est beaucoup plus compliqué de jouer à un jeu vidéo et d'écouter de la musique ou parler avec qqun en même temps. A partir du moment où on a un médium qui capte toute l'attention des personnes, cela va forcément intéresser les marques ! Mais, on sait aujourd'hui que c'est complexe de placer un produit dans les jeux vidéo (à l'image du product-placement au cinéma). Si on y arrive pas a faire du placement produit dans les jeux vidéos, est il possible par contre de mettre du jeu vidéo dans les produits ? C'est le cheminement inverse et c'est cela la "Gamification". Jusqu'a présent, les interactions sociales qu'on avait entre une marque et une cible étaient "je te hurle aux oreilles que mon produit est bien et éventuellement, tu me donnes de l'argent pour l'acquérir.". Aujourd'hui il est possible d'intégrer les mécaniques de jeu, le coté fun, pour faire découvrir un produit, pour faire apprécier une marque ou encore pour faire en sorte qu'une cible soit plus longtemps exposée aux contenus de cette marque! Rendre l'acte d'achat plus ludique, cela existe depuis toujours.  Rappelez vous les "points fidélités" !  S'inspirant de ce modèle, pourquoi ne pas développer un système de monnaie virtuelle, par exemple :  'Si à chaque fois que j'achetes un sac Vuitton, je pourrais cumuler des "Vuitton coins", qu'il me serait possible de dépenser pour acheter des Goodies,  ou bien que je pourrais échanger avec mes amis ou même alors qui pourrait être échangé contre des coupons de réduction de la marque" . De nombreuses interactions sociales ont un potentiel de sophistication de relation entre une marque et un client. La "gamification"  n'était pas possible il y a 15ans , dans la mesure où les décideurs ( les directeurs de communication, les DG... ) étaient des personnes de l'ancienne génération.  Ils ne décelaient pas  encore le potentiel des jeux vidéos dans la communication. Aujourd'hui, les postes de direction sont occupés par des personnes qui sont nés avec les jeux vidéos, qui n'ont pas forcement cette barrière générationnelle. Faire du placement produit dans un film coute 10 fois plus que de développer un jeu pour une marque. Même s'il y a 5 fois moins de retour, ça coûte quand même beaucoup moins cher ! Pourquoi ne pas tenter ?
D: Le Game content va t il détruire le brand content
FC:Les 2 peuvent être liés. Je ne les oppose pas ! L'enjeu de la gamification c'est comment mettre en scène les messages à faire passer, l'univers de marque, les leviers de différenciations ou les atouts, dans un jeu". L'équivalent du storytelling c'est donc le "Game-Play". 
D: la télévision connectée ? Dexter ! 
FC: Oui en effet, d'ailleurs je pense que l'on va ressortir les livres-dont-vous-êtes-le-héros. La tv connectée ou même l'Ipad sont des supports qui fonctionnent très bien sur ces modèles d'interactions. Disney à fait des choses intéressantes la dessus pour la sortie de "Tron Legacy" . Il est offert avec le blueray du film l'application ipad à utiliser en regardant le film. Si le consommateur veut les caractéristiques de la moto qui passe à l'écran, il clique sur l'ipad pendant le visionnage et il peut alors décider de faire un parcours jeu avec la moto etc.. 
D : Il y a autre chose que tu sens arriver ? 

FC: Oui, le "quantify-self" c'est cette tendance qui consiste à dire "je veux m'intéresser à ma personne et je veux qu'on s'intéresse à moi" . C'est donc s'amuser au quotidien à collecter ses propres données personnelles (poids, calories  ingurgitées au cours de la  journée, les kilomètres que je fais par jour...) afin de les divulguer à qui désire les exploiter et qui proposerait un service lié à valeur ajoutée.  Cela peut être par exemple : acheter une paire de baskets dans laquelle serait incrustée une puce reliée à son smartphone et qui calculerait les distances que faites au cours de la journée. A partir de cela, si je m'appelle Nike, Adidas, ou même Géox, je peux contacter le consommateur en lui disant : "je constate vous faites X kilomètres par jour, est ce que je peux vous proposer le modèle X parce qu'elle sont les mieux adaptées à votre consommation?! (d'autant plus que vous pesez 80kg pour 182cm alors que 75KG serait mieux)". Nike & Apple avaient déja tenté une interaction intéressante : Acheter les "Runners" avec le service + puis accèder au système de tracking où s'enregistrent les courses afin de les comparer aux autres "runner". L'étape suivant c'est Nike qui dit vouloir recommander les chaussures en fonction de L'IMC (indice de masse corporelle). 
C'est une valorisation de l'égo parce que le consommateur désire qu'on s'occupe de lui : "je sais que je suis en sur-poids et je veux qu'on m'aide à trouver une solution". 
D: Rappel de la micro mode où les blogueurs affichaient leurs pertes de poids quotidienne,  cela fait il donc parti de la sphère intime ou bien est ce une forme de valorisation entre blogueurs ? 

FC: Non, ce n'est pas une valorisation, c'est ce qu'on appelle le "social coaching". Un objectif est fixé (perdre du poids, économiser une certaine somme d'argent...) et d'autres de mes amis souhaitent atteindre le même but alors cela créé de l'émulation sociale. "J'accepte qu'on accède à mes données personnelles pour qu'on puisse me prodiguer des conseils." 
D : Cela le film Minority Report, où l'on scannait l'oeil de Tom Cruise chez Gap et il savait quels achats précédents il avait éffectués...

FC: Oui mais cela fait 10 ans que cela existe, les plateformes marketing One to One... Informix, Amazone...le faisaient déja. l'idée du quantify-self est vraiment de collecter les données personnelles et de les donner à qui sait s'en servir pour m'aider, MOI, ma petite personne. Pour le moment c'est une technologie en développement , les constructeurs de podomètre s'y intéressent, le radio réveil "ESOS" qui mesure puis analyse l'activité cérébrale pendant la nuit aussi ... On en est aujourd'hui à tenter de résoudre le problème de la "collecte". Une fois qu'on aura trouvé les bons canaux/moyens/supports pour collecter la donnée alors, il faudra l'authentifier et faire en sorte qu'elle soit disponible aux autres dans de bonnes conditions.Il faudra certainement mettre en place des tiers de confiance qui se chargeront d'agréger la donnée et faire en sorte que celle ci soit disponible, mais pas publiquement liée au consommateur. En gros c'est faire en sorte qu'il n'y ait pas d'abus. 
D : il existe donc une autre voix à la qualification Facebook ? 

FC: Oui, en effet ! Là ce sont des données qui sont réelles: à la différence du Fan de Vuitton qui n'aura jamais les moyens de s'en payer un. 
D:  Quid du  Social Shopping ? 

FC: Dire que le F-commerce va remplacer le E-commerce c'est une hérésie. Cela fait 10 ans que les pratiques du  commerce en ligne évoluent, acquièrent de la sophistication, de la perfection et tirer un trait la dessus c'est, à mon avis, une très grosse bêtise. Il ne faut pas exercer les mêmes actions dans une boutique en ligne et dans celle de facebook. C'est très restreint ce qui est faisable sur une boutique en ligne typique. Ce qui est intéressant, c'est développer  un complément de revenu : Une boutique en ligne fonctionne bien, par exemple Cdisount, alors l'annonceur décide de créer une communauté sur Facebook avec une saisonnalité.  Le thème du trimestre serait "les Zombies" , les fans de Zombies seront alors fédérés autour de ce thème. L'enjeu est alors pour la marque de  "monétiser" le travail de fédération grâce à une sélection de films de zombies uniquement achetables sur Facebook. C'est évidemment limité en terme de sujets et aussi dans le temps et cela ne remplacera pas la boutique en ligne mais c'est une complément intéressant. Il s'agit d'essayer de fédérer les individus autour d'une thématique qui est délimitée (dans le thème et le temps) et de positionner directement à l'endroit où se placent les conversations, des produits qu'on peut acheter sans trop de difficultés. 
D: produit placement dans les films, gamification , l'entertainment et les média sociaux sont souvent liés..

FC:Oui et d'ailleurs les marques  se contentent actuellement de  "distribuer des coupons de réductions sur FB" ou "voler au secours du client en détresse". 'En effet, ce n'est pas très complexe à mettre en oeuvre et les résultats sont directs. Les chiffres peuvent ensuite etre exploités rapidement par les annonceurs.  Travailler le Branding à travers un contenu ou bien l'attachement à une marque à travers une dynamique communautaire, c'est déja beaucoup plus laborieux à mettre en oeuvre et c'est un peu naviguer à l'aveugle, il n'y a aucune garantie quant aux résultats. Et cela fait peur dans un contexte de sortie de crise ! Mais il faut s'y mettre, sinon les marques deviendront de simples distributeurs de produits : une marque transparente. Si les annonceurs ne travaillent pas leurs marques alors celle ci est vouée à disparaitre. 
D : Quelle est votre mission dans ce marché ? à quoi servez-vous ?

FC:Je suis un intermédiaire entre les pratiques qui se font à l'étranger et des annonceurs qui n'ont pas forcément le temps de s'intéresser à cela. Une espèce de facilitateur, une inspirateur... mais pas un curateur... terme en vogue ces temps ci. Pour moi la curation c'est voler le contenu des autres, le filtrer et le livrer à la place du détenteur premier. Pour moi il n'y a pas de valeur ajoutée. 
D : Est ce que le concept de la curation fonctionne ? 

FC:J'en doute. C'est très subjectif... comment , par exemple, choisir une personne qui soit performante sur le thème de la gamification ? comment juger de la pertinence des nformations venant de cette personne ? et comment lui confier la mission suivante : "collecter toutes les sources ,les nettoyer et sélectionner ce qui est utile" ... il y a une vraie responsabilité dans cela ! Mais c'est un métier qui existe depuis toujours, on les appelle les documentalistes. Je doute que ceux qui curent y trouvent un intérêt, ils finiront par se lasser parce qu'il ne créé pas de valeur ajoutée. La curation n'est que de la veille gratuite et cela débouche au mieux sur une prestation de veille payante. 


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